La Corse dans "la face cach�e du Monde" : un chapitre brouillon
Samedi, 1er mars 2003
L'investigateur pr�sente ici un chapitre de " La face cach�e du Monde " de Pierre P�an et de Philippe Cohen. C'est un chapitre traitant de la Corse, l'un de nos sujets de pr�dilection. Il faut dire tout de suite que nous n'adh�rons pas, loin s'en faut, � toutes les donn�es expos�es dans ce chapitre. Il �tait possible de d�noncer les turpitudes des dirigeants du quotidien fran�ais sans tomber dans ce d�lire qui voudrait que Le Monde soit au centre de tous les d�rapages fran�ais.

Nous pensons que Jean-Marie Colombani et �ventuellement Edwy Plenel ont vraisemblablement outrepass� leurs fonctions et ont abus� de leur pouvoir. Nous ne nous sommes jamais g�n�s pour le d�noncer. Nous pensons que Le Monde fait souvent un journalisme de "pillage ". Nous l'avons aussi d�nonc� d'autant plus que nous en avons �t� les victimes. Mais de l� � imaginer un vaste complot anti-fran�ais qui serait dirig� par Colombani parce qu'il est corse et serait fils d'un " fasciste " pro mussolinien, de Plenel parce que son p�re aurait �t� anti-colonialiste et d'Alain Minc parce qu'il incarnerait en quelque sorte un Juif errant revisit� par la plume d'un investigateur vieillissant et un id�ologue en panne d'id�es, c'est un pas que nous ne franchirons.

Tout cela est en d�finitive tr�s fran�ais. On se bat en des guerres d�risoires alors que le monde est au bord du gouffre. On se contemple le nombril et on mesure son sexe dans une cour d'�cole pour enfants attard�s.

Ce livre est un mauvais coup port� � la cause qu'il pr�tend d�fendre. Mal fagot�, bourr� de fautes d'orthographes, il donne l'impression d'�tre un objet ind�sirable. Il se vendra parce que le bon public qui se fout du monde aime voir les rois et les reines prendre des baffes dans la figure. Mais c'est le m�me public qui adorera de nouveau l'idole tomb�e � terre. Or le livre atteindra peut-�tre les 200.000 exemplaires vendus. Mais le nombre d'erreurs factuelles qu'il comprend (y compris dans le chapitre que nous reproduisons ci-dessous), les raisonnements tir�s par les cheveux, feront que demain, l'�diteur et les auteurs paieront tr�s cher leur manque de rigueur.

Pour nous autres Luxembourgeois, il y a quelque bonheur � contempler Le Monde, incarnation m�me de la pr�tention fran�aise, se faire donner une fess�e en public. Mais comme nous le disions pr�c�demment, les adversaires du Monde ne valent gu�re mieux que Le Monde lui-m�me. L'inoxydable Canard Encha�n� n'a-t-il pas fait de la r�tention d'informations concernant un certain nombre de secrets d'�tat ?

Il est difficile d'appartenir au pouvoir et de critiquer le pouvoir. R�p�tons nous : P�an aurait mieux fait de publier son livre seul. Ses sources diverses et vari�es auraient pu lui permettre d'�tablir un bilan rigoureux, honn�te et inattaquable.

Pour le reste nous remarquons que sur la Corse, les auteurs ont les m�mes sources que nous ou alors nous ont joyeusement pill� sans nous citer. C'est dommage. Cela montre simplement qu'ils ressemblent �trangement � l'objet de tout leur ressentiment.

Un " Monsieur Corse " nomm� Le Monde

Le Monde s'est engag� en faveur du " processus de Matignon" sur la Corse. Qui pourrait le lui reprocher? L'histoire du quotidien n'est-elle pas constitu�e d'engagements de ce type, depuis celui de Beuve-M�ry en faveur du neutralisme, puis contre la guerre d'Alg�rie, jusqu'� la prise de position de Jacques Fauvet en faveur de l'Union de la gauche ? Il ne s'agit donc pas ici de critiquer Le Monde sur une de ses prises de position, mais de montrer comment Jean-Marie Colombani a instrumentalis� le gouvernement sur le dossier corse dans le but de lui imposer des concessions vis-�-vis des mouvements nationalistes ; comment le quotidien s'est �rig� en une sorte de "Monsieur Corse officieux, distribuant bons et mauvais points aux diff�rents protagonistes de cette pi�ce compliqu�e ; comment, enfin, la position de m�diateur qu'il s'est arrog�e a progressivement gliss� vers celle de porte-parole des nationalistes, allant jusqu'� " expliquer " les crimes et d�lits auxquels a partie li�e cette mouvance politique.

Nous avons choisi de situer le d�but de ce r�cit � la Mutualit�, � Paris, le 26 janvier 1995. Le lendemain, � Bercy, doit se d�rouler une manifestation culturelle intitul�e " Parler, chanter, f�ter la Corse ". Le journaliste du Monde Philippe-Jean Catinchi ne m�gote pas sur les louanges pour annoncer la manifestation: " C'est un pari fou que celui tent� vendredi 26 et samedi 27 janvier par le groupe corse I Muvrini : rassembler � Paris compatriotes et amis de l'�le pour partager un message "de fraternit�, de tol�rance et de justice, d'espoir et de paix" dont l'actualit� d�ment avec obstination l'�cho (...). De quoi s'agit-il? (...) De proposer une autre image de l'�le, de traiter "sans complaisance et aussi sans a priori" la question corse, de red�finir l'identit� insulaire en forum public [vendredi 26 � la Mutualit�] et de pr�cher l'exemple [le lendemain au Palais omnisports de Paris-Bercy] par le chant, tradition toujours vivante, avec Petru Guelfucci, A Filetta et I Muvrini. "

Pourquoi tant d'emphase ? Pourquoi un tel enthousiasme � l'annonce d'une manifestation culturelle trait�e par la presse quotidienne r�gionale avec davantage de neutralit� ? C'est que le d�bat � la Mutualit� du 26 janvier est anim� par Jean-Marie Colombani et Christine Ockrent.

Le lecteur du Monde ignore toutefois la composition de la tribune pr�sid�e par ces deux personnalit�s. Le journaliste a omis de pr�ciser qu'il y a l� Jo Peraldi, Charles Pieri, Fran�ois Santoni, tous responsables de " vitrines l�gales" elles-m�mes proches d'organisations clandestines, davantage occup�es d'ordinaire � faire parler la poudre qu'� favoriser l'expression des sensibilit�s artistiques de l'�le de Beaut�. Tous ces responsables se sont d'ailleurs d�plac�s avec leurs gardes du corps, ce qui indique leur confiance toute relative dans le caract�re pacifique de la manifestation culturelle. Dans le compte rendu du Monde, le lecteur n'apprendra pas non plus que le d�bat " chaleureux" de la Mutualit� a d�but� par une longue intervention, scand�e avec un fort accent corse, venue du fond de la salle et saluant " madame Christine Ockrent, que nous connaissons bien car elle a sa maison chez nous, � Bonifacio ", sans doute mani�re d'insinuer ironiquement que la star de la t�l�vision s'est acquitt�e, par sa pr�sence � la tribune, d'un acompte - symbolique ! - sur l'imp�t r�volutionnaire.

