Nous publiions hier l�analyse d�un �ditorialiste du Figaro sur la situation en Corse. Nous continuons notre tour d�horizon par une analyse de Franck Johann�s, journaliste au Monde. 
 
Les nationalistes jouent sur la col�re suscit�e par la mise en cause des familles ayant h�berg� Yvan Colonna. 
 
Les �lus nationalistes, en claquant la porte de l'assembl�e territoriale, se sont rabattus sur le seul terrain o� la mobilisation a commenc� � fr�mir : le verdict du proc�s Erignac n'a pas jet� les militants dans les rues, et ce sont bien les poursuites contre les familles qui ont prot�g� la fuite d'Yvan Colonna qui cristallisent la col�re. 
 
Le geste spectaculaire des �lus arrive � point nomm� pour sortir la mouvance nationaliste de l'impasse.  Mais l'abandon du terrain politique institutionnel renforce directement le poids des partisans de l'action directe, et donc la clandestinit�. La bouff�e de col�re des militants, apr�s les lourdes condamnations, le 11 juillet, des assassins du pr�fet Erignac, a en effet eu du mal � s'incarner. Les partis nationalistes s'�taient content�s d'une r�action minimale de soutien aux "patriotes", le verdict de la cour d'assises �tant selon eux "davantage une vengeance qu'une d�cision judiciaire". 
 
Jean Guy Talamoni, l'un des signataires du communiqu�, est trop familier des cours d'assises pour s'�tonner du poids des peines prononc�es. Le message �tait bien s�r destin� aux militants, avec la mince jubilation d'agacer en passant l'opinion en m�tropole. Mais le syndicat des travailleurs de l'enseignement (STI), auquel appartenaient les deux accus�s, a gliss�, lui, franchement vers les menaces : "Les magistrats aux ordres devront le moment venu r�pondre de leurs actes face � la seule source de l�gitimit� qu'ils viennent de cr�dibiliser : le peuple corse". 
 
C'est que le discours nationaliste est ainsi fait que l'outrance verbale est directement proportionnelle � la faiblesse de la mobilisation. L'arrestation d'Yvan Colonna, le 4 juillet, n'a �t� marqu�e sur l'�le que par quatre petites bombes artisanales et les clandestins maintiennent depuis tant bien que mal la flamme, avec quelques attentats bien loin des nuits bleues des ann�es 80. Pas de gr�ve g�n�rale, pas d'op�ration �le morte, pas de rassemblement de masse : les nationalistes ont d� se donner une semaine pour organiser une manifestation digne de ce nom, samedi 19 juillet, � Ajaccio. 
 
La faiblesse de la mobilisation est sans doute la condamnation la plus s�v�re du "groupe des anonymes". Le commando esp�rait, en assassinant Claude Erignac, "refonder" le nationalisme. Na�ve illusion, partag�e par la plupart des organisations clandestines qui faute de pouvoir se projeter dans l'avenir, se r�fugient avec constance dans un pass� mythique et largement fantasm� d'un FLNC des origines, pur de toute d�rive. 
 
�ge d'or 
 
La guerre interne, en 1995-1996, a ancr� chez les militants les plus sinc�res, la nostalgie de cet �ge d'or, qui explique en partie l'obstination des clandestins � rebaptiser FLNC chaque nouvelle organisation, ce qui n'ajoute pas peu � la confusion. Le groupe "des anonymes" n'y a pas �chapp�, et a esp�r� en tuant le pr�fet amorcer une p�riode de chaos sans nom, et provoquer "un �lectrochoc" pour rassembler "les purs" et les restes du FLNC. En ass�chant le fonds de commerce des autres chefs, partag�s entre l'affairisme et les guerres internes. Les notables du nationalisme ne s'y �taient pas tromp�s : Fran�ois Santoni avait nettement condamn� l'assassinat et Charles Pieri s'�tait inqui�t� de cette "d�rive brigadiste". 
 
