EXCLUSIF / Affaire Erignac : Un t�moignage capital : celui du pr�fet Bonnet
Jun 19, 2003
Auteur: L'investigateur

Bernard Bonnet a �crit deux fois au procureur g�n�ral de Paris et au pr�sident de la cour d'assises sp�ciale pour leur proposer son t�moignage dans le proc�s de l'assassinat du pr�fet Erignac.Ils ne lui ont pas r�pondu.

Pour �viter que certaines v�rit�s ne demeurent enfouies comme le d�roulement du proc�s peut le faire craindre, Bernard Bonnet nous a fait parvenir le texte int�gral du t�moignage �crit qu'il a envoy� le 30 mai dernier au pr�sident Jacob.

� qui la faute si le proc�s des assassins pr�sum�s du pr�fet Erignac a paru jusqu�alors mal fagot� ? Plus d�une semaine sur des attentats en apparence annexes, des preuves ind�cises, des t�moins imparfaits. Il a fallu qu�on entre dans le vif du sujet avec l�assassinat lui-m�me pour avoir enfin l�impression d�assister � un v�ritable proc�s.

Cette premi�re v�ritable journ�e a �t� riche en �motions: celle de Madame Erignac toute contenue, pleine de pudeur, racontant la fin d�une existence, sur le bitume ajaccien� trois balles dans la nuque� Une sale ex�cution. Et le repentir d�Alessandri : � un acte l�che �.

Et pourtant, il reste tous ces silences que rien ne vient combler. Les silences des inculp�s qui s�en tiennent � leur d�fense collective. Mais aussi les absences de t�moins capitaux qui ne viendront pas parce qu�on ne les a pas appel�s.

Et au premier chef, il y a le pr�fet Bonnet, incontournable repr�sentant de l��tat durant toute la p�riode de l�enqu�te. C�est lui qui le premier aura des renseignements dignes de ce nom. C�est lui qu�on accusera d�avoir men� une � double enqu�te � � combien efficace. C�est cette figure embl�matique que ni l�accusation ni la d�fense n�ont cherch� � entendre. On a du mal � s�expliquer cette absence qui devient la source d�un soup�on.

Pourquoi veut-on lui imposer le silence ? Cet homme, broy� par la raison d��tat, condamn� par la justice, est aussi interdit de parole.

Il nous a adress� un t�moignage complet, pr�cis. Il r�v�le des informations jusque-l� tenues secr�tes. Bref, il nous livre ce qu�il voulait dire sous serment � la barre.

C�est essentiel pour la v�rit� et c�est pourquoi nous publions ce t�moignage.


T�moignage �crit de Bernard Bonnet


Le pr�fet Claude Erignac a �t� assassin� le 6 f�vrier 1998.

J�ai �t� nomm� pr�fet de Corse le 11 f�vrier 1998 et install� � Ajaccio le 13 f�vrier 1998.

Le climat dans l��le et singuli�rement dans l�administration �tait alors celui d�un abattement indescriptible. La peur �tait install�e partout dans l'administration, car tout paraissait possible apr�s l�assassinat du repr�sentant de l��tat.


Dans ce contexte dramatique, le gouvernement Jospin avait d�cid� de mener une politique de fermet� qu'il avait nomm�e politique de l'�tat de droit. Il s'agissait de faire appliquer les lois de la R�publique sans passe-droits.

Cette politique fut caricatur�e en politique r�pressive tant il est vrai que faire appliquer les lois de la R�publique en Corse est souvent per�u comme un acte de r�pression.

Je suis oblig� d'�voquer bri�vement le contexte de mon arriv�e et les instructions que m'avait donn�es le gouvernement pour deux raisons li�es au proc�s.

D'une part, ce sont les premiers r�sultats de cette politique dite de l'�tat de droit qui auraient incit� un informateur, selon ses dires, � me r�v�ler � l'�t� et � l'automne 1998 des renseignements in�dits sur l'assassinat du pr�fet Erignac.

D'autre part, certains des accus�s se sont empar�s de cette politique pour l�gitimer l'assassinat du pr�fet Erignac. Ils ont publi� le 21 septembre 1998 un communiqu� tr�s explicite qui ne peut �tre ignor� dans ce proc�s.

On peut y lire: " sans notre action, jamais l'�tat n'aurait �t� d�stabilis� au point de devoir se mettre � nu et donner raison, point par point, � 30 ans de lutte nationaliste."

En quoi les actions de l'�tat dans l'�le apr�s l'assassinat du pr�fet Erignac ont-elles pu inspirer la r�daction d'un tel communiqu� par certains des accus�s que juge la Cour?

La politique de L'�tat de droit, c'�tait, y compris dans le choix des termes, une politique voulue par le Premier ministre, Lionel Jospin, avant qu'il ne s'en d�marque en initiant le processus des accords dits de Matignon

Pour mettre en �uvre cette politique, le gouvernement mobilisa des moyens exceptionnels d�expertise.

Plusieurs missions d�inspections g�n�rales des grands Corps de l'�tat conduisirent des investigations approfondies. Leurs rapports s'apparent�rent � un v�ritable scanner du fonctionnement des institutions publiques dans l'�le et des cons�quences importantes en furent imm�diatement tir�es.