Cinq ans plus tard, dans son livre-plaidoyer pour la Corse, Les Infortunes de la R�publique, le directeur du Monde expliquera les raisons philosophiques qui motivent son indulgence envers le racket perp�tr� par certains nationalistes: "En Corse, c'est toujours la citoyennet� qui donne droit � la propri�t�, comme � Rome ; et non l'inverse, comme dans la France du Code civil, ou dans celle, censitaire, de la monarchie de juillet o� il suffisait d'�tre propri�taire pour avoir le droit de concourir � la magistrature. Dans ce droit insulaire, il faut �tre "adopt�" par une tribu corse pour pouvoir construire... Ou, le cas �ch�ant, verser le tribut au FLNC, comme le faisaient aux citoyens romains les �trangers de statut "latin" (le plus favorable) ou "p�r�grin" (le moins commode). Dire qu'il faut "r�tablir l'�tat de droit" en Corse est donc impropre. Car c'est m�conna�tre l'�le et ses habitants. La Corse n'a jamais �t� un pays de non-droit. Elle est m�me un pays de droit plus ancien, archa�que au sens exact et rigoureux du terme : elle est tout � fait r�publicaine, au sens o� l'�tait Rome, et son anomie apparente ne provient pas d'une absence de droit, mais du conflit enracin� de plusieurs droits imm�moriaux. "

Voil� un raccourci saisissant de la logique du directeur du Monde. Elle nous aide � mieux comprendre la ligne aberrante qu'il va imprimer � son journal. Il faut en effet garder en t�te cette rh�torique qui fait fi de la loi et excuse un " droit " fond� sur la seule force arm�e - au nom duquel des citoyens ont vu leur maison br�ler ou ont m�me trouv� la mort. Ind�niablement, elle montre la d�termination du directeur du Monde, qui se r�v�le dispos� � l�gitimer des pratiques criminelles par un archa�sme de bon ton, pr�t � voir bafouer ou distordre tous les principes de l'�tat de droit pour sauvegarder ce qu'il croit �tre son lien sacr� avec la terre corse.
Mais revenons � la Mutualit�. Toute la complexit� du dossier corse est synth�tis�e par la pr�sence � la tribune de " nationalistes d�mocrates " c�toyant les nationalistes tout court et les d�mocrates " compr�hensifs " � l'�gard des nationalistes clandestins : sont rassembl�es ce jour-l�, une fois n'est pas coutume, les vitrines l�gales et clandestines du nationalisme, ainsi que leurs protecteurs m�diatiques...

Des actes, des paroles, des silences, mais surtout des hommes. Tels sont les diff�rents aspects que rev�t, � partir de l'accession de Jean-Marie Colombani � la direction du Monde, la couverture �ditoriale de la Corse.

Les hommes sont bien entendu essentiels. Pour contrebalancer le travail de correspondants locaux, forc�ment plus expos�s aux pressions de leurs sources, Le Monde utilisait jusque-l� les services d'envoy�s sp�ciaux. Dans les ann�es 1980, Dani�le Rouard et Philippe Boggio effectu�rent de nombreux reportages sur l'�le de Beaut�. En 1995, Le Monde d�p�che sur place Eric Fottorino. L'hebdomadaire U Ribombu, organe officiel de la Conculta (et � peine officieux du FLNC-Canal historique), la principale tendance du mouvement nationaliste, critique son travail. C'est la derni�re fois que l'hebdomadaire nationaliste aura � se plaindre du Monde. D�sormais, la couverture �ditoriale du quotidien va �tre " corsis�e ". Il ne s'agit pas tant d'" ethniciser " le travail journalistique que d'adopter, pour chaque article, ce qui est suppos� �tre " le point de vue corse ".

Cette " corsisation " passe d'abord par un homme, Michel Codaccioni. Ce journaliste d'une cinquantaine d'ann�es devient une sorte de tour operator, monopolisant la couverture journalistique corse : il est � la fois correspondant du Monde, correspondant de France Inter et de France Info ; et il dirige la r�daction de Radio Corse Frequenza Mora, la radio locale corse du groupe Radio France. Ainsi, s'il le souhaite, il peut faire circuler la m�me information sur quatre m�dias diff�rents ! � l'inverse d'�ric Fottorino, Michel Codacccioni a la cote aupr�s de l'hebdomadaire U Ribombu qui lui rend hommage � l'occasion de sa promotion � la t�te de la station Radio Corse Frequenza Mora (RCFM).

En 1998, Michel Codaccioni publie un livre sur l'assassinat du pr�fet Erignac. Un livre abscons, � la limite de l'incompr�hensible. Un livre qui d�clenche pourtant une pol�mique avec Guy Benhamou, journaliste � Lib�ration et sp�cialiste de la Corse. Il convient de rappeler qu'� ce moment-l�, Benhamou est la victime d�sign�e des nationalistes corses, plus pr�cis�ment de la Conculta, du FLNC Canal historique et de l'hebdomadaire U Ribombu. En mars 1996, son domicile familial a �t� mitraill�. Quelque temps plus tard, alors qu'il a �t� plac� sous protection polici�re, on peut lire dans l'hebdomadaire U Ribombu:

" Qui l'e�t cru ? Une rafale qui transperce opportun�ment son bungalow, et voici Guy Benhamou promu martyr de la libert� d'expression ! Au pays de Descartes, il n'en faut pas plus, apparemment, pour transformer un m�diocre pisse-copie sp�cialiste de la d�sinformation en champion des Droits de l'Homme pr�tendument menac�s. C'est Zola qui doit se retourner dans sa tombe! "

Le m�me hebdomadaire publie quelques mois plus tard un nouvel article sur Benhamou, qui laisse poindre un antis�mitisme �vident:

"Qui est, au juste, Guy Benhamou, officiellement pissecopie au torchon Lib�ration ? A priori, rien ne semblait pr�destiner ce Juif pied-noir, pr�sent� par ses confr�res comme un sp�cialiste des volcans, � jeter son d�volu sur l'affaire corse au point de devenir le principal d�sinformateur de la presse hexagonale (...). Tout s'�claire lorsque l'on apprend que l'infect Benhamou, ancien militant trotskiste, entretient pr�sentement une relation avec la propre cousine d'Alain Orsoni, lequel, dit-on, l'approvisionne en rumeurs et autres fausses informations, mais �galement en esp�ces sonnantes et tr�buchantes (...). En toute hypoth�se, une chose est certaine en d�pit des informations du plus inf�me des plumitifs de Lib�, les rues d'Ajacciu sont infiniment plus s�res pour Fran�ois San toni que pour lui-m�me."

Voil� comment les nationalistes peuvent se substituer � la loi pour prononcer un v�ritable arr�t� d'expulsion. Benhamou est d�finitivement persona non grata sur l'�le. Le correspondant du Monde, Michel Codaccioni, trouve sans doute cette mesure justifi�e ; en tout cas, toute la th�se de son livre repose sur une id�e fixe: Guy Benhamou et Lib�ration, � la diff�rence du reste de la presse, ont fait de la publicit� au groupe Sainpieru en publiant ses communiqu�s relatifs � l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 9 octobre 1997 ; or on sait que les armes qui y furent subtilis�es ont servi � l'assassinat du pr�fet Erignac, le 6 f�vrier 1998. Dans son ouvrage, Codaccioni note que Lib�ration a publi� � nouveau un communiqu� de Sampieru le 21 janvier 1998. � partir de ces informations totalement imaginaires (Lib�ration n'a jamais reproduit de communique du groupe Sampieru avant l'assassinat du pr�fet Erignac), Codaccioni construit un roman policier dans lequel Benhamou et Lib�ration deviennent les complices " objectifs " du meurtre du pr�fet ! En r�alit�, le correspondant du Monde ne fait l� que populariser la th�se du FLNC-Canal historique selon laquelle, comme on l'a vu, Guy Benhamou serait au service d'Alain Orsoni, chef du MPA. On mesure la gravit� de cette accusation qui fait de Benhamou, �tiquet� MPA, une cible �vidente pour le FLNC-Canal historique, en pleine guerre entre groupes arm�s clandestins.

La r�action de Guy Benhamou ne se fait pas attendre. Malgr� la tentative de Jean-Marie Colombani de " n�gocier " avec Serge July une r�action plus discr�te, Lib�ration publie le 29 juin 1998 un article terrible pour la d�ontologie de Codaccioni. Une plainte est d�pos�e en r�f�r�. Michel Codaccioni est condamn� � un mois de prison avec sursis. Son livre sera r�imprim� sans le passage incrimin�. Il doit s'excuser piteusement de sa b�vue dans une lettre � Serge July, directeur de Lib�ration " Je veux, donc, vous dire mes regrets et excuses ; excuses � toute la r�daction de Lib�ration ; excuses � vous Serge July; et excuses, bien s�r, � Guy Benhamou dont je sais qu'il a fait l'objet de menaces, et pour lequel j'ai une pens�e toute particuli�re. " Le 3 juillet 1998, Le Monde publie un entrefilet sans commentaire sur cette affaire. Mieux vaut, en effet, ne pas trop insister. Mais la signature de Codaccioni continuera d'appara�tre dans le quotidien : apr�s tout, ses journalistes ne sont-ils pas libres de publier ce qu'ils veulent?

