Erignac : le sc�nario est loin d��tre limpide
Jun 18, 2003
Auteur: L'investigateur

Telle est la Corse : une soci�t� pleine de contradictions et pour tout dire insaisissable. Dans quelle autre soci�t� trouverait-on � la fois un tel niveau de violence (la mort d�un pr�fet et d�autres assassinats par dizaines) et le repentir sinc�re, touchant des assassins. Quand a-t-on entendu des militants de l�ETA ou de l�IRA regretter leurs gestes de mort ? Un des assassins pr�sum�s du pr�fet Erignac, Pierre Alessandri, a reconnu mardi avoir commis "un assassinat", "un acte l�che", a-t-il indiqu� devant la cour d'assises sp�ciale de Paris qui avait entam� depuis quelques minutes l'examen de l'assassinat du pr�fet de Corse.""� l�ext�rieur, on joue un peu sur les mots mais c'est un assassinat, un acte l�che. Nous n'avons jamais cherch� la gloire � tuer un homme d�sarm� dans le dos", a d�clar� Pierre Alessandri, au onzi�me jour du proc�s.",. Comme Alain Ferrandi, il a reconnu avoir �t� sur les lieux du crime. "Nous n'avons jamais tir� aucune gloire d'avoir tu� quelqu'un par-derri�re", a-t-il ajout�, apr�s qu'une polici�re e�t expliqu� que le pr�fet avait �t� touch� par trois balles qui avaient toutes �t� tir�es dans la nuque.

Interrog� par un avocat, Pierre Alessandri a �galement admis que si le pr�fet avait �t� accompagn� par un garde du corps ou un chauffeur, il n'aurait pas �t� tu�.

Pierre Alessandri a toujours �t� le plus fragile des conjur�s. Ses amis le d�crivaient tourment� apr�s l�assassinat du pr�fet. Ce geste d�finitif le torture. Il a besoin de le dire et c�est tout � son honneur.

Mais les accus�s sont avares en explications quant aux faits et aux responsabilit�s individuelles, m�me s'ils assument "un acte collectif dans sa d�cision et dans sa r�alisation". "La responsabilit� collective va peut-�tre au-del� de notre groupe", a expliqu� Pierre Alessandri avant qu'Alain Ferrandi ne soit plus explicite: "la responsabilit� de la situation en Corse est collective. Elle incombe aux Corses et � l'�tat fran�ais".

Et c�est l� la limite de ce repentir : la confrontation de l�acte individuel et la recherche d�une autre responsabilit� plus vaste qui excuserait ou expliquerait ce qu�Alessandri ne parvient pas � s�expliquer lui-m�me.

Claude Erignac avait �t� tu� le 6 f�vrier 1998 � 21H05 alors qu'il marchait seul dans une rue d'Ajaccio pour se rendre au th��tre o� il devait rejoindre son �pouse. Selon les enqu�teurs, Pierre Alessandri se trouvait � l'entr�e de la rue et faisait le guet, alors qu'Alain Ferrandi se trouvait au c�t� d'Yvan Colonna, le tueur pr�sum�, en fuite depuis quatre ans.

Refusant de s'expliquer sur les d�tails de l'assassinat, les deux hommes ne sont pourtant pas revenus sur la version qu'ils ont donn�e en 1999 lors de leur arrestation et qui pr�sente Yvan Colonna, aujourd'hui en fuite, comme le tireur.
Toujours selon la version de l�accusation, Alain Ferrandi accompagnait le soir du crime Yvan Colonna tandis que Pierre Alessandri se trouvait non loin, en "couverture".

Mardi, les deux hommes n'ont cependant pas prononc� le nom du fugitif.
Pri� de dire s'il avait lui-m�me fait feu, Alain Ferrandi a r�pondu par la n�gative. Une rumeur dans les coulisses du proc�s annon�ait depuis la semaine derni�re qu'il pourrait endosser le crime en lieu et place d'Yvan Colonna.