Par exemple, dans le domaine agricole, les abus des pr�ts agricoles, jamais rembours�s, toujours effac�s furent sanctionn�s : le conseil d�administration de la caisse r�gionale de cr�dit agricole, le conseil d�administration de la caisse de mutualit� sociale agricole, la chambre d�agriculture de Haute Corse et la SAFER furent dissous.

Dans le domaine social, de v�ritables fili�res de d�voiement de la solidarit� nationale, mises en place par certains �lus pour "rendre des services" furent d�mantel�es. La COTOREP, qui accorde les allocations d'invalidit�, fut dissoute, les responsables politiques et administratifs du d�tournement des fonds du RMI furent renvoy�s devant la justice en Corse.

Dans le domaine financier, � partir du rapport sur les aides publiques qu�avait r�dig� le pr�fet Erignac, des crit�res stricts furent impos�s pour moraliser l'attribution des subventions publiques; les d�tournements d'argent public furent sanctionn�s par des ordres de reversement.

Ces exemples volontairement restreints laissent deviner le volontarisme de la mise en �uvre de la politique gouvernementale n'�pargnant aucun secteur.

L'effervescence m�diatique qui accompagnait - � l'exc�s - cette politique a faussement donn� l'illusion aux r�dacteurs du communiqu� du 21 septembre 1998 que l'�tat pratiquait un acte de contrition.

Ce qui est vrai, c'est que l'�tat n'avait pas choisi la facilit�.

Le Gouvernement ne m'avait pas charg� de distribuer des centaines de millions d�argent public, ma mission �tait de r�cup�rer l�argent public d�tourn�.

Le Gouvernement ne pr�parait pas un nouveau statut, il m'avait donn� pour mission d�expliquer que la Corse n'en avait pas besoin.

Or, en Corse les ennuis viennent plus vite que ne se r�alisent les d�sirs�

De fait, l�action de l��tat s�est vite heurt�e aux contrefacteurs qui rajoutaient la rigueur � la loi pour cr�er l��tat d�exasp�ration et non pas l��tat de droit.

Elle s�est heurt�e � certains �lus influents, dont le fonds de commerce nourri de client�lisme et de compromissions, se trouvait menac�.

Mais conduite sous l'�troite surveillance des conseillers du Premier ministre, y compris de Christnacht, cette politique de rigueur � l'impopularit� croissante allait paradoxalement se r�v�ler payante pour l'enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac.

J'en viens donc � l'enqu�te proprement dite.
Sa direction fut rapidement confi�e � Roger Marion, le chef de la DNAT.

Compte tenu des circonstances exceptionnelles n�es de l'assassinat de mon pr�d�cesseur, j'ai �t� tenu inform� des premi�res investigations.

C'est ainsi qu'apr�s la piste sans lendemain de l�implication de deux jeunes maghr�bins, j�ai appris que les enqu�teurs recherchaient un jeune corse blond correspondant aux t�moignages de deux t�moins, Mme Contart et sa fille, circulant en voiture sur les lieux au moment pr�cis de l�assassinat.

J�ai su qu' Yves Bertrand, directeur des Renseignements g�n�raux avait recueilli une information tr�s d�taill�e situant le commando des assassins dans le village dans l'environnement nationaliste d'un restaurant du village d'Acqua Doria, situ� � une trentaine de kilom�tres au sud d'Ajaccio.

La piste agricole.

Mais l�axe principal de l�enqu�te �mergea vite, c��tait la piste agricole. Cet axe d�enqu�te avait toutes les apparences de la solidit�.

Il se fondait sur le contentieux agricole qui avait oppos� l'�tat, repr�sent� par le pr�fet Erignac, et les agriculteurs notamment nationalistes.

Je d�couvris rapidement dans les dossiers personnels de mon pr�d�cesseur l�origine de ce contentieux.

Pendant 25 ans les gouvernements successifs avaient essay� de pr�server la paix civile en Corse en accordant une douzaine de plans de d�sendettement global aux agriculteurs corses. Dans les faits, ce furent des abandons de cr�ances qui mirent en difficult�s la caisse r�gionale de cr�dit agricole malgr� l'assistance du contribuable.

Le gouvernement Jupp� d�cida de mettre fin � ces errements � la fin 1996 en d�cidant qu�il n�y aurait plus de nouveau plan global, mais des mesures d�all�gement au cas par cas, les aides �tant r�serv�es aux seules exploitations viables. Ce soudain retournement de la politique de l'�tat heurta durement les lobbies agricoles qui ne s'y attendaient pas.

Ils essay�rent d'�tablir un rapport de forces avec mon pr�d�cesseur et multipli�rent les prises � partie comme ce tract agressif intitul� "Halte au mic mac d'Erignac".

Des manifestations violentes furent aussi organis�es dans la plaine orientale. Un office agricole fut occup� � Bastia en d�cembre 1997; c'est l� que fut instrumentalis�e une note confidentielle sur l�opportunit� d�enqu�tes fiscales approfondies qui avait �t� r�dig�e par le pr�fet de police, G�rard Bougrier.

Dans cette agitation agricole se firent remarquer deux figures du nationalisme corse, Mathieu Filidori et Marcel Lorenzoni.