Il convient n�anmoins de distinguer les torchons des serviettes. D�sormais, la couverture �ditoriale de la Corse ressemble � un mille-feuille. La couche noble, " �ditoriale", revient � Jean-Louis Andreani et, pour les jours de grand gala, � Jean-Marie Colombani en personne. Ariane Chemin g�re la couche " politique " depuis Matignon"). Enfin, l'�tage "investigations " est confi� � Jacques Follorou ; ce dernier, comme Ariane Chemin, travaille sous l'�troit contr�le du chef p�tissier Edwy Plenel.

Quoi qu'il en soit, Le Monde est le seul journal � trouver gr�ce aupr�s des nationalistes. U Ribombu n'en finit pas de tresser des louanges au " travail " de Jean-Louis Andreani qui s'est, de fait, rapproch� de Colombani alors que ses positions sur la Corse �taient r�put�es plut�t mod�r�es dans les ann�es 1980 : " Exception notable au sein d'une presse tout enti�re occup�e � tirer � boulets rouges sur les Corses en g�n�ral et le mouvement national en particulier, le quotidien Le Monde se livre - notamment sous la plume de J. L. Andreani - � une analyse fine et remarquablement objective de la situation. Enfin une information digne de ce nom" ! " De la part d'un journal qui succombe si facilement � l'antis�mitisme, mais aussi au racisme anti-maghr�bin et aux insultes sexistes (lors des manifestations de femmes contre le terrorisme), l'�loge devrait donner � r�fl�chir...

On retrouvera le m�me Andreani lors d'un regroupement ma�onnique, r�union tenue dans un h�tel parisien, le 21 f�vrier 2000, sous l'�gide du groupe inter-ob�diences " Moro Giafferi ". Il s'agit alors d'accompagner les n�gociations entam�es dans le cadre du " processus de Matignon ". Une centaine de personnalit�s corses, du barreau, de la politique et des m�dias, r�pondent � l'invitation de M Marchi. La liste des invit�s est int�ressante. Outre Jean-Louis Andreani se sont d�plac�s les d�put�s D�mocratie lib�rale Jos� Rossi et Jacques Dominati, le d�put� RPR Roland Francisci, le leader ind�pendantiste Jean-Guy Talamoni, le prince Napol�on, le s�nateur Caillavet, ainsi que le tr�s � droite doyen de la facult� de Droit d'Aix-Marseille, Charles Debbasch. La dimension �cum�nique de la r�union n'�chappe � personne. Un document issu du minist�re de l'Int�rieur fait �tat de l'ambiance tr�s " consensuelle " qui y r�gne. Il y a l�, � c�t� de personnalit�s mod�r�es, des membres connus de l'extr�me-droite et de l'extr�me-gauche. Ainsi Roger Holeindre, membre de la direction du Front national, ancien de l'OAS et d'Ordre Nouveau, se fait-il remarquer en affirmant " la similitude de vues entre partisans de la pr�f�rence nationale [sic !] et ind�pentantistes corses soucieux de r�duire aux seuls insulaires le droit de se prononcer sur l'avenir de leur territoire ". Cette assembl�e, men�e cinq heures durant de main de ma�tre par Jos� Rossi, d�bouche sur
une synth�se qui devrait �tre propos�e aux pouvoirs publics � l'occasion d'une r�union pr�vue � Matignon avant la pr�sentation d'un avant-projet de loi ".

Si Le Monde rend compte des travaux de cette assembl�e, notamment de la proposition de Jos� Rossi d'un transfert de comp�tences � l'Assembl�e corse, l'article d'Ariane Chemin omet d'�voquer la " convergence " soulign�e par Roger Holeindre... Pr�f�rence locale ou nationale : il y a pourtant l� toutes les preuves manifestes d'un complot "rose-brun.

Ainsi, pendant que le quotidien Le Monde - comme on va le voir - diffuse la th�se de la " tr�ve des attentats ", son responsable en charge des r�gions donne, par sa pr�sence, la caution du journal � une r�union " transcourants" d'un genre nouveau, rassemblant des personnalit�s issues de tout l'�chiquier politique, de l'extr�me-droite lep�niste � l'extr�me-gauche favorable � la lutte arm�e.

Un troisi�me Corse s'exprime dans les colonnes du Monde. Son nom n'appara�t pas dans l'organigramme du journal. Il n'est d'ailleurs pas formellement journaliste. Il signe ses papiers dans la rubrique " Horizons ". Son r�le est toutefois notable. Gabriel-Xavier Culioli est un ancien militant de la Ligue Communiste R�volutionnaire (LCR) qui, dans les ann�es 1970, a envisag�, avec d'autres, de fonder une section corse de la IVe Internationale. Il a ensuite �marg� � l'Accolta Naziunale Corsa (ANC). Il conna�t depuis longtemps Edwy Plenel avec lequel il a �t� en contact, en novembre 1985, � propos d'un d'attentat meurtrier contre un membre du FLNC dans le parking du George V. Ses liens avec Jean-Marie Colombani paraissent �vidents � l'universitaire Emmanuel Bernaeu Casanova: " Jean-Marie Colombani entretient avec Gabriel-Xavier Culioli, un ancien dirigeant nationaliste de l'Accolta Naziunalista Corsa, des relations privil�gi�es. Ce n'est un myst�re pour personne, ce que Jean-Marie Colombani ne peut d�cemment exprimer dans Le Monde, Gabriel-Xavier Culioli a toute licence pour l'�crire dans les pages "Horizons-D�bats" en qualit� d"�crivain corse". " D�s le 23 novembre 1990, alors qu'il n'est pas encore � la t�te du journal, Jean-Marie Colombani se fend lui-m�me d'une longue chronique sur le livre que vient de publier Culioli.

Entre 1996 et 2001, Culioli aura publi� dans Le Monde une bonne dizaine de papiers, dont certains d'une importance "strat�gique ".

Jusqu'au processus de Matignon, Gabriel-Xavier Culioli est officiellement employ� en tant qu'administratif par une universit� parisienne ; � partir de 2000, il est recrut� � l'universit� de Corte par son pr�sident, connu comme nationaliste. Il semble passer le plus clair de son temps � r�diger des articles dans la presse locale et nationale. Un dossier sur les clandestins, publi� par le magazine Corsica, d�montre la connaissance pointue qu'il a des mouvements arm�s... et l'indulgence qu'il manifeste � leur endroit : " La lutte corse est l'un des combats identitaires qui, en Europe, a co�t� le moins cher en vies humaines. Le conflit irlandais a en effet tu� 3 400 personnes, tandis que celui du pays Basque avoisine les 900 tu�s. En Corse, chiffre accablant, ce sont les nationalistes qui ont tu� le plus de nationalistes. Le dernier gendarme abattu pour des raisons politiques l'a �t� en 1987. � l'inverse, le nombre d'ann�es de prison inflig�es aux militants est impressionnant : plus de deux mille � ce jour. " La r�f�rence au dernier gendarme " assassin� en 1987 " est scandaleuse : outre que d'autres crimes ont �t� perp�tr�s depuis lors (mais Culioli les consid�re sans doute comme apolitiques "), il fait l'impasse sur les assassinats du pr�fet Erignac et d'autres responsables (pompiers, pr�sident de tribunal) imputables aux violences terroristes.

Culioli ne fait l� que reprendre les �l�ments d'un autre article publi� dans Le Monde le 25 mai 2001. Il y d�fend l'action des clandestins " qui pay�rent souvent de leur libert� des actions d�sign�es comme ill�gales, m�me lorsqu'elles visaient � faire appliquer des d�cisions de justice rest�es lettre morte ". Le 16 ao�t 2000, il s'en est pris aux " plumitifs et dessinateurs [qui] brocardent notre petit peuple tour � tour humili� ou r�volt� par ce traitement inique qui se perp�tue depuis des si�cles au gr� des crises cycliques. Qu'ils sachent seulement, ces massacreurs en chambre, que chacun de leurs articles est photocopi� et lu dans toute l'�le et que chaque lecture apporte chaque jour plus de voix aux ind�pendantistes ". On ne saura jamais si cette saillie au style si particulier, qui rappelle celui des ann�es trente, d�signe le dessinateur du Monde, Plantu, que Jean-Marie Colombani �pingle par ailleurs dans son livre18, ou P�tillon, auteur d'une bande dessin�e � succ�s, ou bien les deux...
Culioli atteint, si l'on peut dire, le sommet de son art au cours de l'�t� 2002. Le 8 ao�t, Le Monde reprend l'essentiel d'une longue interview de "jean-je " Colonna, accord�e au mensuel Corsica. Jean-J� Colonna est consid�r� par beaucoup comme un parrain corse du Milieu. Dans son rapport remis en 2000 � �lisabeth Guigou, ministre de la justice, le procureur Bernard Legras �crivait sur lui

