La suite des parties 1 et 2
3 - LA VOLTE-FACE DES BR�SILIENS
Les premiers ennuis des passagers du "Rion" d�butent le 2 mai. Au sud du P�lopon�se, des fuites se d�clarent sur les chaudi�res. Le Capitaine de Vaisseau Horodyssky, pacha du navire, se voit oblig� de faire �teindre les feux et de lancer un SOS. Comme de coutume, parmi les passagers, des rumeurs circulent aussit�t: "Les machines ont �t� sabot�es!". En fait, les machines sont en si mauvais �tat qu'elles n'ont nul besoin de saboteur pour tomber en panne. Le "Rion" avait d�j� �t� incapable de faire la travers�e entre S�bastopol et Constantinople: tomb� en avarie au milieu de la mer Noire avec ses 8440 r�fugi�s entass�s, il avait d� �tre pris en remorque. Les r�parations subies dans le port ottoman n'avaient de toute �vidence pas �t� suffisantes.
Pris en remorque par un cargo, le "Rion" est emmen� jusqu'� Messine. L'eau et le ravitaillement n'ayant �t� pr�vus que pour une travers�e de quelques jours, ce sont des r�fugi�s assoiff�s et affam�s qui arrivent en Sicile. Comme cela a �t� le cas � chaque fois que des r�fugi�s russes sont arriv�s dans un port de M�diterran�e, le "Rion" est imm�diatement entour� d'une meute de mercantis qui, profitant de la d�tresse des Russes, les d�pouillent de la fa�on la plus �hont�e ; on voit ainsi N. X. �changer sa chevali�re contre un peu d'eau. En attendant l'arriv�e d'un remorqueur fran�ais, le navire reste � quai avec interdiction formelle aux passagers de descendre � terre.
Pendant ce temps, au Quai d'Orsay � Paris, les soucis s'accumulent. On vient tout juste d'apprendre la panne du "Rion", lorsqu�arrive un t�l�gramme de Rio: le Pr�sident de l'�tat de Sao Paulo vient d'annoncer qu'il �tait impossible de d�barquer 6500 r�fugi�s dans le port de Santos au cours du m�me mois: il craint des d�sordres et des difficult�s pour placer toute cette main-d'�uvre dans les plantations. Les autorit�s de Sao Paulo n'acceptent de recevoir que des contingents mensuels de 1500 Russes. Il faut donc imm�diatement t�l�graphier � Constantinople afin de retenir les 2000 r�fugi�s qui s'appr�taient � partir pour l'Am�rique du Sud sur un autre navire. De m�me, le d�part du "Cassel" de Bizerte est purement et simplement annul�. Cela ne suffit pas: si les Br�siliens ne changent pas d'avis, il va falloir songer � interner une partie des Russes dans un port fran�ais. Pourtant, le pire reste � venir.
Le 10 mai arrive un nouveau t�l�gramme de l'ambassadeur � Rio de Janeiro: "Pr�sident �tat Saint Paul vient de me d�clarer [...] que le Pr�sident de la R�publique F�d�rale consid�rait comme ind�sirable arriv�e au Br�sil immigrants russes [...].Il est urgent de suspendre les pr�paratifs de d�part des �migrants russes". Selon l'ambassadeur, les causes du malentendu se rattacheraient � des luttes de politique int�rieure, mais il n'exclut pas que "les insultes prof�r�es par le G�n�ral Wrangel" aient jou� un r�le dans l'opposition du gouvernement f�d�ral. Face � la crise, la machine diplomatique se met en route. L'ambassadeur du Br�sil en France promet d'intervenir personnellement aupr�s du gouvernement f�d�ral afin que celui-ci accepte au moins de recevoir les 3422 r�fugi�s qui sont en mer. L'ambassadeur de France au Br�sil re�oit comme instructions d'agir dans le m�me sens; le t�l�gramme pr�cise: "Il serait tr�s d�sirable que ces 3422 Russes puissent �tre transport�s en trois convois tout au plus � intervalles aussi rapproch�s que possible, et que les formalit�s � remplir au d�part soient r�duites au minimum. Vous pouvez donner l'assurance que nos autorit�s ont proc�d� � une s�lection tr�s rigoureuse et qu'elles n'ont embarqu� que des ouvriers agricoles exp�riment�s". Voil� une phrase que regrettera plus tard le Quai d'Orsay.
En attendant, que faire des 3700 Russes qui d�rivent en mer ? La solution d'Ajaccio est avanc�e pour la premi�re fois le 11 mai. Pourquoi ici et pas ailleurs? Selon le Ministre de la Marine, cette solution a �t� trouv�e en accord avec le Ministre de l'Int�rieur "�tant donn� les inconv�nients graves que pr�senterait leur pr�sence � Toulon ou � Marseille". Quels "inconv�nients graves"? L'auteur est plus pr�cis dans une lettre adress�e � Aristide Briand: "Le d�barquement et le s�jour prolong� des r�fugi�s russes � Toulon ne sauraient �tre envisag�s, les conditions mat�rielles locales ne pouvant s'y pr�ter. La proximit� d'un grand centre ouvrier pr�senterait par ailleurs les plus graves inconv�nients. [...] En cons�quence, il para�t indispensable de d�tourner le "Rion" sur Ajaccio, o� la pr�sence de ces r�fugi�s offrira le minimum d'inconv�nients". Le premier argument laisse pour le moins sceptique: on voit mal en quoi les "conditions mat�rielles locales" seraient sup�rieures dans une petite ville comme Ajaccio � celles d'un gros centre urbain comme Toulon. Force est de d�duire que l'argument s�rieux est le second. Il s'agit en effet d'une explication beaucoup plus convaincante: l'arsenal de Toulon est un point tr�s sensible; il abrite l'escadre de M�diterran�e dont une partie des navires s'est mutin�e en mer Noire deux ans auparavant, pour protester contre l'intervention fran�aise dans la guerre civile russe; � Toulon m�me, en juin 1919, des matelots ont essay� de hisser le drapeau rouge sur le cuirass� "Provence"; cette agitation r�volutionnaire s'est depuis calm�e, mais on craint qu'un incident ne remette le feu aux poudres. Quant aux ouvriers de l'arsenal, une bonne partie d'entre eux �prouve une vive sympathie pour les Soviets. Faire d�barquer 3700 Russes blancs dans cette poudri�re potentielle pourrait faire figure de provocation. Ajaccio semble en effet un endroit bien moins dangereux, et tant pis si les autorit�s locales assurent qu'il est impossible d'y loger tous ces r�fugi�s.
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