� la m�me question, Pierre Alessandri a r�pondu: "Nous nous refusons � entrer dans la r�partition des r�les. Nous revendiquons et assumons un acte collectif dans sa globalit�, de la d�cision � l'accomplissement".

Les avocats de la veuve et des enfants du pr�fet ont exhort� les accus�s � s'expliquer, au nom de la "dignit�".

Ils ont refus�, ajoutant qu'il n'y avait "aucune volont� d'offense envers Mme Erignac".Pierre Alessandri et Alain Ferrandi n'ont pourtant pas mis hors de cause Yvan Colonna en se refusant "� entrer dans la r�partition des r�les".
Pierre Alessandri a n�anmoins critiqu� implicitement un manifeste publi� avant le proc�s par des nationalistes corses, qui mettait en parall�le les chagrins des familles des accus�s et celui de la veuve du pr�fet.

"Notre but n'est pas de comparer les douleurs de la famille Erignac � celles de nos familles. Les douleurs s'additionnent, elles ne se comparent pas", a-t-il dit.
Dominique Erignac, veuve du pr�fet, est venue � la barre en fin d'apr�s-midi raconter la soir�e du 6 f�vrier 1998.

Son mari l'avait d�pos�e au th��tre Le Kalliste, avant de partir garer la voiture dans la rue o� il devait �tre abattu de trois balles dans la nuque.

"Nous avions pris l'habitude de vivre le plus normalement possible. Mon mari voulait conna�tre les gens de cette �le, nous voulions vivre librement", a-t-elle dit, sans �motion apparente.

"Mais en Corse les choses sont compliqu�es, on n'est jamais tr�s d�tendu", a-t-elle ajout�, sans regarder les accus�s.

Puis est arriv� l'ex-patron du SRPJ de Corse, D�metrius Dragacci, celui que le commissaire Marion avait �cart�. L�homme est massif. Il a le verbe fort et il n�a jamais aim� les nationalistes particuli�rement ceux de son village, Cargese. C'est dire s�il conna�t les accus�s. Il connaissait les parents de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi et �tait � l'�cole avec la m�re d'un troisi�me accus�, Didier Maranelli.

Il commence par r�cuser la distinction que ceux-ci font entre l�homme et le symbole de l��tat.

"Je ne veux pas entrer dans cette marmelade intellectuelle. Quand on tue un fonctionnaire, on tue un homme. Le pr�fet Erignac avait pris � bras-le-corps les probl�mes de la Corse et c'est ce qui les d�rangeait", a dit l�ancien policier aujourd�hui �g� de 62 ans.

� l�issue de cette journ�e, la cour en reste donc � la version fournie en mai 1999 par les accus�s, selon laquelle Alain Ferrandi accompagnait le soir du crime Yvan Colonna, qui a fait feu, tandis que Pierre Alessandri se trouvait non loin de l�, en "couverture".

Parmi les autres accus�s, Didier Maranelli aurait signal� par t�l�phone l'arriv�e du pr�fet. Martin Ottaviani aurait servi de chauffeur aux tueurs apr�s le crime, et le groupe aurait rejoint Marcel Istria. Seul ce dernier nie toute implication.

Le sc�nario n'est cependant pas limpide. Cinq douilles ont �t� retrouv�es mais trois balles seulement ont atteint le pr�fet, ont dit les experts, qui ont avou� �tre incapables de refaire avec certitude le "film" de l'assassinat du pr�fet.
Les policiers mais �galement les observateurs auront not� la solitude des accus�s, solitude que viennent renforcer leurs � aveux �. Des t�moins ont fait remarquer que les premiers � les avoir d�nonc�s avaient �t� les dirigeants nationalistes au premier rang desquels Charles Pieri.

Les accus�s peinent encore aujourd'hui � comprendre que leur geste d�assassin mettait toutes les parties du drame corse dans une situation sans issue et qu�ils ne pouvaient �tre que sacrifi�s sur l�autel de la politique. Ils sont path�tiques mais rien ne peut faire oublier qu�un soir de f�vrier 1998 ils ont �t� la vie � un homme qui ne demandait qu�� vivre.

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