" Tous mes interlocuteurs m'ont pr�sent� Jean-Baptiste J�r�me Colonna comme l'�l�ment majeur, incontournable de la criminalit� organis�e en Corse-du-Sud. Mais, pour citer le responsable d'un service local: "Tout le monde a planch� sur lui, le fisc a beaucoup travaill�, en vain." V�rifications faites, aucune proc�dure n'est actuellement diligent�e � l'encontre de M. Colonna ; aucune condamnation ne figure � son casier judiciaire (...). L'int�ress� est habituellement pr�sent� comme le v�ritable propri�taire de plusieurs �tablissements de nuit du sud de l'�le, dirig�s par des pr�te-noms. Il aurait des int�r�ts importants en Afrique et en Am�rique. " Bref, un honn�te commer�ant qu'il importait de r�habiliter d'urgence aupr�s des lecteurs du Monde ! L'interview de Culioli se conclut par ce passage savoureux: "J'ai men� ma vie comme doit le faire un Corse d'honneur. Rien de plus, rien de moins. J'ai apport� mon soutien � de pauvres gens contre des personnes plus puissantes. Et j'ai l'intention de continuer sur cette voie." Apparemment, le plaidoyer de jean-je a eu raison de la l�gendaire m�fiance des journalistes du quotidien de r�f�rence ; sous l'interview de Colonna, un articulet conclut: "Jean-J� Colonna nie naturellement �tre "le dernier parrain corse" et admet tout au plus un aimable r�le de juge de paix qui "rend des services dans la mesure de ses moyens". L'homme est sans doute trop modeste, mais le costume qui lui a �t� taill� dans la l�gende de la French Connection est sans doute un peu grand pour lui. " Amen ! Et merci, Le Monde, pour cette contribution � la paisible et heureuse retraite des " entrepreneurs " corses... Toutefois, la justice ne semble pas vouloir l'entendre de cette oreille : en octobre 2002, un mandat d'arr�t a �t� lanc� contre le "juge de paix " dans le cadre d'une information portant sur les conditions de revente d'un h�tel haut de gamme � Propiano.

Enfin, il convient d'en venir au cas de Jacques Follorou, le plus d�licat sans doute puisqu'il permet de d�terminer le moment o� le quotidien change de registre, quittant le minist�re de la parole pour le statut de v�ritable acteur du dossier corse. C'est Follorou qui suit en effet l'�volution de l'enqu�te sur les assassins du pr�fet �rignac. Le 3 f�vrier 1999, Le Monde publie des r�v�lations importantes sur le commando qui a organis� l'assassinat du pr�fet. Le scoop est sign� de Follorou. N'y figurent pas de noms, mais l'article comporte un tel luxe de d�tails que les membres du commando peuvent ais�ment se reconna�tre et s'inqui�ter de la surveillance dont ils font l'objet. Ainsi le papier pr�cise que "le commando compterait dans ses rangs d'anciens activistes du FLNC localis�s dans la vall�e de la Gravone ou au col Saint-Georges. D�j� condamn�s dans plusieurs affaires, ses membres seraient rompus aux techniques militaires et � la vie en clandestinit� (�). Ils auraient agi avec des personnes condamn�es pour des affaires de droit commun et r�ins�r�es professionnellement dans l'automobile ". Plus loin, on lit qu'" un ancien l�gionnaire, soup�onn� d'exercer des fonctions d'instructeur au sein de la mouvance nationaliste, pourrait avoir jou� un r�le dans la pr�paration de cette op�ration ".

Mettons-nous trente secondes � la place de cet " ancien l�gionnaire ", ou bien de cet ancien du FLNC de la vall�e de la Gravone ou du col Saint-Georges, ou bien encore dans la peau d'un ancien droit commun recycl� dans l'automobile : si l'on ne comprend pas sur le champ qu'il convient de filer � l'anglaise, c'est qu'on ne m�rite pas de figurer dans une arm�e de lib�ration clandestine

Plusieurs responsables li�s � l'enqu�te d�nonceront plus tard cet article du Monde. En premier lieu le ministre de l'Int�rieur, par un communiqu�. Puis le juge Brugui�re, charg� de l'enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac, a violemment mis en cause le quotidien dans sa d�claration devant la Commission parlementaire: " ... Cela �tant, ce qui a eu un effet encore plus n�gatif, c'est l'article du journal Le Monde sur ce qu'il est convenu d'appeler les notes Bonnet, d'autant plus qu'il a �t� publi� � une �poque o� nous n'�tions pas pr�s de conclure (...). Ma conviction profonde est que Le Monde, son r�dacteur ou certains lobbies, ont cherch� d�lib�r�ment - je dis bien d�lib�r�ment -, sachant que l'enqu�te progressait, � tout faire pour qu'elle ne sorte jamais! Ce journal a jou� contre l'�tat! C'est mon sentiment profond et c'est ma responsabilit� de le dire : je r�p�te que Le Monde a jou� contre les int�r�ts sup�rieurs de l'�tat par une man�uvre d�lib�r�e et perverse tendant � faire en sorte que cette enqu�te n'aboutisse jamais. "

Le juge Gilbert Thiel, charg� de son c�t� de l'enqu�te sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella et par ailleurs tr�s oppos� au juge Brugui�re, ainsi que le r�v�lent les travaux de la Commission parlementaire, le rejoint pourtant sur ce point: " Cet article [du 3 f�vrier 1999] mettait le doigt l� o� �a fait mal, puisqu'il relatait la d�marche quelque peu chaotique de l'enqu�te. C'est normal : il s'agit l� de la libert� de la presse. Et du droit de ses lecteurs � conna�tre l'existence d'un certain nombre de dysfonctionnements. Sauf... sauf que cet article ne se contentait pas de relater ceux-ci, puisqu'il pr�cisait aussi que les services de police avaient identifi� les auteurs de l'assassinat du pr�fet �rignac. Mais que, pr�cis�ment, les dysfonctionnements de l'appareil r�pressif ne permettaient pas de les confondre. Suivaient de longs d�veloppements aux termes desquels l'assassinat avait �t� perp�tr� par "des d��us du nationalisme" qui s'�taient radicalis�s et structur�s en deux groupes, l'un, celui des commanditaires, bas� en Haute-Corse, l'autre, celui des ex�cutants (le terme est appropri�), en Corse-du-Sud. Ce dernier groupe, pr�cisait le journal du soir, �tait compos� de cinq ou six personnes connues pour leur pass� d'activistes. Cet article contenait de telles pr�cisions qu'il �tait loisible � tout observateur avis� de la mouvance clandestine d'identifier au moins certains membres du commando (...). Les membres du commando ont donc ainsi �t� inform�s de ce qu'ils �taient identifi�s. Quant aux lecteurs du Monde, je doute fortement- c'est un euph�misme - qu'ils aient eu besoin, pour leur information, de ce luxe de d�tails. "

Admettons. Admettons que Jacques Follorou se soit pris - de fa�on inconsid�r�e, mais enfin... - � son propre jeu: voulant d�montrer la valeur de son investigation, il fournit par inadvertance des informations utilisables par les membres du commando. Plusieurs �l�ments nous autorisent cependant � douter de cette interpr�tation g�n�reuse. Le premier concerne le contexte de l'enqu�te. La source de l'article de Jacques Follourou est clairement identifiable : le 9 d�cembre 1998, le juge Gilbert Thiel a dessaisi la gendarmerie de l'enqu�te sur l'attaque de la caserne de Pietrosella, dont le lien, on l'a vu, est direct avec celle sur l'assassinat du pr�fet. Or, les gendarmes sont proches du pr�fet Bonnet qui b�n�ficie lui-m�me d'informations �manant d'une source interne - nom de code : Corte - � la mouvance nationaliste. Ces informations, qui nourrissent l'essentiel du papier de Follorou, ont permis de r�orienter l'enqu�te jusqu'� l'arrestation de la plupart des membres du commando en mai 1999. Mais, au moment o� Follorou en fait �tat - le 3 f�vrier 1999 -' la police ne les a pas encore exploit�es : pour cela, il fallait filer les suspects, observer leurs comportements, mettre en place des �coutes t�l�phoniques, ainsi qu'on nous l'a confirm� de source polici�re et judiciaire. Voil� pourquoi le juge Brugui�re pr�cise dans sa d�claration que l'article " a �t� publi� � une �poque o� nous n'�tions pas pr�s de conclure ".