Filidori, exploitant tr�s endett�, avait cr�� en mai 1997 le comit� de d�fense des agriculteurs corses. Interpell� et �crou� plusieurs fois dans le cadre de l'enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac, il fut longtemps le principal suspect des enqu�teurs.

Lorenzoni interpell� en f�vrier 1998 resta �crou� pendant 18 mois avant de s�entre-tuer en juin 2000 avec son fils dans des circonstances que l'absence d'autopsie l�gale ne permit pas d'�lucider avec certitude.

Cette piste agricole avait aussi une dimension politico- clandestine puisque les agriculteurs arr�t�s appartenaient � une dissidence ind�pendantiste, le Collectif pour la Nation. Cette dissidence fra�chement cr��e semblait m�me avoir un bras arm�, le groupe Sampieru, qui avait revendiqu� les attentats commis � l'automne 1997 contre la brigade de gendarmerie de Pietrosella et contre des �tablissements thermaux � Vichy.

Cette piste agricole avait enfin une apparence s�mantique. Le style des communiqu�s de revendication �tait proche selon les enqu�teurs de celui de Filidori s�exprimant 20 ans plus t�t devant la Cour de S�ret� de l��tat.

Tout semblait concorder: un mobile, une dissidence nationaliste radicale, un "bras arm�", une �criture.

Pourtant cette piste sur laquelle les enqu�teurs se sont ent�t�s jusqu�en d�cembre 1998 (et m�me post�rieurement avec la mise en examen de Filidori en mai 1999) �tait une impasse qui se r�v�la d�sastreuse pour le cr�dit de l'�tat dans l'�le.

La piste agricole fut � l�origine de centaines d�arrestations souvent excessives et mal comprises qui ont ulc�r� le monde agricole et irrit� toute la Corse.

Il semblait qu'il suffisait d'avoir particip� � la revendication agricole et d'�tre pr�sum� sympathisant nationaliste pour courir le risque d'�tre interpell�.
Les conseillers du Premier ministre s'interrogeaient sur les objectifs v�ritables de ces nombreuses interpellations sans suite. Ce climat de suspicion allait avoir de lourdes cons�quences sur l�enqu�te.

Il y avait pourtant un dossier agricole qui aurait pu orienter les investigations vers certains membres pr�sum�s du commando.

Ce dossier avait crisp� les relations entre d'une part le pr�fet Erignac soutenant Ren� Modat, le pr�sident de la chambre d'agriculture, et d'autre part des agriculteurs de Carg�se et Lorenzoni. C'�tait le projet de la maison des produits identitaires. Ren� Modat, le pr�sident de la chambre d'agriculture, voulait construire un lieu symbolique de l'agriculture identitaire corse � Ajaccio.

Des locaux furent trouv�s dans la zone industrielle du Vazio. Ces locaux appartenaient � Jean-Michel Emmanuelli, nationaliste proche de Modat, qui exploitait une imprimerie et dirigeait un hebdomadaire. On disait Emmanuelli en difficult�s financi�res. La vente l�gale du terrain aurait permis d'assainir sa situation financi�re.

Pour construire les nouveaux b�timents, il fallait mobiliser 6,5 millions de F pour la construction des b�timents. Passant outre une certaine frilosit� de l'administration, le pr�fet Erignac r�ussit � d�gager 3 millions de F. d'aides de l'�tat. Cette op�ration sans doute d'int�r�t collectif d�plut fortement aux agriculteurs oppos�s � Ren� Modat, en particulier ceux du secteur de Sagone et de Carg�se r�unis autour de Colonna, en accord pour la circonstance avec Lorenzoni.

Deux informateurs.

Alors que l�enqu�te s�enlisait dans la piste agricole, deux informateurs se manifest�rent directement aupr�s de moi d�s juin 1998 et me donn�rent des informations pr�cises et in�dites. Il va de soi que tout ce que je vais rapporter � la Cour repose sur des t�moignages directs, bruts et non recompos�s.

La v�rit�, il faut oser l'affirmer et pour certains l'affronter: les principaux membres pr�sum�s du commando Erignac ont �t� identifi�s parce qu'ils ont �t� d�nonc�s � l'�t� et � l'automne 1998. Les enqu�teurs �taient � mille lieux d'imaginer que le chef pr�sum� du commando �tait Alain Ferrandi. C'est mon informateur, les yeux dans les yeux, qui me l'a r�v�l�.

Le groupe des "anonymes", qui a revendiqu� l'assassinat du pr�fet Erignac en termes tr�s politiques, avait pressenti la forte r�action de l��tat, esp�rant que cette r�action ressouderait les nationalistes sur les objectifs qu�il avait � la cr�ation du FLNC, � savoir le "'combat pour l'ind�pendance".

Ce groupe avait sous-estim� les int�r�ts personnels, qui pr�carisent toute dissidence terroriste en Corse.

J�ai donc eu deux informateurs.

Le premier informateur m'a rendu visite dans la deuxi�me quinzaine de juin 1998.

C�est un responsable agricole de Corse du sud. Je le savais proche de feu Fran�ois Santoni.

Il m�a r�v�l� le nom de Jean Castela. Je me souviens qu�il h�sitait ou feignait d'h�siter dans mon bureau sur la prononciation du nom : il disait tant�t Castela, tant�t Castila ou Castirla.

