Quand les nationalistes r�vent d�un retour en gr�ce
Jul 14, 2003
Auteur: L'investigateur

Premi�res r�actions aux lourdes condamnations du proc�s Erignac et � l'arrestation : deux attentats � l'explosif ont �t� commis en Corse-du-Sud.

Le premier a vis� une ancienne clinique d'Ajaccio, situ�e � l'est du centre-ville. La charge, de forte puissance, a caus� d'importants d�g�ts au b�timent actuellement en travaux. On y proc�de en effet � l'am�nagement de bureaux pour le compte du minist�re de la Justice.

La seconde explosion s'est produite au village de Frasseto, � 50 km d'Ajaccio. Une charge de forte puissance a d�truit une villa en cours de r�novation. � l�exception d'une fa�ade, tous les murs ont �t� pulv�ris�s par la d�flagration. Deux maisons voisines ont subi quelques d�g�ts.
La veille, trois explosions avaient endommag� la voiture d'un policier et deux villas appartenant � des continentaux.

On soup�onne le m�me groupe d�avoir ainsi voulu marquer la p�riode de sa pr�sence. On reprochait au m�me groupe la destruction de la voiture d�un commissaire des RG et la destruction de deux maisons de fonctionnaires du CREPS.

Apr�s le verdict condamnant vendredi sept des huit hommes jug�s pour l'assassinat du pr�fet Claude Erignac � des peines allant de quinze ans de r�clusion � la perp�tuit�, les nationalistes ont en effet d�nonc� une "vengeance d'�tat".

Le jugement a �t� accueilli aux cris de "Francesi assassini !" et le Comit� anti-r�pression a appel� � manifester le 19 juillet � Ajaccio contre "l'�tat colonial" fran�ais.

"Face � un verdict constituant davantage une vengeance qu'une d�cision judiciaire, Corsica Nazione et Indipendenza apportent leur total soutien patriotique aux condamn�s", ont annonc� les deux organisations.

Elles demandent au peuple corse de r�pondre � l'appel � manifester du Comit� anti-r�pression, association nationaliste de soutien aux prisonniers le 19 juillet dans les rues d�Ajaccio.

Plus tard, devant les grilles du Palais de justice, Jean-Marie Poli, porte-parole du Comit� anti-r�pression, a d�nonc� "un verdict inique que les Corses n'accepteront pas".

"Nous sommes tristes de voir que la justice instrumentalis�e de l'�tat colonial a lourdement frapp� nos fr�res", a-t-il lanc�. "Le comit� anti-r�pression appelle tous les Corses, tous les nationalistes corses, � une grande manifestation samedi prochain pour dire que la France continue � �tre un �tat colonial lourd, que la France continue � traiter la Corse par la r�pression et que nous voulons nous engager de fa�on claire et nette vers une solution politique".

Dans l'�le, des membres de la soci�t� civile estiment que le verdict n'a fait qu'aggraver un "contexte particuli�rement agit�" apr�s l'arrestation d'Yvan Colonna, imm�diatement suivie de l'�chec du r�f�rendum sur la r�forme institutionnelle.

"En quelques jours, le sentiment pr�domine que la situation a bascul�, qu'on risque � nouveau d'entrer dans le cycle de la violence et de la r�pression", a d�clar� sur France info Andr� Pacou, pr�sident local de la Ligue des droits de l'Homme.

Les r�cents �v�nements ont d�stabilis� les organisations nationalistes l�gales qui apparaissent comme les grandes perdantes du rejet de la r�forme institutionnelle.

D�j� contest�e avant le scrutin, la strat�gie de dialogue avec le gouvernement d'Indipendenza et de Corsica Nazione est ouvertement critiqu�e par une partie de la mouvance nationaliste.

"Le processus de Matignon ne r�pondait pas � toutes nos revendications, nous avons dit 'oui' tout de m�me. Il serait temps de dire 'basta'", a d�clar� au quotidien Lib�ration un membre d'Indipendenza.

L'absence de chef incontest� dans le camp nationaliste laisse craindre �galement des d�rives de "soldats perdus". De nombreux militants consid�rent d�sormais que la l�gitimit� est du c�t� des "prisonniers politiques". Il se pourrait que ceux-ci s�expriment prochainement pour d�noncer la situation qui leur a �t� faite.

Mais la situation pourrait fort bien se retourner en faveur des nationalistes. D�abord le � non � au r�f�rendum a affaibli ceux d�entre eux qui souhaitaient une �volution institutionnelle. La majorit� des nationalistes n�y croyaient pas. Et le � non � leur permet d�appara�tre comme les seuls � pouvoir changer la donne politique en usant de la violence. Un clandestin (par d�finition anonyme) nous a confi� son point de vue : � Il faudrait �tre aveugle pour ne pas d�chiffrer l��avenir. Le Front ou plut�t les deux Fronts vont vraisemblablement se signaler dans les jours � venir. Ils vont le faire unis ou s�par�s. Mais il y a d�j� eu des rencontres pour frapper un grand coup. Parce que la r�ponse ne peut plus �tre les seuls plasticages de quelques maisons de continentaux. En rendant ce verdict on s�en est pris � tout le peuple corse et le peuple corse attend de nous que, cette fois-ci nous abandonnions nos querelles pour nous montrer � la hauteur. L��tat fran�ais a fait une erreur �norme pour r�pondre � la douleur l�gitime de Madame Erignac mais aussi � son opinion publique. Le gouvernement a �t� malmen� par les gr�vistes de la fonction publique. Il est en difficult� devant les intermittents. En septembre, il va devoir affronter le secteur public et le secteur priv� sur la question de l�assurance sociale. Il faut donc qu�il amuse les Fran�ais. Et une grande responsabilit� revient � Nicolas Sarkozy qui veut maintenant se donner l�image d�un monsieur Propre parce qu�il s�est cass� les dents en Corse comme tous ses pr�d�cesseurs. Les mois � venir marqueront un tournant dans l�histoire de la Corse. Et cela nous le devons au sacrifice de nos fr�res. �

L�homme est tendu. Il nous a avou� ne pas savoir si les structures clandestines �taient pr�tes � affronter une situation de conflit ouvert avec l��tat. Il n�en sait rien mais il para�t d�termin� et, bien que ne parlant qu�en son nom, il est persuad� que sa volont� est celle de tous les nationalistes.