En r�alit�, il semble bien que Jacques Follorou savait parfaitement ce qu'il faisait. Un document du minist�re de l'Int�rieur dat� du 11 mai 1999 note que " le journaliste avait �t� mis en garde, personnellement, des risques qu'il faisait porter � l'efficacit� de l'enqu�te en publiant des d�tails op�rationnels qui, dans la p�riode d�but d�cembre � d�but f�vrier, avaient �t� exploit�s sur un plan op�rationnel et proc�dural. Durant cette m�me p�riode, d'autres journalistes nationaux s'int�ressaient �galement � ces fuites, mais par souci d�ontologique, avaient pr�f�r� mettre un embargo sur leur publication. De plus, les �l�ments contenus dans la fuite du Monde portant sur la tentative d'assassinat du pr�fet Erignac envisag�e au cours du match de volley-ball, courant janvier, et la pr�paration d'un attentat contre la gendarmerie de Belgodere, n'�taient connus que du seul pr�fet de r�gion qui manipulait une source humaine et donnait les �l�ments recueillis pour exploitation au colonne] Mazi�res et au GPS.

Plus loin, la m�me note pr�cise : "Plusieurs semaines apr�s cette exploitation m�diatique qui devait faire grand bruit sur l'�le, et rendre tr�s m�fiants les objectifs sur-
veill�s, Jacques Follorou devait confier "off" qu'il avait commis l� une profonde erreur et regrettait d'avoir publi�, malgr� plusieurs mises en garde, des �l�ments d'enqu�te qualifi�s de strat�giques pour la conduite des op�rations judiciaires futures (notamment l'adresse de la r�sidence A Mandarina)."

Mais ce dernier oublie vite ses regrets. Le 23 mai 1999, Le Monde publie en effet un nouveau scoop relatif � l'enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac. " Tomb� " le 22 mai � midi, il est aussit�t fax� sur l'�le. D�s le d�but de l'apr�s-midi, des photocopies y circulent dans diff�rents d�bits de boisson... L'article relate l'arrestation de quatre membres du commando, le 21 mai au matin: Alain Ferrandi, jean Castella, Pierre Alessandri et Didier Maranelli. Il pr�cise ensuite que " le groupe compte �galement d'autres figures qui n'ont pas �t� inqui�t�es, comme joseph Caviglioli, g�rant d'un motel � l'entr�e de Carg�se, qui fut un temps au MPA et qui a rejoint depuis les rangs de Corsica Viva. Dans son entourage, on note la pr�sence de ses deux beaux-fr�res, Yvan et St�phane Colonna (...). Yvan Colonna, berger, a �lev� ses enfants dans la seule langue corse, avant qu'ils n'int�grent le syst�me scolaire. Repr�sentant la Cuncolta � Carg�se, il milite pour un nationalisme intransigeant. St�phane Colonna, qui tient une paillote sur une plage voisine, para�t beaucoup plus mod�r�. "

On ne peut �tre plus clair: le soir m�me, Yvan Colonna prend le maquis, et il n'a pas �t� rattrap� depuis lors. Avant de dispara�tre, il s'est cependant autoris� un dernier pied de nez aux autorit�s sous la forme d'une interview diffus�e au journal t�l�vis� de TF1, le soir m�me...
Intervenant devant la Commission parlementaire de l'Assembl�e nationale, le directeur g�n�ral de la Police nationale, Didier Cultaux, met lui aussi en cause le m�me article du Monde:

" Lorsque, � la Pentec�te, nous sommes pass�s � l'action et alors que nous ne savions pas qu'Yvan Colonna �tait dans le coup, un article tr�s d�taill� est paru dans Le Monde. Sorti � 13 h 30, ameutant certains, il a �t� fax� en Corse et a �t� utilis� dans une prise d'interview! On ne nous a pas facilit� la t�che. "

Yves Bertrand, directeur central des Renseignements g�n�raux, est encore plus pr�cis:
" S'il nous a �chapp� [il s'agit toujours d'Yvan Colonna], c'est � cause d'un article paru dans Le Monde, ce qui lui a laiss� le temps de faire une conf�rence de presse et de dispara�tre. "

Pourquoi donc Le Monde a-t-il �voqu� Yvan Colonna? Le journaliste le savait-il coupable avant m�me les policiers ? Est-il concevable qu'on ait cit� son nom pour faciliter sa fuite ? Nous reviendrons sur ce point...

Trois ans plus tard, le 2 octobre 2002, Le Monde commet le m�me type de " b�vue " sous la plume, cette fois, d'Ariane Chemin. L'article porte sur l'enqu�te men�e sur l'assassinat de Fran�ois Santoni. Commentaire du juge Gilbert Thiel: "Dans ce papier figurait notamment l'identit� compl�te de deux individus, l'un �tant d�c�d� depuis une ann�e, pr�sent�s comme deux des principaux suspects du crime de Monacia-d'Aull�ne (...). De deux choses l'une : soit ces personnes ne sont pas impliqu�es dans la commission de ce crime et bonjour la pr�somption d'innocence si ch�re, dans le discours, au grand quotidien du soir; soit elles le sont, et merci pour l'enqu�te, dont certains �l�ments sont ainsi publiquement d�voil�s gr�ce aux criminelles indiscr�tions de saboteurs patent�s ou d'irresponsables confirm�s"

L'article d'Ariane Chemin suscite une v�h�mente protestation.., sur le site Internet de l'hebdomadaire luxembourgeois L'Investigateur. Selon Jean Nicolas, son r�dacteur en chef, la journaliste du Monde, contrairement � ses confr�res, a puis�, sans citer ses sources, dans un article que son p�riodique a publi� sur son site le 9 septembre. Or, ledit article formulait deux hypoth�ses concernant l'assassinat de Fran�ois Santoni : la premi�re conduisait � la piste du grand banditisme, et c'est celle-ci qu'a reprise la journaliste ; mais la seconde menait, elle, directement � Charles Pieri, figure historique du FLNC, que Fran�ois Santoni accusait d'avoir �t� � l'origine de l'assassinat de Jean-Michel Rossi et de plusieurs membres d'Armata Corsa. Le jour m�me de la parution de l'article d'Ariane Chemin, le 1er octobre 2002, l'avocate Christel Baldocchi, derni�re compagne de Fran�ois Santoni, d�clarait � l'AFP : "Je pense qu'il faut accueillir ces informations avec beaucoup, beaucoup de prudence. Le mobile annonc� [la vengeance], qui remonte � six ans, n'a rien de cr�dible. Il ne m'appara�t pas s�rieux. Je privil�gie toujours la piste politique. " Bien entendu, Le Monde n'a pas rendu compte des r�serves de l'avocate... Et pour cause

L'attentat meurtrier contre Fran�ois Santoni, ainsi que les assassinats en s�rie des membres d'Armata Corsa, ont �t� d�politis�s et trait�s par Le Monde comme autant de faits divers, comme si le journal cherchait � en occulter la dimension politique. Comme si, en fin de compte, le groupe Armata Corsa, seul groupe nationaliste hostile au " processus de Matignon ", devait �tre d�cim� dans le plus profond silence.

Ainsi, � trois reprises entre 1999 et 2002, les "scoops " du Monde ont pu �tre utilement mis � profit par des criminels pour se soustraire � la traque des enqu�teurs.

Mais la politique corse du Monde ne rel�ve pas seulement de la page des faits divers ou de la rubrique polici�re. Ce quotidien, qu'on se le dise, d�fend des id�es. Sur ce dossier pr�cis, il a m�me cherch� � pr�ner et mettre en �uvre la politique qui va devenir celle de l'�tat. Un bref retour en arri�re s'impose pour mieux le comprendre.

Nous sommes en 1997. Lorsque Lionel Jospin emm�nage � Matignon, la doctrine gouvernementale sur la Corse se situe dans le prolongement de la politique de retour � l'�tat de droit d�cid�e par Alain Jupp� apr�s la conf�rence de Tralonca, en janvier 1996, et l'attentat contre la mairie de Bordeaux, le ier juillet 1996. Cette politique est d'autant plus poursuivie qu'elle sied parfaitement � Jean-Pierre Chev�nement. N�anmoins, il n'y a pas de " Monsieur Corse " � Matignon. Le Premier ministre ne souhaite d'ailleurs pas aborder ce dossier dans la premi�re phase de la cohabitation avec Jacques Chirac.