Je pr�vins imm�diatement Roger Marion, le directeur d'enqu�te. Il ne fut pas surpris de ce nom. Il venait de l'apprendre par la direction parisienne des renseignements g�n�raux

Cette information n'a pris une r�elle importance � mes yeux qu�avec l�arriv�e de mon deuxi�me informateur auquel j�ai attribu� le pseudonyme de Corte. Il m'a beaucoup appris.

C�est lui qui m'apprit � l'automne 1998 qu'en ao�t 1998, Castela et Andriuzzi s'�taient retrouv�s dans l�appartement de la s�ur d�Alain Ferrandi � Ajaccio dans l'ensemble r�sidentiel A Mandarina. Personne ne le savait. Le directeur r�gional des renseignements g�n�raux me rapporta � la fin 1998 que les RG avaient suivi ce 19 ao�t 1998 Castela mais qu'ils ignoraient dans quel appartement il �tait all�.

C�est lui qui m'apprit l'existence d'un projet d�attentat du commando pr�sum� contre les gendarmes du GPS sur leur lieu d�entra�nement au sud de Carg�se dans des immeubles jadis plastiqu�s en bord de plage.

C'est lui qui m'apprit en mars 1999 qu�un nouveau projet d�assassinat �tait envisag� visant le procureur de la R�publique de Bastia, Patrick Vogt. Des rep�rages auraient �t� effectu�s du kiosque � journaux o� le procureur se rendait sans protection pour acheter des journaux le samedi matin. J�en avais inform� imm�diatement les proches collaborateurs de membres du gouvernement: Clotilde Valter (Matignon), MM Bergougnoux (Int�rieur), et Vigouroux (Justice).

C'est lui qui m'apprit que le commando avait eu le projet d�assassiner le pr�fet Erignac � Ajaccio � l�occasion d�un match de volley- ball du Gaz�lec d'Ajaccio quelques semaines avant le 6 f�vrier 1998. Mais le pr�fet ne s��tait pas d�plac� ce soir-l� au match, contrairement � son habitude.

Enfin, c�est lui qui m'apprit que les assassins ont failli �tre mis en �chec le 6 f�vrier 1998. Il me d�crivit la sc�ne suivante. Le pr�fet Erignac n�ayant pas de place r�serv�e pour son v�hicule, d�posa son �pouse devant l'entr�e de la salle de concerts le 6 f�vrier 1998 et chercha une place de stationnement. Sa man�uvre prit au d�pourvu ses agresseurs, qui le perdirent de vue dans une petite rue, le retrouvant presque par hasard apr�s qu�il e�t gar� son v�hicule sur le Cours Napol�on.

J�ai vu Corte quatre ou cinq fois de la fin juin � d�cembre 1998, et deux fois en 1999.

Pourquoi est-il venu me voir ? C'est une question que je me pose encore.

Il m'a toujours affirm� que c��tait pour soutenir la politique assez rigoureuse d'application de la loi. Il pensait que l'�lucidation de l'assassinat du pr�fet Erignac serait d�terminante dans la poursuite de l'action d'assainissement qui lui paraissait menac�e par son impopularit� croissante.

Corte se disait convaincu de la sinc�rit� du gouvernement dans sa politique de l'�tat de droit. Il avait �t� tr�s frapp� de constater que des notables, consid�r�s comme intouchables, avaient �t� �crou�s sur r�quisitions du Parquet pour diverses malversations, malgr� la puissance suppos�e de leurs relations.

Corte ne m'a jamais cach� que, pour lui, l'application de la loi n'�tait pas une fin en soi mais une simple �tape vers la pleine autonomie de la Corse.

Lors de notre premi�re rencontre fin juin 1998, Corte ne m�a pas r�v�l� de nom. Il m�a indiqu� que les enqu�teurs faisaient fausse route avec la piste agricole et il m�a remis un document dactylographi� de quatre pages � Corse mode d�emploi �.

Ce document �tait une charge terrible contre certaines d�rives nationalistes et contre l'�tat.

J'ai gard� en m�moire la conclusion de ce document r�dig� apr�s les assassinats fratricides de nationalistes: "Avec cynisme le pr�fet de police a d�clar� que bient�t le combat s�arr�tera faute de combattants. Non le combat s�arr�tera faute de cibles car d�sormais les hauts fonctionnaires sont discr�tement surveill�s pour pouvoir �tre abattus le moment venu. En Corse on dit que le sang lave le sang et le sang corse ne sera pas le seul � couler. En misant sur l�affrontement entre les fractions nationalistes, l��tat fait le plus mauvais calcul qui soit. En Corse tout finit par se payer cher."

J�ai revu Corte au cours de l��t� 1998.

Il m�a r�v�l� les noms de Jean Castela et de Vincent Andriuzzi affirmant qu�il �tait certain de leur implication. Je lui ai �videmment propos� de rencontrer les enqu�teurs. Il a refus�.

Je suis all� voir Roger Marion � la suite de ces r�v�lations. Il me montra spontan�ment les dossiers de Castela et de Vincent Andriuzzi qu'il avait en �vidence sur son bureau. Les renseignements g�n�raux parisiens avaient �tabli les rapprochements.