C�t� parti traditionnel, c�est le silence radio. Il n�y a pas eu une seule r�action au verdict ce qui laisse la place aux nationalistes et constitue une nouvelle erreur. Dans la nuit du 112 au 13 juillet, gendarmes et policiers ont multipli� les barrages dans toute l��le. Les hommes sont prudents et v�tus de gilet-pare balles. Ils savent que le drame peut arriver � tout moment. � Mais il faut montrer que l��tat est pr�sent et bien pr�sent. Ce type de bataille se joue aussi sur le plan psychologique. � La Corse une fois encore est �tourdie et ne sait plus o� elle en est. La situation estivale, la chaleur accablante, la crainte des incendies� pour un peu et on oublierait que le silence des clandestins est encore plus inqui�tant que leurs plasticages. Et on voudrait en Corse ne plus conna�tre de drames identiques � ceux du pr�fet Erignac.

Les assassins du pr�fet peuvent-ils se cacher derri�re une responsabilit� collective ?


La s�ur de l�un des condamn�s hurlait � la sortie du proc�s : � Ils ont condamn� le peuple corse. Ils nous ont tous condamn�s. � Rappelons � cette personne que les Corses dans leur quasi-unanimit� avaient condamn� l�assassinat du pr�fet Erignac. Que toutes les organisations nationalistes ont agi de m�me allant m�me � donner les noms des conjur�s aux enqu�teurs. Rappelons aussi que ce geste insens� fut celui d�un tout petit groupe qui ne pouvait se pr�valoir d�une quelconque l�gitimit� sinon de celle instaur�e par leur propre coh�rence. Il est d�ailleurs intol�rable que dans une d�mocratie le geste de quelques individus parvienne � d�truire le fragile �quilibre qui fonde une soci�t�. Il est totalement incoh�rent de stigmatiser l�attitude des � Fran�ais � accusant la Corse d��tre enti�rement responsable de cet assassinat (ce qui est �vident idiot) mais en m�me temps d�expliquer que le verdict frappe tous les Corses. Ou les Corses sont responsables ou ils ne le sont pas. Enfin il est absurde de faire porter la responsabilit� des assassinats entre nationalistes sur l��tat fran�ais. Au mieux peut-on l�accuser d�incomp�tence ou de neutralit� criminelle. Mais les bras qui frapp�rent �taient bien ceux des fr�res ennemis. Plus risible encore (si on ose ce terme) est l�exigence dans les plaidoiries de retrouver, dans le cadre de ces assassinats entre fr�res ennemis les coupables. � la moindre arrestation, on verrait aussit�t ceux qui r�clamaient les arrestations les d�noncer comme �tant le fait de la justice coloniale. Alors assez d�hypocrisie. Bient�t va s�ouvrir le proc�s des assassins de No�l Sargentini, membre de la Cuncolta et du FLNC Canal historique abattus par des hommes du MPA et du FLNC Canal habituel. Or la famille de No�l Sargentini, dont son fr�re le dirigeant d�Indipendenza, Fran�ois Sargentini, s�est port�s partie civile. Ils vont donc utiliser la fameuse justice coloniale pour r�gler un probl�me issu d�une guerre qu�ils pr�tendent avoir �t� caus�e par la France. Auquel cas, les plaignants devraient abandonner � leur tour les poursuites contre les assassins qui s��taient rendus au moment du processus Matignon. La difficult� avec les nationalistes est qu�ils ne sont qu�incoh�rences, mots creux et ind�cisions politiques. Ils veulent l�ind�pendance mais ils d�sirent aussi que le petit cousin soit int�gr� dans la Fonction publique. Ils veulent l�ind�pendance mais toujours plus de Corse dans l�administration et les transports fran�ais.

Pourtant, ils avaient su ne pas franchir la ligne jaune jusqu�� ce qu�un petit groupe d�illumin�s tue le pr�fet Erignac. Toute la difficult� de la situation actuelle est que la clandestinit� manque de chefs. Elle est compos�e de petits groupes qui se jettent des d�fis internes. La clandestinit� peut tuer. Mais son but est tout de m�me de n�gocier et d�obtenir des r�sultats qui satisfassent ses propres troupes. Le nationalisme est devenu au fil des d�cennies un nouveau clan avec ses exigences alimentaires, ses codes et ses rites.

En tuant des �lus corses, la clandestinit� risque d�allumer le feu de la vengeance qui ne lui appartient pas. Elle risque de cr�er des fractures dont elle-m�me ne se remettrait pas. Cela �tant, la haine des jeunes nationalistes � l�encontre des tenants du non est telle qu�ils sont capables de commettre de telles horreurs. Mais malheureusement, le plus vraisemblable est que les cagoul�s vont s�en prendre aux membres des forces de l�ordre. L��tat a toujours montr� une grande ingratitude envers ses troupes qu�elle consid�re un peu comme de la chair � canon. Et au barom�tre de l��tat, un pauvre gendarme n�a pas la m�me importance qu�un pr�fet.

La seule esp�rance est que la Corse dise encore une fois non � la violence. Mais cela exige que les appareils r�pressifs sachent avancer sans casser des �ufs.

Dossier Erignac

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