Ce statu quo perdure jusqu'� l'assassinat du pr�fet Claude �rignac, le 6 f�vrier 1998. Jospin est alors rattrap� par la crise corse. Il lui faut r�agir. D'abord par la nomination d'un pr�fet d�termin� ; ensuite, par l'adoption d'une nouvelle politique : celle du retour � l'�tat de droit. Jamais, en effet, l'�tat r�publicain n'a �t� dans une position aussi favorable en Corse. Quarante mille personnes ont manifest� contre l'assassinat du pr�fet. T�moins et analystes affirment que, cette fois, la population corse, �puis�e par vingt ann�es de violences, soutiendra une politique de fermet�. Pour l'heure, les partisans du dialogue avec les nationalistes font le dos rond. Mais cette discr�tion ne va pas durer.

Pour de simples observateurs, le changement de cap par lequel le gouvernement Jospin est pass� de la politique dite " de l'�tat de droit " au " processus de Matignon " a �t� provoqu� par l'affaire des paillotes, survenue en avril 1999. En r�alit�, le " d�rapage " de la paillote, auquel les m�dias ont accord� une importance disproportionn�e, n'a fait que pr�cipiter une �volution d�j� sensible.

M�me si son magist�re a comport� d'ind�niables aspects positifs, le pr�fet Bonnet ainsi que ses hommes ont parfois appliqu� les lois et r�glements avec un z�le aveugle.
Les tracasseries touchent ainsi des centaines de Corses modestes, petits entrepreneurs ou artisans, qui �prouvent des difficult�s � contracter le moindre cr�dit ou d�couvert du fait des cons�quences de l'enqu�te en cours sur le Cr�dit Agricole (coupable d'avoir consenti de nombreux pr�ts dont il �tait pr�visible qu'ils ne seraient jamais rembours�s).

Apr�s une garde � vue ordonn�e par le juge Brugui�re dans le cadre de son enqu�te sur l'assassinat du pr�fet Erignac, Gabriel-Xavier Culioli donne le signal de la campagne contre Bernard Bonnet, d�s le 16 d�cembre 1998, par une tribune publi�e dans Le Monde:

" La DNAT [Direction nationale de l'action anti-terroriste] a proc�d� � plus de cinq mille auditions, plus de mille trois cent gardes � vue visant des franges de plus en plus larges de la population corse. (...) �tre corse devient un facteur aggravant en tous domaines, y compris intellectuel (...). Apr�s la piste agricole et la piste informatique, voil� donc la piste intellectuelle, o� un style d'�criture peut vous mener en prison 30. "

Malgr� les outrances de l'auteur qui compare la Corse � un " petit Kurdistan ", son intervention est le signe d'un retournement de l'opinion corse dont les nationalistes pourraient tirer b�n�fice.

Au d�but de l'ann�e 1999, apr�s �tre revenu � la t�te du minist�re de l'Int�rieur, Jean-Pierre Chev�nement est, affirme-t-il aujourd'hui, lui-m�me convaincu qu'il ne faudrait point trop attendre pour mettre fin � la mission du pr�fet. Mais il souhaite, pour ce faire, attendre l'arrestation du " commando �rignac ", dont il sait qu'elle pourrait survenir rapidement. Or Bernard Bonnet, aliment�, on l'a vu, par sa fameuse source d�nomm�e " Corte ", est une pi�ce importante de l'enqu�te. Une fois les assassins sous les verrous, pense le ministre, son d�part s'effectuera sous le signe d'une victoire pour lui-m�me et pour le gouvernement. Il convient donc d'assumer jusque-l� - en accord total avec Matignon - son maintien � son poste.

C'est � l'automne 1999 que le travail d'influence du Monde sur le dossier corse prend un tour plus direct. Dans l'esprit de Lionel Jospin, la d�plorable b�vue qu'a �t� l'affaire des paillotes se trouve � pr�sent gomm�e par l'arrestation de tous les membres - except� Yvan Colonna - du commando d'assassins du pr�fet �rignac. Le nouveau pr�fet, Jean-Pierre Lacroix, est un rocardien favorable aux compromis. La croissance donne � l'�tat les moyens de se montrer g�n�reux. Pourquoi ne pas conclure en beaut�, sur l'�le du m�me nom, la l�gislature ? Pourquoi, � la politique des n�gociations clandestines men�es par la droite entre 1993 et 1997, ne pas opposer, sur ce terrain-l� aussi, celle d'une n�gociation transparente men�e par la gauche et d�bouchant enfin sur l'apaisement?

Oui, mais voil� : cette orientation se heurte, dans l'esprit du Premier ministre, � un pr�alable qu'il convient d'imposer aux mouvements ind�pendantistes et autonomistes corses : la renonciation � la violence, ou, � tout le moins, la condamnation de la violence par les �lus corses. Le 25 mai 1999, il d�clare � la tribune de l'Assembl�e nationale : "Je tiens � �tre clair. Le premier probl�me de la Corse, aujourd'hui, ce n'est pas son statut. Le premier probl�me, c'est celui de la violence qui d�chire l'�le - les menaces, les plasticages, le racket, les braquages, les assassinats (...). Aucune discussion institutionnelle ne peut avoir lieu sous la menace de la violence (...). La question pos�e aujourd'hui � tous en Corse - mais d'abord � ceux qui la pratiquent ou l'excusent - est bien celle de la renonciation d�finitive � la violence. Cette renonciation est un pr�alable. "

On soulignera au passage que le Premier ministre est bel et bien l'inventeur de cette formule que l'on retrouvera ensuite dans la bouche de son ministre de l'Int�rieur.
Quelques jours plus tard, Lionel Jospin, en petit comit�, d�fend la m�me ligne qu'� l'Assembl�e Nationale, face au directeur adjoint des Renseignements g�n�raux, Bernard Squarcini, qui lui propose d'" ouvrir le dialogue" en Corse: " Jamais je n'entamerai de dialogue tant qu'il y aura un seul attentat. " Le 6 septembre 1999, Lionel Jospin d�clare devant l'Assembl�e des �lus corses: "La condamnation de la violence est la condition pr�alable � toute �volution."

Qui a donc convaincu Jospin de faire exactement l'inverse de ce qu'il a d�clar� ce jour-l�, c'est-�-dire d'engager le dialogue avec les nationalistes avant toute renonciation � la violence, ou m�me toute prise de position des �lus dans ce sens ? Lui-m�me ne s'est jamais exprim� sur ce point. Toutefois, une chose est s�re : au sein du gouvernement et du Parti socialiste, on ne trouve alors nul partisan du dialogue sans conditions. Ni jean Glavany, auteur d'un rapport tr�s dur sur les d�rives mafieuses en Corse. Ni Dominique Strauss-Kahn, qui a d�j� disparu du circuit et qui est de toute fa�on attach� � l'�tat de droit. Ni, bien entendu, Jean-Pierre Chev�nement. Certes, Fran�ois Hollande approuvera ce tournant; mais il n'en a pas fait un cheval de bataille. Quant � Manuel Valls, charg� de la communication au cabinet de Lionel Jospin, et � Christophe Caresche, d�put� de Paris, s'ils comptent parmi les partisans du dialogue, leur influence est limit�e.

Qui sont donc les vrais auteurs de la conversion du Premier ministre ? Olivier Schrameck, d'une part; Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel, d'autre part.
D�s le 6 mai 1999, le directeur du Monde montre la voie � l'h�te de Matignon: "Initier une vaste consultation, sur le mod�le de ce qui a pr�valu en Nouvelle-Cal�donie, qui permette de jeter les bases d'une plate-forme minimale, politique, �conomique, sociale et culturelle, qui donne le sentiment d'un nouveau d�part. Pourquoi ne pas se saisir de ce second traumatisme [l'affaire des paillotes] pour en faire l'occasion d'une nouvelle chance?"