Plus tard en septembre 1998, Corte m'indiqua le nom d�Alain Ferrandi qu�il me pr�senta avec certitude comme le chef du commando. Personne ne l'imaginait. Les yeux dans les yeux, Corte m'a donn� le nom d'Alain Ferrandi. Il m'assura que le groupe des anonymes �tait aussi impliqu� dans les attentats commis contre l�Ena � Strasbourg et contre la brigade de gendarmerie de Pietrosella le 6 septembre 1997. Corte avait eu cette formule dans mon bureau: "Ils sont tr�s forts; ce sont de vrais joueurs d'�checs, ils ont toujours un ou deux coups d'avance".

J'ai donc eu connaissance d�s septembre 1998 de trois noms pr�sent�s avec certitude par Corte comme des membres du groupe des anonymes ayant revendiqu� l'assassinat : Andriuzzi, Castela et Ferrandi, le chef du commando..

Je n'ai pas �videmment pas gard� ces informations pour moi.

J'ai inform� le gouvernement de leur existence. La p�riode n'�tait pas favorable.
L'accident op�ratoire de M. Chev�nement d�but septembre avait boulevers� les circuits d'information. Mr Chev�nement avait veill� � une coordination �troite entre son cabinet, les magistrats enqu�teurs et Roger Marion. Matignon avec l'absence de M. Chev�nement prit les choses en mains et sous l'impulsion de Christnacht, conseiller du Premier ministre, instaura un nouvel �quilibre au profit de la Chancellerie. "L'axe Brugui�re Marion" n'�tait plus du tout privil�gi� dans l'enqu�te.

C'est donc le ministre de l�int�rieur par int�rim (M. Queyranne) qui m'a re�u dans la premi�re quinzaine de septembre 1998 en pr�sence de ses proches collaborateurs. Je rencontrais aussi Olivier Schrameck, le directeur de cabinet du Premier Ministre. Je leur fis part de ma conviction de d�tenir des renseignements in�dits notamment sur les mobiles et l'identit� du chef pr�sum� du commando.

Je pris en m�me temps rendez-vous avec le juge Brugui�re. Il pensait mettre � profit une visite qu'il avait programm�e en Corse pour s'entretenir avec moi, mais elle fut annul�e et apr�s plusieurs reports, le rendez-vous fut fix� au 16 novembre 1998 � Paris, date qui correspondait � une r�union des pr�fets au minist�re de l'int�rieur.

Alors que je sollicitais un rendez-vous du pr�sident Brugui�re, je pris sur moi de communiquer au colonel de l�gion de gendarmerie Mazeres les trois identit�s que m'avait r�v�l�es Corte: Ferrandi, Castela et Andriuzzi.

Cette imprudence �tait commise de bonne foi, car la gendarmerie �tait charg�e - avec la police judiciaire d'Ajaccio - de l�enqu�te sur l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella en septembre 1997. Elle �tait donc concern�e par mes informations puisque les "anonymes" m'�taient pr�sent�s comme responsables de l'assassinat et des attentats de l'automne 1997.Et la gendarmerie n'avan�ait pas dans son enqu�te. Elle cherchait depuis des mois l'origine d'une empreinte d'une chaussure de boxe relev�e sur les lieux de l'attentat contre la brigade de Pietrosella.

Il m��tait apparu indispensable d'avertir le colonel Mazeres pour une autre raison. Le groupe des anonymes envisageait, selon mon informateur, de repasser � l'action selon la m�thode utilis�e contre les gendarmes de Pietrosella. Leur projet aurait consist� � d�rober � nouveau une arme � des gendarmes et � perp�trer un nouvel assassinat qu'ils auraient "sign�" avec l'arme vol�e. La brigade de gendarmerie de Belgod�re en Balagne aurait �t� choisie comme cible.

J�apprendrai ult�rieurement que le dispositif renforc� de surveillance de la brigade de Belgod�re avait �t� �vent� et que les plans avaient �t� chang�s. Le commando aurait finalement eu le projet d�intercepter un fourgon de gendarmerie de la brigade de Belgod�re � Ogliastru, en Balagne, o� la gendarmerie surveillait la circulation rendue difficile par des travaux routiers.

Je reviens au rendez-vous que j�avais obtenu du juge Brugui�re le 16 novembre 1998.

Le samedi 14 novembre 1998, j�appelai Clotilde Valter, conseill�re du Premier ministre pour l�informer que je verrai le juge Brugui�re le lundi 16 novembre 1998 et que je lui remettrai une note "blanche" sur les informations que j�avais recueillies.

Clotilde Valter manifesta une vive r�ticence et me dit qu'elle allait en parler avec Olivier (Schrameck) et qu'elle me rappellerait. Ce qu'elle fit dans l'heure.

Je re�us l'ordre (ce n'�tait pas un simple conseil) de d�commander mon rendez-vous avec le juge Brugui�re et de prendre contact avec M. Dintilhac, procureur de la R�publique de Paris que Matignon avait pris soin d'informer.

J�ai argument�, faisant valoir que le juge Brugui�re allait s��tonner. En vain.
Matignon se d�fiait du juge Brugui�re. Les vives protestations suscit�es en Corse par les interpellations nombreuses et souvent t�nues de la piste agricole avaient install� la m�fiance.