Le commando avait commenc� par un coup de main audacieux, en septembre 1997, � la gendarmerie de Pietrosella, et pensait le fait d'armes suffisamment �clatant pour enclencher une dynamique : l'affaire �tait pass�e quasiment inaper�ue. Avec l'assassinat de Claude Erignac, la lisibilit� �tait �videmment plus grande. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la revendication du crime avait �t� envoy�e, le 9 f�vrier 1998, � plusieurs nationalistes qui avaient depuis longtemps renonc� � la violence clandestine, comme autant de messages personnels pour la "refondation". "L'action que nous revendiquons aujourd'hui est parfaitement r�fl�chie et hautement politique. Elle n'est pas le fruit d'une quelconque d�rive ou l'action isol�e de "soldats perdus" de la lutte nationaliste, indiquait le commando. Elle est l'acte politique qui pose au niveau international l'avenir de la Corse en termes clairs : la Corse veut entrer dans le troisi�me mill�naire en situation de souverainet�". 
 
C'est dire l'ampleur de l'�chec et l'immensit� du g�chis. L'�chec est d'abord celui du nationalisme, m�me si la liste est longue des maladresses, barbouzeries et manipulations des diff�rents gouvernements. Apr�s trente ans de lutte contre le pouvoir central, il n'est que temps pour le nationalisme de se repenser comme mouvement : force est de constater que les "organisations politico-militaires", en dehors de la pr�servation du littoral, tournent � vide. Il n'y a �videmment pas de solution militaire, et le corpus id�ologique des clandestins est incroyablement mince : des slogans rem�ch�s des ann�es 70, dans une langue de bois lourdement anti-imp�rialiste. 
 
C'est que les diff�rents FLNC, en d�pit de la phras�ologie, ne sont pas des mouvements de gu�rilla. G�rard Chaliand avait �crit un peu rudement que le FLNC "mimait" les mouvements de lib�ration, et que son avenir �tait scell�. "Le destin de ces petits groupes [corses] peut �tre divers, mais en g�n�ral il est de pi�tiner ou d'�tre progressivement liquid� � moins que le mouvement ne s'autod�truise par crises internes n�es de l'impasse" (Terrorismes et gu�rillas, Flammarion). 
 
"PROPAGANDE ARM�E" 
 
C'est assez pr�cis�ment ce qui s'est pass� au FLNC depuis sa fondation, en 1976, la guerre fratricide vingt ans plus tard et les multiples scissions de mouvements toujours groupusculaires. 
 
Le discours clandestin habille en r�alit� une pratique classique de "propagande arm�e", accompagn�e de r�glements de compte internes, parfois mafieux, qui ont surtout tu� beaucoup de Corses. En assassinant le pr�fet, le groupe est � l'�vidence sorti de la propagande arm�e pour verser dans le terrorisme dans sa version basque ou irlandaise. Avec un bilan, au total, quasi nul, le nationalisme est aujourd'hui � bout de souffle. 
 
� cela plusieurs raisons. D'abord l'�ge des capitaines : les barons survivants de la lutte nationaliste approchent la cinquantaine, et tiennent tant bien que mal une jeune garde encore moins form�e qu'eux politiquement. Les liens troubles ensuite d'une partie du nationalisme avec le banditisme poussent au statu quo et au compromis historique, y compris par la terreur. Enfin le poids conjugu� des clans et de la diaspora corse, qui souhaite par-dessus tout couler une retraite paisible dans l'�le de son enfance, conspire � l'immobilisme. Le "non" au r�f�rendum, quelles que soient les maladresses du gouvernement, en est le t�moignage �loquent. 
 
Le bilan, au total, est sombre. Claude Erignac a perdu la vie, ses assassins vont user la leur en prison, pour des motivations aujourd'hui quasiment incompr�hensibles. Les antinationalistes auraient tort de s'en r�jouir. Faute d'une refondation intelligente de l'identit� corse, la tentation est toujours forte de sortir de l'impasse par la violence. 
 
Franck Johann�s  
 
Dossier Erignac 
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