Dans son �dition des 8-9 ao�t 1999, Le Monde fait sa " une " sur les journ�es de Corte, avec la manchette suivante: " Corse : le nouveau cours des nationalistes. R�conciliation, ouverture, Europe sont devenus les mots-cl�s du discours nationaliste. � l'occasion des journ�es de Corte, jean-Guy Talamoni invite l'�tat � un "changement de fond" de sa politique. Il appelle les �lus de gauche et de droite � rejoindre "le camp de la Corse". " Le grand blanchiment des nationalistes a commenc�. Et voici annonc�, avec quatre mois d'avance, en quelques lignes, le fameux " processus de Matignon" dont Lionel Jospin lui-m�me n'a pas encore id�e!

� l'automne, Le Monde rapporte et explique r�guli�rement tous les attentats commis sur l'�le. D�s le 20 septembre, il en relate une douzaine et �tablit une corr�lation directe entre ces crimes et la d�ception caus�e par la visite du Premier ministre en Corse, qui a r�affirm� le pr�alable de la cessation des violences. L'article cite un communiqu� du FLNC: " Tant que l'�tat fran�ais n'aura pas donn� de garanties suffisantes pour un r�glement politique au probl�me corse, nous ne baisserons pas la garde (�). Pour notre part, nous sommes pr�ts � respecter nos engagements initiaux et � nous d�sengager d�finitivement si, au pr�alable, l'�tat s'oriente d�finitivement et concr�tement vers un processus de r�glement politique de la question nationale corse. "

Le 8 octobre, Le Monde revient � la charge avec un nouveau communiqu� du FLNC-Canal historique qui d�nonce lui aussi le "pr�alable " de Lionel Jospin. Les 11, 18 et 22 septembre, les 2, 14 et 19 octobre, puis les 2 et 5 novembre, le quotidien signale de nouveaux attentats. Qu'attend donc le Premier ministre pour changer de ligne ? Ne voit-il pas que toutes ces explosions traduisent la bonne volont� des nationalistes?

Selon Manuel Valls, responsable de la communication � Matignon, la conversion de Lionel Jospin a �t� pr�par�e par plusieurs rencontres. D'abord, lors de d�jeuners r�guliers organis�s avec Jean-Pierre Elkabbach, Alain Duhamel et Jean-Marie Colombani. Au cours de l'un d'eux, peu avant son changement de ligne, le 13 d�cembre, le Premier ministre s'affronte tr�s violemment au patron du Monde. Didier Hassoux a donn� un r�cit de ce d�jeuner dans Lib�ration 31 :

" Jospin essaie de convaincre ses interlocuteurs du bien fond� de sa politique. Notamment de son refus de dialoguer "avec les poseurs de bombes et ceux qui les soutiennent". Colombani r�plique : "Si vous ne faites rien, la violence ne s'arr�tera pas." R�ponse de Jospin : "Il faut pr�server l'ordre r�publicain." Ultime envol�e du patron du Monde: "Il y a dix exemples de par le monde qui montrent que le dialogue doit se nouer malgr� la violence. Si on veut vraiment la paix." "

On remarquera que le directeur a d�j� fait sien, � cette �poque, le langage des nationalistes. Le terme de " paix" que le quotidien, seul de toute la presse, va adopter sans guillemets, accr�dite l'id�e que la Corse est en guerre, comme l'Irlande du Nord. Mais, surtout, la phrase " Si vous ne faites rien, la violence continuera " est on ne peut plus ambigu�. Elle peut �tre le pronostic d'un commentateur qui tente de convaincre des vertus du dialogue ; elle peut aussi �tre comprise comme une pr�diction volontaire et mena�ante : " Si vous ne faites rien, on continuera � poser des bombes. " Nous allons voir que, malheureusement, tout incite � donner consistance � cette seconde interpr�tation.

Pouss� par ses "communicants ", Lionel Jospin ne veut pas rester sur ce d�jeuner conflictuel au cours duquel Duhamel et Elkabbach ont d� jouer les mod�rateurs. Une nouvelle rencontre est organis�e avec les seuls repr�sentants du Monde, qui sont trois : outre Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Jean-Louis Andreani sont �galement pr�sents. Ce jour-l�, c'est surtout Plenel qui intervient et d�fend l'id�e d'une " solution politique ", reprenant � son tour le langage de guerre cher aux nationalistes. Certes, d'autres contacts sont alors �tablis dans la perspective d'un changement de cap politique, comme cette rencontre avec Jean-Claude Casanova, le directeur - corse - de la revue Commentaire, qui d�fend lui aussi une certaine mansu�tude � l'�gard des nationalistes, ou bien encore ceux �tablis avec la franc-ma�onnerie par Pierre Chaubon, maire de Nonza et co-organisateur de la manifestation culturelle " Parler, chanter, f�ter la Corse " en 1995. Mais, en l'absence d'intervention de tout t�nor politique sur le sujet, nul doute que les rencontres avec Le Monde ont lourdement pes� dans la " conversion " du Premier ministre.
Tant que Lionel Jospin fait d�pendre le dialogue de la renonciation � la violence par les nationalistes et de sa condamnation par les �lus, Le Monde continue � rendre compte fid�lement des attentats perp�tr�s sur l'�le. Le 27 novembre 1999, il met en " une " les deux attentats contre l'Urssaf et la direction d�partementale de l'�quipement (DDE). Au total, soixante-dix kilos d'explosif ont �t� dispos�s par les clandestins. Seule l'�vacuation des locaux a pu �viter de justesse la mort de personnes travaillant sur place. Plusieurs salari�s ont �t� bless�s. Jacques Chirac d�clare que " ces actions �taient destin�es � tuer ". L'�motion est forte sur l'�le o� des manifestations contre la violence sont organis�es. Le Monde semble remplir consciencieusement sa mission d'information. Un encadr� r�capitule la mont�e de la violence depuis 1996.

Mais, sit�t l'�motion retomb�e, le 2 d�cembre, un grand article d'analyse, sign� Jacques Follorou, indique au Premier ministre comment cette nouvelle flamb�e doit �tre interpr�t�e : " Par ailleurs, contrairement � l'analyse du mouvement nationaliste d�velopp�e par le ministre de l'Int�rieur, mardi, sur LCI, la multiplication des groupes clandestins ne signifierait pas la fuite en avant de "soldats perdus". � en croire certains responsables nationalistes, si des dizaines de militants ont quitt� les organisations traditionnelles et cr�� leurs propres structures, ces clandestins seraient davantage enclins � suivre les mouvements publics qu'une voie brigadiste. Si un dialogue �tait engag� avec l'�tat, les organisations nationalistes publiques seraient en mesure de contr�ler l'activit� arm�e. La mouvance nationaliste para�t en effet, m�me si les attentats semblent d�montrer le contraire, d�sireuse de trouver une sortie pacifique au conflit qui l'oppose � l'�tat depuis plus de vingt ans. "

Telle est, pour Le Monde, la traduction du langage explosif des nationalistes: il faut lire les bombes d'Ajaccio comme un message pacifique. Le pire est que ce paradoxe - plus d'attentats pour mieux faire la paix ! - s�duit Jospin: c'est � l'occasion de la double d�flagration du 27 novembre que le Premier ministre convoque son �quipe et d�cide de lever le pr�alable de la cessation de la violence. Sans doute l'article du Monde a-t-il r�activ� dans son esprit le souvenir de ses conversations r�centes avec Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel. Sans doute certains " messages " transmis au gouvernement font-ils �tat de menaces d'attentat sur le continent si les lignes ne bougeaient pas. Une perspective qui effraie Lionel Jospin.

Le Premier ministre a-t-il �chang� sa " conversion " sur le probl�me corse contre un soutien du Monde � sa candidature aux pr�sidentielles de 2002 ? Selon son entourage, le deal n'a jamais �t� formul� comme tel. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent en g�n�ral dans cet univers. Les responsables du quotidien n'auraient d'ailleurs eu aucun int�r�t � se lier les mains, comme le reconna�t � demi-mot Jean-Marie Colombani lui-m�me: " Nous, nous sommes dans une situation confortable. Ce sont eux qui d�cident. Nous, on commente. " Mais il suffit d'esp�rer pour entreprendre. A contrario, Lionel Jospin pouvait d�j� �tre s�r d'une chose : en adoptant la position de son ministre de l'Int�rieur, c'est-�-dire en ne c�dant pas aux exigences des nationalistes, il �tait s�r de retrouver Le Monde contre lui en 2002, comme il l'avait d�j� �t� en 1995, du moins au premier tour. En revanche, en adoptant une position dite "girondine ", il avait de bonnes chances d'obtenir la bienveillance du quotidien des �lites fran�aises. Nul doute aussi que, d�s ce moment-l�, Olivier Schrameck, qui a d�j� nou� une relation assez �troite avec Edwy Plenel, a pouss� la charrue du bon c�t� et qu'il a �t� entendu. Au m�me moment, en effet, le Premier ministre recommandait � Jean-Pierre Chev�nement de ne pas envenimer les relations avec Le Monde, qui leur serait bient�t utile.