Cet ordre de Matignon transmis par Clotilde Valter est responsable d'un �norme cafouillage dans l�enqu�te.

La rencontre avec le Procureur Dintilhac eut lieu le 16 novembre 1998 � 17 heures 30, au Palais de Justice en pr�sence d�un substitut. Mr Dintilhac m�a tr�s bien re�u. Il me confia que la remise en libert� de Filidori une semaine auparavant par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris avait ruin� la cr�dibilit� de la piste agricole et que d�sormais, il n'y avait plus de piste s�rieuse. Mes renseignements �taient inesp�r�s dans ce contexte.

Le Procureur de la R�publique de Paris a confirm� l'importance qu'il avait accord�e � mes r�v�lations lors de son audition le 28 octobre 1999 par la commission d'enqu�te parlementaire sur le fonctionnement des forces de s�curit� en Corse.

Mr Dintilhac m�indiqua le 16 novembre 1998 qu�il r�digerait � l'issue de notre entretien une note qu�il remettrait lui-m�me au pr�sident Brugui�re qui, m'apprit-il, �tait un de ses camarades de promotion. Il s�engagea � ce que ni moi ni ma source n�apparaissions.

Au cours de l�entretien, je commentais ma note que j�avais dat�e du m�me jour.

J�insistais tr�s fortement au d�but de ma note sur la n�cessit� d'approfondir l�enqu�te � partir des trois noms que je citais - Ferrandi, Castela et Andriuzzi- et surtout de ne pas pr�cipiter des interpellations qui, dans l'imm�diat, seraient incompl�tes. Mr Dintilhac le confirma aux parlementaires de la commission d'enqu�te lors de son audition du 28 octobre 1999: "celui qui m'avait donn� cette information m'avait pr�cis� qu'il ne fallait pas se pr�cipiter, mais cerner et pr�parer le terrain".

Je d�taillais les mobiles de l�assassinat que m�avait pr�cis�s Corte :

- venger la mort des nationalistes qui s'�taient entretu�s en 1995 et 1996 � la suite des pr�tendues man�uvres de l��tat. "Le sang lave le sang ".
- d�fier l��tat en assassinant son repr�sentant et provoquer une r�action de rigueur qui souderait � nouveau les nationalistes.
- d�stabiliser ceux que les membres du commando appelaient les petits chefs de bandes nationalistes qui voulaient se pr�senter aux �lections territoriales de mars 1998 ce qui, pour ces int�gristes de la cause nationaliste, �tait une abdication par rapport aux objectifs initiaux de la "lutte nationale."

Je pr�cisais aussi dans ma note que le commando n�avait b�n�fici� d�aucune aide ext�rieure, les habitudes du pr�fet Erignac �tant connues.

J�ajoutais que le commando avait eu le projet de passer � l'action quelques semaines plus t�t � l�occasion d�un match de volley- ball du Gazelec d�Ajaccio. Cette tentative avait tourn� court, car Claude Erignac ne s'�tait pas rendu au match ce soir-l�.

J��crivais que les auteurs de l�assassinat �taient le bras arm� du groupe des anonymes.

Je r�v�lais trois noms en distinguant les "intellectuels", Jean Castela et Vincent Andriuzzi, de l�"op�rationnel" Alain Ferrandi.

J��crivais que la participation de ces trois personnes aux pr�paratifs de l�assassinat de Claude Erignac �tait quasiment certaine.

Apr�s avoir re�u l�assurance de M Dintilhac qu�il allait imm�diatement informer le juge Brugui�re, je prenais cong�. Confiant et soulag�.

H�las le 18 novembre 1998, deux jours apr�s ma rencontre avec Mr Dintilhac, la police de l'anti-terrorisme (la DNAT) interpellait Castela et Andriuzzi et ignorait le chef pr�sum� du commando, Alain Ferrandi.

Les policiers de la DNAT n�avaient pas eu mat�riellement le temps d'exploiter les renseignements que j�avais fournis au Procureur de la R�publique de Paris.
Vincent Andriuzzi fut remis en libert� � l�issue de ses quatre jours de garde � vue. Jean Castela fut �crou� pour sa participation pr�sum�e � d'autres attentats plus anciens.

La non-interpellation du chef pr�sum� du commando, Alain Ferrandi �tait surprenante au regard de mes informations, elle ne l'�tait pas au regard de ce que pensaient les enqu�teurs.

J�en tiens pour preuve les termes de la note blanche de janvier 1999 de la direction r�gionale des renseignements g�n�raux de Corse adress�e � sa hi�rarchie parisienne : " l�activit� publique d�Alain Ferrandi est aujourd�hui totalement �teinte. Il semble vivre une vie rang�e et r�guli�re avec sa femme Jeanne et son enfant. "

Dans cette m�me note blanche, il est �crit : "Dans son environnement amical, on retrouve plusieurs militants nationalistes tels que Pierre Alessandri, Mathieu Ceccaldi, St�phane et Yvan Colonna, Joseph Versini. "

Si mes informations avaient �t� exploit�es en novembre 1998, cette note blanche de janvier 1999 permet de penser que les informations relationnelles dont disposaient les enqu�teurs auraient pu circonscrire le champ de leurs investigations sur l'identification des appels enregistr�s sur les t�l�phones portables le 6 f�vrier 1998 � Ajaccio.

