Les Russes en Corse
Nov 25, 2003
1 - LE POINT DE D�PART: L'�VACUATION DE LA CRIM�E

L'histoire de l'immigration russe en Corse commence par une trag�die: l'�vacuation de la Crim�e en novembre 1920 par l'arm�e du g�n�ral Wrangel.

L'ann�e 1920 voit briller les derniers feux de la guerre civile en Russie du sud. � la fin du mois de mars, vaincu par l'arm�e rouge, le g�n�ral D�nikine a d� faire �vacuer de Novorossisk, dans une panique indescriptible, les d�bris de ses arm�es blanches. R�fugi�es en Crim�e, ces troupes d�moralis�es semblent promises � une d�faite rapide. D�nikine, d�courag�, remet ses pouvoirs � son rival et ennemi personnel, le g�n�ral Baron Wrangel.

Pendant plus de 6 mois, Wrangel donne l'illusion que les arm�es blanches pourraient retourner la situation en Russie et chasser les Bolcheviks du pouvoir. Mais le 12 octobre 1920, la nouvelle de l'armistice sovi�to-polonais annonce que les jours de l'arm�e Wrangel sont compt�s. Les troupes qui luttaient contre la Pologne sont envoy�es sur le front de Crim�e pour donner le coup de gr�ce. Le 8 novembre, apprenant la chute des premi�res lignes de d�fense, Wrangel donne l'ordre d'�vacuation.

Tous les navires pr�sents dans les ports de Crim�e sont r�quisitionn�s, dont le vieux paquebot "Rion". Les bateaux russes sont mis sous la protection de la France et hissent le drapeau tricolore. L'escadre fran�aise de M�diterran�e Orientale supervise les op�rations. Tout se passe dans l'ordre. Quasiment tous ceux qui le d�sirent peuvent �tre �vacu�s. En une semaine, 130 navires arrivent � Constantinople, avec 146.200 r�fugi�s � bord, dont 29.000 civils, souvent dans un entassement ahurissant.

L'�tat sanitaire est catastrophique: les Russes sont d�cim�s par le typhus, il y a m�me des cas de chol�ra et de peste. Les autorit�s fran�aises de Constantinople sont d�pass�es: que faire de cette masse �norme de r�fugi�s, arm�s jusqu'aux dents et �quip�s d'une flotte de guerre compl�te? Les laisser d�barquer � Constantinople est inconcevable; cette ville, sous occupation alli�e, est d�j� surpeupl�e de r�fugi�s, car la Turquie est en pleine guerre: le rebelle Mustapha K�mal contr�le pratiquement toute l'Anatolie o� il se heurte � l'arm�e grecque. La perspective de voir cette arm�e russe d�s�uvr�e prendre part au conflit donne des cauchemars aux Alli�s.

Il faut donc �loigner le plus vite possible les Russes de cette poudri�re. La flotte de guerre est envoy�e � Bizerte, et Georges Leygues lance un appel aux �tats balkaniques pour qu'ils accueillent les troupes et les r�fugi�s civils. Le r�sultat est d�cevant: la Roumanie n'en accepte que 2000, la Gr�ce 1700, la Bulgarie 3800; seule la Serbie, fid�lement russophile, ouvre grand ses portes et en recueille 22.300. Au total, 34.000 personnes ont �t� �vacu�es le 1er janvier 1921.

Reste donc plus de 100.000 r�fugi�s � loger et nourrir. En attendant une destination d�finitive, les Cosaques du Don ont �t� envoy�s en Thrace � Tchataldja, ceux du Kouban sur l'�le de Lemnos, et les troupes r�guli�res sur la presqu'�le de Gallipoli, dans le d�troit des Dardanelles. Les civils, jug�s moins dangereux, ont �t� r�partis dans plusieurs camps autour de Constantinople.

Pour le gouvernement fran�ais, il est �vident que l'arm�e Wrangel a cess� d'exister, et que ces milliers de r�fugi�s ne sont que des individualit�s. Mais les autorit�s militaires et navales sont effar�es par cette fa�on de voir les choses: Si on licencie l'arm�e Wrangel sans aucune perspective d'emploi, la situation � Constantinople risque de tourner rapidement au cauchemar. Il faut absolument que la discipline militaire soit maintenue, et les troupes laiss�es sous les ordres des officiers russes, afin d'�viter de les voir se transformer en mercenaires ou en "grandes compagnies". Il sera alors plus facile de disperser en douceur les r�fugi�s vers les pays qui voudront bien d'eux. � contrec�ur, le gouvernement doit se rallier � ces arguments.

Wrangel, fin tacticien, s'engouffre par cette porte laiss�e entrouverte. Il profite de l'autorit� que sont bien oblig�s de lui laisser les Fran�ais pour s'opposer par tous les moyens � la dispersion de son arm�e: propagande, pression psychologique, menaces, tout est bon pour garder un noyau irr�ductible d'arm�e blanche; car Wrangel caresse toujours le r�ve de reprendre la lutte contre les Soviets, ou de s'emparer du pouvoir si celui des Bolcheviks s'effondre tout seul. Ainsi, le s�jour de l'Arm�e Russe � Constantinople est marqu� par un bras de fer permanent entre Wrangel et les Fran�ais, qui cherchent constamment � se d�barrasser de r�fugi�s qui co�tent une fortune au budget de la France.

Tr�s vite, les autorit�s constatent que beaucoup de r�fugi�s ont le mal du pays. Elles voient l� une belle occasion d'en diminuer le nombre; le gouvernement fait donc savoir dans les camps que personne n'est retenu, et que la France assurera le rapatriement en Russie sovi�tique de ceux qui en feront la demande, toutefois sans aucune garantie sur leur s�curit� une fois d�barqu�s. Malgr� cette r�serve de taille, les volontaires se bousculent: de janvier � avril 1921, 9370 r�fugi�s retournent en Russie. � cela viennent s'ajouter les d�parts individuels de r�fugi�s ayant les moyens de vivre � leurs frais, de ceux qui ont trouv� du travail � Constantinople ou qui se sont engag�s dans la L�gion �trang�re.

Malgr� cela, il reste encore en avril 1921 55.000 Russes nourris par la France dans les camps de r�fugi�s. Si l'on comptait sur les d�parts individuels, il faudrait des ann�es pour disperser l'arm�e Wrangel. Trouver des d�bouch�s de masse pour les r�fugi�s russes reste un imp�ratif urgent.

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