Proc�s Erignac : le profil des accus�s
Jun 5, 2003
Auteur: L'investigateur

Assis dans le box, Martin Ottaviani, 35 ans, affiche une mine renferm�e. Si on en croit l�acte d'accusation, c'est lui qui pilotait la voiture des assassins de Claude Erignac, qu'il aurait d�pos�s sur le lieu du crime et repris une fois celui-ci accompli. Ottaviani est un silencieux. Selon divers t�moignages c�est un personnage sans grande envergure.

Martin Ottaviani, se tient les bras crois�s, tourn� vers la cour : �Ma famille ne fait pas de politique�.Les enqu�teurs ont soulign� qu�elle aurait ignor� son action clandestine. Il parle d�une scolarit� chaotique. En 1989, Martin Ottaviani rejoint le groupe Filippi et plus particuli�rement la succursale Hertz de l'a�roport Campo Dell'Oro d'Ajaccio, qui sera dirig�e par Alain Ferrandi et o� officiera aussi Marcel Istria. Il est charg� de convoyer les v�hicules � travers l'�le, d'agence en agence.
La famille Filippi a d�ailleurs jou� un r�le �tonnamment important dans cette affaire. Pour pr�cisions, le pater familias, Jean-Fran�ois Filippi �tait maire de Lucciana mais �galement patron du SCB. Il sera mis en cause dans la catastrophe de Furiani. C�est parce qu�il aurait plastiqu� l�une de ses voitures que Robert Sozzi sera assassin� par des hommes de Charles Pieri en juin 1993 il y a exactement dix ans. C�est la revendication de son assassinat par le FLNC Canal historique qui sera applaudi par des avocats (m�me s�ils s�en d�fendent aujourd�hui) � savoir Jean-Guy Talamoni, Marie-H�l�ne Mattei et Vincent Stagnara. Jean-Fran�ois Filippi sera accus� par la rumeur d��tre le bailleur de fonds du FLNC Canal historique. Par ailleurs, la soci�t� Hertz sera r�guli�rement utilis�e par les dirigeants de la Cuncolta (vitrine l�gale du FLNC Canal historique). La famille Filippi leur consent des prix plus qu�int�ressants.

Le 26 d�cembre 1994, � la veille du proc�s de la catastrophe de Furiani, Jean-Fran�ois Filippi est abattu vraisemblablement par un tueur du FLNC Canal habituel. Quelques heures avant son enterrement, le 28 d�cembre, Franck Muzy, responsable du comit� Robert Sozzi est tu� � son tour par le Canal historique.

Or le nombre de pr�sum�s assassins du pr�fet Erignac travaillant pour le groupe Filippi est r�v�lateur.
L�interrogatoire d�Ottaviani se poursuit. �Parlez-nous de vos engagements politiques.�

Martin Ottaviani, n�emploie pas les termes de �nationalisme�, de �s�paratisme� ou d��ind�pendantisme� : �Je me suis engag� l�-dedans vers 25 ou 26 ans, sans faire partie d'aucun mouvement. J'ai pris mes engagements sur les actions � partir du 6 septembre 1997.� C�est-�-dire la date de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, o� fut d�rob�e l'arme avec laquelle fut tu� Claude Erignac.

Me Vincent Stagnara insiste sur l'excellente r�putation dont jouissait celui-ci, aussi bien dans sa vie priv�e que dans le cadre de ses activit�s professionnelles, et l'incite � revenir sur l'�poque o� il a �pris ses responsabilit�s�.

Martin Ottaviani d�clame : �Je n'ai pas h�sit� � sacrifier ma vie de famille et ma libert� pour que le peuple corse puisse vivre en paix et que l'�tat cesse ses r�pressions.�

Marcel Istria, 46 ans, prend le relais. Il nie tout r�le dans l'assassinat du pr�fet Il raconte son enfance difficile � p�re inconnu, cinq fr�res et s�urs tous plac�s dans des foyers �, les petits boulots, sa vie de c�libataire (�les circonstances ne m'ont pas permis de rencontrer l'�me s�ur�), le RMI, et puis, finalement, un travail mensualis� dans le groupe Filippi. Veilleur de nuit, il assure la s�curit� dans un hangar du site Hertz de Campo Dell'Oro. Son chef direct est Alain Ferrandi, le chef du commando qui l�a recrut� en 1996.


�J'ai toujours eu des id�es de gauche pour la cause corse.� Militant communiste, puis il rejoint la Cuncolta puis dit s�en �tre d�tach�. Le pr�sident ne lui demande pas quand. Il croise, dans sa section cuncoltiste, Pierre Alessandri et Didier Maranelli, assis aujourd'hui sur le m�me banc que lui.
Alain Ferrandi, chef pr�sum� du commando accus� d'avoir tu� le pr�fet de Corse Claude Erignac en 1998, est interrog� le lendemain mercredi. Il a revendiqu� mercredi devant la cour d'assises sp�ciale de Paris ses id�es nationalistes et "anti-coloniales".

"Lorsque vous �tes jeune en Corse, vous n'avez que deux voies possibles: soit vous �pousez les id�es nationalistes, soit vous devenez le sujet d'une chefferie locale au comportement moyen�geux", affirme-t-il avec un sens du raccourci qui �limine tout de m�me 80% de la jeunesse corse.

Cet ancien agriculteur de 42 ans, fils d'un militaire de carri�re, a expliqu� qu'il avait toujours voulu lutter contre le "caract�re colonial de l'�tat fran�ais" et qu'il jugeait un tel combat "indispensable au d�veloppement �conomique de la Corse".