Un �v�nement ancien d'une certaine gravit� aurait pu permettre aux enqu�teurs de faire des rapprochements.

Je venais de prendre mes fonctions de pr�fet de police en Corse en janvier 1991 quand survint une affaire s�rieuse impliquant notamment deux membres pr�sum�s du commando Erignac, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Ils avaient pris part � la s�questration en janvier 1991 d'Aur�lien Garcia, commissaire du d�veloppement de la Corse. � la t�te d'un commando, ils l�avaient bouscul� dans son bureau, ficel�, et finalement abandonn� sur le tapis roulant de l�a�roport d�Ajaccio avec une �tiquette fix�e sur un fil de fer autour du cou, au nom de son ministre de tutelle M. Ch�r�que.

Le tribunal d'Ajaccio, o� Yvan Colonna avait �t� remarqu� apportant son soutien aux pr�venus, les condamna � 3 mois de prison avec sursis, situant � un niveau bas l'�chelle des sanctions pour l'agression physique d'un haut responsable de l'administration, qui quitta l'�le en raison du traumatisme subi.
L'indulgence du jugement peu dissuasive pour les auteurs ne fut pas contrari�e par le Procureur g�n�ral de Bastia, M. Nadal, qui n'a pu relever appel.

Comment expliquer les interpellations � contretemps du 18 novembre 1998?

C'est la cons�quence de l'irruption de Matignon dans l'enqu�te et de la d�fiance des conseillers du Premier ministre envers "l'axe Brugui�re Marion."

Le procureur de la R�publique Mr Dintilhac m'a re�u, je le r�p�te, de mani�re
courtoise et professionnelle. Il m'a assur� qu'il pr�serverait mon anonymat et
qu'il ne r�v�lerait pas au juge Brugui�re que je l'avais inform�. Il �tait pourtant �vident (et je l'avais dit) que le juge Brugui�re avec qui j�avais annul� mon rendez-vous le matin m�me du 16 novembre 1998 le questionnerait. Il allait se douter que j'�tais � l�origine des informations que le procureur Dintilhac lui transmettrait.

C'est ce qui se produisit. Respectant l'engagement pris, le Procureur Dintilhac ne divulgua pas au juge Brugui�re l'origine de ses informations. Ce dernier d�cida sans doute de se donner le temps de v�rifier la fiabilit� des nouvelles informations. Il ne s'opposa pas aux interpellations du 18 novembre 1998.

L�enqu�te aurait pu �tre compromise d�finitivement sans l'action de la gendarmerie.

Lorsque les gendarmes qui enqu�taient sur Castela, Ferrandi et Andriuzzi - � la suite des confidences que j'avais faites au colonel Mazeres - ont constat� que Ferrandi n��tait pas interpell� par les policiers lors des op�rations du 18 novembre 1998, ils prirent l�initiative de surveiller son domicile.
Le soir m�me des interpellations ou le lendemain, je ne m'en souviens pas, le colonel Mazeres me r�v�la que les gendarmes d'une unit� sp�cialis�e avaient surpris le d�part en trombe de Ferrandi de son domicile en pleine nuit.

Sous la pluie, les gendarmes r�ussirent � conserver le contact avec le v�hicule de Ferrandi qui s'arr�ta � Carg�se. Un passager monta � bord et le v�hicule retourna � Ajaccio et s'immobilisa pr�s d'un bar au quartier de Mezzavia. Les gendarmes pensaient avoir reconnu St�phane Colonna sans en �tre absolument s�rs. C'est la premi�re fois et peut-�tre la seule fois qu'un contact a �t� not� entre le chef pr�sum� du commando, Alain Ferrandi et ,pour le moins, un habitant de Carg�se ayant un lien avec le chef pr�sum� du commando.

Quelques semaines apr�s l'�pisode des interpellations de novembre 1998, malgr� ses craintes apr�s ce premier fiasco, Corte me confia de nouveaux �l�ments que je consignais dans une nouvelle note que je remettais et commentais personnellement le 11 d�cembre 1998 au Procureur de la R�publique de Paris.

Je rappelais dans cette note dat�e du 10 d�cembre 1998 les mobiles de l'assassinat.

J'apportais un �l�ment essentiel pour �tablir le lien entre le groupe du Nord et celui du Sud.
J'�crivais que: " le nom de Jean Castela est connu des services de police depuis plusieurs mois .Une filature de Castela par ces services avait �chou� au cours de l'�t�. En fait le groupe auquel il appartient s'�tait alors retrouv� dans l'appartement occup� par la s�ur d'Alain Ferrandi. Cet �l�ment est capital pour l'enqu�te."

C��tait effectivement un point central : les policiers qui "filaient" Castela depuis Bastia ce jour d'ao�t 1999 avaient perdu sa trace devant l�immeuble A Mandarina � Ajaccio. En d�cembre 1998, le commissaire des RG Pupier me confiait qu�il �tait encore � cette date charg� de localiser l�appartement.

J'�crivais aussi dans cette note du 10 d�cembre 1998 que Ferrandi est le pivot du commando. Les autres membres "seraient ses lieutenants d�une ancienne �quipe du FLNC canal historique du secteur de Carg�se Sagone".

