Proc�s Erignac : une terrible pesanteur
Jun 12, 2003
Auteur: L'investigateur

Le proc�s des assassins pr�sum�s du pr�fet Erignac a tendance � tourner � la farce. Dans un d�sert m�diatique quasi total, la d�fense oppose des arguments qui pourraient pr�ter � rire s�il ne s�agissait pas de la mort d�un homme et de la libert� de huit autres.

Mardi 10 juin au matin, Me Patrick Maisonneuve, avocat de Vincent Andriuzzi, consid�r� comme un des "inspirateurs" de l'assassinat du pr�fet, a demand� � ce qu'une interview de J.P. Chev�nement au Figaro Magazine soit ajout�e au dossier de la cour. Dans cette interview, J.P.Chevenement faisait part de sa conviction que le FLNC avait commandit� ce crime. Les preuves ? Aucune. Mais qu�importe pour l�ancien ministre devenu r�cemment nouveau vieillard battant en retraite.

La semaine pass�e, son confr�re Me �ric Dupond-Moretti, avocat de Jean Castela, avait confi� � la cour la cassette audio d'un entretien accord� quelques jours plus t�t � RTL, au cours duquel J.P.Chevenement tenait des propos similaires. "On peut dire sans risque de se tromper aujourd'hui que cet assassinat a en r�alit� �t� commandit� par le FLNC", avait affirm� l'ancien ministre de l'int�rieur sur RTL le 29 mai.
"Pour moi, l'explication est simple: cet assassinat a �t� revendiqu� par un groupe inconnu, Fronte Ribellu. Ce groupe n'�tait qu'un faux-nez du FLNC", avait-t-il encore dit.

Jamais Fronte Ribellu n�a revendiqu� l�assassinat du pr�fet Erignac. Mais l� encore qu�importe. La d�fense, d�cid�ment tr�s faiblarde, voit l� une b�ance. "Ces d�clarations se heurtent � la th�se de l'accusation", a expliqu� Me Maisonneuve, qui tente de profiter de la contradiction.
"Si l'on en croit le ministre, c'est le FLNC qui a commandit� l'assassinat. Mon client est un dissident du FLNC, donc il ne peut pas avoir ordonn� ce crime", a r�sum� Me Maisonneuve, d�veloppant la m�me ligne de d�fense que Me Dupond-Moretti.

Toute l�ambigu�t� d�une telle d�fense est que l�accusation port�e contre le FLNC ne tient qu�au radotage de Jean-Pierre Chev�nement alors que tout accuse justement un groupe dissident. Et si les propos de Chev�nement sont faux alors tout accuse les accus�s y compris la logique de leurs propres avocats. Mais tout cela n�est qu�enfantillage un zeste ind�cent dans de telles circonstances. Quand on attendait une d�fense politique, on a droit � des arguments de chat voleur de confiture. Aucun des cinq hommes accus�s de cet attentat ne reconna�t y avoir particip�.
St�phane Monti, 32 ans, par exemple, s'est d�fendu avec aplomb malgr� les tortueuses d�n�gations de ce "petit soldat du FLNC", comme il s'est parfois pr�sent�.

Si la cour a souvent eu du mal � le comprendre, c'est parce que ses explications ont vari� depuis son arrestation en octobre 1999. Il est accus� d'avoir particip� � trois actions men�es en 1994 � Mende (trois attentats � l'explosifs), Nice (interruption d'une �preuve d'agr�gation) et Paris (attentat contre le rectorat). Il a toujours reconnu avoir particip� seulement � l'op�ration de Nice et contest� les autres.

Mais l� o� ses d�clarations ont chang�, c'est sur le nom de ses complices. Jean Castela, Jean-Philippe Antoloni, Vincent Andriuzzi et Beno�t Fustier, a-t-il dit lors de sa garde � vue. Ces quatre hommes sont �galement jug�s par les assises sp�ciales. Devant la juge d'instruction, il s'est donc r�tract� mais sans intelligence. Il ne d�non�ait plus que Fustier et soutenait que la police l'avait "oblig�" � donner les autres noms. Devant la cour, il a affirm� mardi que les policiers l'avaient frapp� et avaient tout invent�. "Ils ont fait un faux", a-t-il assur�, refusant d'identifier les co-auteurs et indiquant seulement qu'ils n'�taient pas dans la salle.