Il a admis � l'instruction avoir coordonn� l'action du commando Erignac, le 6 f�vrier 1998 � Ajaccio. Alain Ferrandi s'est pr�sent� comme un "homme libre" qui aurait quitt� les mouvements nationalistes au d�but des ann�es 90, au d�but d'une guerre entre factions qui a fait une vingtaine de morts. Il n'a jamais quitt� la Corse, � l'exception d'un s�jour de cinq mois sur le continent en 1980-1981 pour des �tudes rapidement interrompues.

� partir de 1988, il a ensuite tent� de d�velopper une exploitation agricole, sans succ�s. Il a n�anmoins particip� � de nombreuses actions agricoles men�es par le mouvement nationaliste sous le couvert d�organisations comme u sindicatu corsu di l�agricultura (SCA) et u sindicatu paesanu corsu (SPC). Il a alors c�toy� outre de nombreux membres de son commando, Marcel Lorenzoni aujourd�hui d�c�d� et les agriculteurs nationalistes du Fium�Orbo dont Mathieu Filidori. Un diff�rent �clate en Alain Ferrandi et son associ� Joseph Santoni. Ce dernier lui aussi membre du secteur Cargese Sagone du Canal historique reprochera � Ferrandi d�en faire � sa t�te concernant la lev�e de l�imp�t r�volutionnaire c�est-�-dire le racket. Ferrandi alors appuy� par Yvan Colonna veut prendre du champ par rapport � la direction du Front incarn� notamment par Jean Biancucci (aujourd�hui signataire d�A Tramula). Ils ont la majorit� et Joseph Santoni quitte ce secteur et rejoint celui d�Ajaccio o� milite l�homme qui monte : Fran�ois Santoni. N�anmoins le modus vivendi stipulait que Joseph Santoni garderait l�exploitation. Ferrandi contacte donc la famille Filippi par le biais du secteur bastiais et il entre en novembre 1992 au service de la soci�t� Hertz. C�est exactement l��poque o� le groupe Filippi est accus� par un grand nombre de personnes d��tre en partie responsable de la catastrophe de Furiani survenue en mai 1992.

On peine � croire que Jean-Fran�ois Filippi ait accept� d�engager des militants de la Cuncolta en rupture de ban. D�autant qu�en 1994-95, lorsque le lieutenant de Fran�ois Santoni, Jules Massa allait chercher les journalistes � l�a�roport de Campo dell�Oro pour les mener � la villa de la famille Cantara, cela se passait toujours dans une voiture Hertz lou�e � Alain Ferrandi.

Ferrandi a longtemps habit� � Cargese et il appartenait au m�me groupe nationaliste qu�Yvan Colonna. La rumeur qui est difficile raconte qu�il avait demand� � Lucien Tirroloni des subventions. Lucien Tirroloni, tr�s proche du RPR, avait alors refus� se rappelant qu�il avait fait renvoy� Ferrandi du CDJA. Le 19 d�cembre, au sortir d�un arbre de No�l, Lucien Tirroloni est abattu par un tireur � moto. Il sera remplac� par Alain Modat un proche de Fran�ois Santoni. La rumeur pr�tait au secteur Cargese-Sagone, l�ex�cution de Tirroloni. Ironie de l�histoire : la rumeur raconte aussi que les premiers renseignements sur le commando Erignac sont parvenus � la gendarmerie depuis la direction de la FNSEA Corse du Sud, � la demande de la direction du FLNC Canal historique.

La d�fense entend pr�senter les cinq accus�s qui reconnaissent les faits, dont Alain Ferrandi, comme des "hommes ordinaires" qui auraient agi par id�alisme et patriotisme corse. On remarquera au vu des renseignements donn�s ci-dessus que ce n�est tout de m�me pas monsieur tout le monde qui vit de pareilles aventures.

Elle oublie que presque tous les mis en examen ont �t� militants du FLNC Canal historique. Elle oublie que ces hommes ont v�cu par la violence durant des ann�es et, en d�finitive, n�ont fait qu�aller jusqu�au bout de leur propre chemin en assassinant le pr�fet.
Seule bouff�e d�oxyg�ne au milieu de ces d�clarations compr�hensibles mais indigestes, les remords de Pierre Alessandri, qui s'est adress� mercredi � la famille de la victime pour exprimer ses "profonds regrets pour la douleur et la souffrance" inflig�es, soulignant que ce n'�tait pas l'homme qui �tait vis� mais "le symbole de l'�tat".S'adressant au troisi�me jour du proc�s � la veuve du pr�fet, Dominique Erignac, et ses deux enfants, assis en face du box des accus�s, Pierre Alessandri, a d�clar�: "je voudrais vous exprimer mes profonds regrets pour la douleur et la souffrance qu'on vous a inflig�es. J'esp�re, au cours des deux mois (du proc�s, NDLR), vous faire comprendre que ce n'est pas Claude Erignac en tant qu'homme que nous avons vis� mais le symbole de l'�tat".

Auparavant Alessandri, soup�onn� d'avoir �t� pr�sent, arm�, pr�s du lieu de l'assassinat, avait soulign� que "l'organisation mat�rielle" du proc�s conduisait � un "face � face p�nible" et demandait � la famille de la victime de ne pas interpr�ter les regards ou les absences de regards comme des provocations ou des fuites.

Au d�but de son interrogatoire de personnalit�, Pierre Alessandri, 44 ans, s'�tait qualifi� de "patriote" en d�non�ant "la politique coloniale men�e par l'�tat en Corse". Il a reconnu avoir "men� une vie normale et heureuse" jusqu'au 6 f�vrier 1998, date de l'assassinat du pr�fet.

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