Un fils Colonna �tait cit� qui n'�tait pas Yvan.

Enfin Corte m�avait r�v�l� qu�apr�s les interpellations du 18 novembre 1998, le code d�authentification du groupe des Anonymes avait �t� retir� � Andriuzzi et remis � Alain Ferrandi. Les contacts entre le nord et le sud se faisaient alors par un employ� de Hertz Bastia. Un certain Mattei, de m�moire. Je l'indiquais.

D�autres pr�cisions contenues dans cette note venaient-elles du travail de surveillance des gendarmes qui avaient identifi� Versini et Istria avec des pr�noms ne correspondant pas � ceux des accus�s.

Apr�s avoir remis cette note au Procureur de la R�publique le 11 d�cembre, les �v�nements se pr�cipit�rent.

� la mi-d�cembre 1998, la gendarmerie fut dessaisie de l�enqu�te Pietrosella au profit de la DNAT.

La gendarmerie qui �tait all�e tr�s loin dans son enqu�te avait �veill� les soup�ons du juge Thiel qui avait au surplus pris connaissance d'une note de la direction de la gendarmerie de fin octobre 1998 critiquant son attitude dans l'enqu�te la qualifiant, bien imprudemment, de timide.

� la fin de l'ann�e 1999, le ministre de l'int�rieur Mr Chev�nement reprit ses fonctions.

Inform� par son conseiller, Philippe Barret, de l�existence de mes notes, le ministre demanda � Bergougnoux, le directeur adjoint de son cabinet de me recevoir avec le juge Brugui�re pour les �voquer. L'axe Brugui�re Marion �tait reconstitu� pour l'enqu�te.

La r�union eut lieu Place Beauvau le 8 janvier 1999 dans le bureau de Patrice Bergougnoux.
J
e commentais � nouveau ce jour-l� mes notes que j�avais remises plusieurs mois auparavant au Procureur de la R�publique de Paris. Je peinais � convaincre mes interlocuteurs tant ils privil�giaient encore la piste Filidori, qui sera d'ailleurs le premier mis en examen dans l'enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac.

Le ministre de l'int�rieur m'ayant somm� dans une r�union organis�e dans son bureau le 26 f�vrier 1999 de ne plus interf�rer dans l'enqu�te, je fus oblig� de contourner cette interdiction en communiquant � M. Pupier, directeur r�gional des renseignements g�n�raux, les ultimes informations que Corte m�avait confi�es pour qu'il les fasse remonter � sa hi�rarchie.

Ces informations ont trait � un week-end de fin janvier ou f�vrier 1999 � Cristinacce, petite commune situ�e � l'int�rieur du triangle Vico Sagone Carg�se.
Corte m'avait appris que le commando s�y �tait retrouv� dans la propri�t� d'un des membres pr�sum�s du commando.


Au cours du week-end, un parent d�Alain Ferrandi l�aurait appel� de Nice lui demandant s�il avait lu l'article du Figaro publi� plusieurs semaines auparavant sous la signature d'�ric Pelletier sur le projet d'attentat contre la brigade de gendarmerie de Belgod�re. Cette conversation aurait �veill� la m�fiance de Ferrandi, qui suspendit tout projet nouveau d'assassinat.

Ces projets refirent surface quelques semaines plus tard.

Le commando aurait envisag� de s�attaquer au procureur de la R�publique de Bastia. Des rep�rages avaient m�me �t� effectu�s selon Corte ; le commando avait constat� que le samedi matin le procureur, Patrick Vogt, �tait sans protection au moment o� il achetait ses journaux dans un kiosque pr�s du palais de justice de Bastia.

Ce sont les derni�res informations que j�ai obtenues de Corte.

Je les ai transmises imm�diatement � Mr Vigouroux, directeur de cabinet de la ministre de la Justice, Mr Bergougnoux, directeur adjoint du cabinet du ministre de l'int�rieur et � Clotilde Valter, conseill�re technique du Premier Ministre.
C'�tait fin mars, d�but avril 1999.

Pour conclure mon t�moignage, je voudrais dire que l'assassin pr�sum� et identifi� depuis quatre ans, Yvan Colonna, n'est pas le seul absent.

Sont aussi absents ceux qui savaient qu'un projet d'attentat �tait projet� contre le pr�fet Claude Erignac.

Ils avaient r�dig� le 21 janvier 1998 un communiqu� de mise en garde et de condamnation anticip�e: "Nous condamnons par avance toute action qui pourrait �tre men�e contre certains fonctionnaires �minents de l��tat colonial ".

Cet avertissement explicite avait �t� adress� � Guy Benhamou, alors journaliste � Lib�ration qui a affirm� en avoir imm�diatement inform� les autorit�s judiciaires.

Se pourrait-il que la v�rit� f�t triste, c'est-�-dire que l'avertissement de l'imminence de l'assassinat du pr�fet Erignac ait �t� n�glig�, et que la trag�die qui aurait pu alors �tre �vit�e ait �t� consomm�e par n�gligence? Qui a trait� ou n'a pas trait� cet avertissement?

Bernard BONNET
Pr�fet hors cadre

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