"Les policiers ont-ils besoin de vous frapper pour faire un faux ?", l'a questionn� le pr�sident, Yves Jacob. Interrog� sur des d�placements sur le continent aux dates des autres attentats, l'accus� a multipli� les r�ponses peu vraisemblables. Il a expliqu� par exemple �tre all� � un match de football � Naples alors que les enqu�teurs le pensent � Mende, en Loz�re. Face � l'accusation qui note que le kilom�trage de la voiture de location ne correspond pas � Nice-Naples, il r�pond simplement que le loueur s'est tromp�.

Mercredi les enqu�teurs opposent aux d�n�gations de Castela un de ses carnets o� sont annot�s de bien troublantes descriptions de cibles � commencer par le rectorat de la rue Curial. Ils sont persuad�s que les Bastiais formaient une cellule clandestine et plastiquaient d�abord pour le Front ensuite pour leur propre dissidence.

Ce carnet reli� de moins de 10 cm de haut contient de nombreuses annotations de la main de Jean Castela, soup�onn� d'avoir particip� comme auteur ou complice aux attentats de 1994 et 1997 et d'avoir �t� "l'inspirateur" de l'assassinat du pr�fet Claude Erignac.
Saisi lors de l'interpellation de Castela en novembre 1998, ce carnet renferme "tous les �l�ments qui peuvent servir � un activiste du FLNC canal historique pour commettre des attentats", r�sume � l'audience Philippe Frizon, commissaire principal � la DNAT (Division nationale anti-terroriste).

Il ne contient cependant que des �l�ments relatifs au dernier attentat de 1994, celui contre le rectorat de Paris le 15 septembre 1994, avec notamment des plans et annotations pr�cis, mais rien concernant l'assassinat du pr�fet le 6 f�vrier 1998.
L'�bauche manuscrite du texte de revendication de cette action figure �galement dans le carnet et prouve, selon les enqu�teurs, que l'accus� "ma�trise le canal de revendication de l'organisation".

De son c�t�, Jean Castela, qui n'a pas encore �t� interrog� sur ce sujet par la cour, a indiqu� lors de l'instruction qu'un inconnu lui avait dict� certains �l�ments ou demand� d'en recopier pour les remettre � quelqu'un qui viendrait les demander. Personne ne les a jamais r�clam�s, a-t-il pr�cis�.

Les avocats opposent � ces faits une d�fense curieuse. Ils demandent � ce que les faits soient prescrits car pendant trois ans aucun acte judiciaire n�est venu les enrichir. Selon eux, les actes ne seraient donc plus judiciairement condamnables depuis 1998. La man�uvre a d�j� �chou� � deux reprises. Son inconv�nient est qu�elle se d�roule sur la forme et non sur le fond. Si la Cour d�Assises refuse la prescription comme l�ont d�j� fait la Cour d�appel et la chambre criminelle, ils auront tout perdu. Leurs clients seront jug�s coupables et prendront le maximum.

Tr�s curieusement, le Pr�sident ne montre gu�re de coh�rence. Il n�a pas laiss� le temps aux mis en examen de s�expliquer. Jeudi matin : rel�che. Jeudi apr�s midi commenceront les interrogatoires relatifs aux attentats commis en 1997 par le groupe sans nom.

La cour a ensuite entam� l'examen d'une s�rie d'attentats commis � l'automne 1997 contre l'ENA � Strasbourg (4 septembre) et un �tablissement thermal � Vichy (11 novembre). Jeudi, elle s'int�ressera � l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella en Corse-du-Sud (6 septembre), o� avait �t� d�rob�e l'arme qui avait servi � tuer le pr�fet de Corse en f�vrier 1998.

Cinq des onze accus�s sont concern�s comme auteur ou complice par les attentats de Strasbourg et Vichy qui marquent l'apparition du "groupe des anonymes", puisque pour la premi�re fois, et contrairement aux attentats de 1994, les communiqu�s de revendication ne portent ni le sigle FLNC, ni le dessin traditionnel du combattant encagoul� et arm�.

Ce groupe des anonymes avait revendiqu� ensuite l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella et l'assassinat du pr�fet Erignac. C�est donc au pas de charge mais en oubliant de nombreuses mesures que la musique avance. Quitte � ce qu�on n�y comprenne plus rien.

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