Quoi qu'il en soit, le 30 novembre 2000, de la tribune de l'Assembl�e nationale, le Premier ministre invite les �lus nationalistes � venir � Matignon. La premi�re rencontre avec tous les �lus r�gionaux corses a lieu le 13 d�cembre. D�s lors, Le Monde va s'�riger en m�diateur et avocat du " processus de Matignon ".
Premi�re mission du quotidien: accr�diter l'id�e que ce processus fait reculer la violence, les nationalistes choisissant la tr�ve pour montrer leur bonne volont�. La d�fense de cette th�se a pris successivement plusieurs formes:

La premi�re, et sans doute la moins remarqu�e - sauf par les Corses eux-m�mes -, consiste � faire silence sur les attentats qui se poursuivent... Entre janvier et juillet 2000, nous avons recens� la bagatelle de 32 attentats dont l'AFP et quelques journaux ont rendu compte, tandis que Le Monde les ignorait. En voici la liste : le 6 janvier, attentat contre un atelier de m�canique � Calvi ; le 16 f�vrier, trois attentats contre un magasin de v�tements � Bonifacio, contre l'entrep�t d'un agriculteur allemand en Haute-Corse et contre une sup�rette � San Giuliano ; le 17 f�vrier, attentat contre un restaurant � Bonifacio ; le 21 f�vrier, attentat contre un appartement ; le 3 mars, une camionnette � pizzas appartenant � un Maghr�bin d�truite par un attentat ; le 6 mars, deux commerces cibles d'attentats � Porto-Vecchio ; le 13 mars, mitraillage de la villa d'un entrepreneur de travaux publics en Haute-Corse ; le 19 mars, deuxi�me attentat contre une villa pr�s de PortoVecchio (il s'agit d'un t�moin du proc�s dit du golf de Sperone) ; le 27 mars, attentat contre un restaurant de plage en Haute-Corse ; le 4 avril, attentat contre l'�picerie-restaurant d'un camping en Haute-Corse ; le 8 avril, mitraillage contre un magasin de v�tements � l'Ile-Rousse; le 19 avril, attentat contre un bar de Santa-Severa ; le 30 avril, attentat contre une r�sidence secondaire en Haute-Corse ; le 5 mai, un restaurant d�truit par un attentat � l'explosif en Haute-Corse, et un autre attentat contre un magasin de v�tements � Bonifacio ; le 10 mai, un local de station de ski d�truit dans un attentat ; le 12 mai, attentat dans une rue de Corte contre une voiture en stationnement ; le 15 mai, deux attentats en Corse-du-Sud, visant une m�me famille ; le 21 mai, tentative d'attentat contre la Soci�t� nationale maritime Corse M�diterran�e (SNCM) � Marseille; le 23 mai, un attentat � l'explosif endommage un salon de coiffure � Borgo ; le 3 juin, attentat contre une villa en construction � Bonifacio ; le 4 juin, attentat contre la voiture personnelle d'un gendarme; le 5 juin, attentats � l'explosif contre deux entreprises � Porto-Vecchio ; le 9 juin, attentat � l'explosif contre la villa d'un retrait� parisien au sud de Bastia ; le 13 juin, attentat manqu� contre un restaurant d'Ajaccio ; le 17 juin, une r�sidence secondaire enti�rement d�truite par un attentat, deux kilos de dynamite non explos�s d�couverts dans un restaurant; le 26 juin, attentat contre une exploitation agricole en Haute-Corse ; attentats contre des rapatri�s...

Durant ces six mois, cruciaux pour le processus de Matignon, Le Monde ne rend compte que de trois attentats contre une agence du Cr�dit Agricole de Haute-Corse, contre la plus grosse discoth�que de Corse, et enfin contre le Centre international de conf�rences de l'avenue Kl�ber (� Paris).

Pourquoi ce silence ? En fait, Le Monde est le seul organe de presse � �voquer et m�me � faire la promotion de la " tr�ve arm�e ". Le 8 f�vrier 2000, deux repr�sentants du FLNC-Canal historique et du " FLNC du 5 mai 1996" proposent, dans un long entretien avec Jacques Follorou annonc� en " une ", la " paix des braves ". L'entretien commence par l'�vocation de la fusion en cours entre FLNC-Canal historique, FLNC-5 mai 1996, Fronte ribellu et Clandestinu, cens�e prouver la repr�sentativit� des forces qui acceptent la tr�ve. Les porte-parole expriment leur satisfaction de voir Jospin renoncer au pr�alable de la cessation des violences. � la question : " Avez-vous des contacts avec le gouvernement ou avec des repr�sentants des formations politiques qui le composent ? ", ils r�pondent: "Nous avons dit que nous ne comptions pas participer � des n�gociations politiques il n'en demeure pas moins que nous savons comment et � qui faire passer des messages quand le besoin s'en fait sentir. "

Comment et � qui faire passer des messages�

Les deux interlocuteurs de Jacques Follorou, qui ne sont autres que Joseph P�raldi, du FLNC-5 mai 1996, et jean-Fran�ois Ramoin-Luciani (bient�t arr�t�s et mis en examen pour le double attentat perp�tr� contre l'Ursaff et la DDE le 27 novembre 1999) le savent bien, qui viennent de participer, le 22 janvier, � une r�union, rue Cadet, au si�ge du Grand Orient, � laquelle assistaient deux autres militants nationalistes ainsi que deux repr�sentants du PS, Serge Jacobowitz et Fran�ois Rebsamen, Raymond Ceccaldi, pr�sident de la Chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, Alain Piazza, des Renseignements g�n�raux, et Simon Gionanna�, Grand Ma�tre.

Le 9 f�vrier 2000, Le Monde enfonce le clou sur le th�me de la " tr�ve arm�e " en relatant - de fa�on quelque peu pr�matur�e, on va le voir - le ralliement du mouvement Armata Corsa � la " paix des braves ", ainsi que la d�cision du Front arm� r�volutionnaire corse (FARC) de repousser de deux mois suppl�mentaires la reprise de ses actions militaires. Le 14 f�vrier, Ariane Chemin s'esbaudit: ((La soci�t� corse s'implique dans le processus ouvert par Matignon. " La journaliste fait �tat d'un projet global de d�veloppement de l'�le auquel souscriraient Jacques S�gu�la, Nicolas Hulot, le pr�sident de l'Universit� de Corte, Jacques-Henri Balbi, Charles Napol�on, descendant de l'Empereur (!), ainsi que des responsables du Medef. Nul n'entendra plus jamais reparler de ce "p�le de r�f�rence �cologique "...
Pendant que Le Monde fait la promotion de la " paix nouvelle ", Culioli d�fend, lui, l'int�r�t de la " tr�ve arm�e " d'une autre fa�on. Une note circulant au minist�re de l'Int�rieur pr�cise son r�le : " Enfin, divers observateurs engag�s, comme Gabriel-Xavier Culioli, ou non, rel�vent que la cr�ation d'une structure de coordination militaire, annonc�e avec le cessez-le-feu du 23 d�cembre, peut fort bien constituer un moyen de pression cons�quent et un facteur de surench�re, notamment en cas d'�chec du processus."

Si l'on en croit cette note, voil� donc comment l'�crivain - mais il n'est sans doute pas le seul - aurait pu convaincre un certain nombre de clandestins � d�cider d'une tr�ve : celle-ci serait con�ue comme l'occasion d'unifier militairement le mouvement afin de peser davantage lors des phases ult�rieures du combat.
Simple co�ncidence ? Quelque temps plus tard, Gabriel-Xavier Culioli obtient un poste � l'universit� de Corte o� son intervention est jug�e pr�cieuse pour le respect de la " tr�ve arm�e ". Mais, le 10 mars 2000, alerte � Ajaccio

Le processus est " en panne " ! L'Assembl�e des �lus corses r�unie � l'initiative de Matignon met les nationalistes en minorit� : la motion des "r�publicains " Zuccarelli et Alfonsi devance celle de Jos� Rossi, soutenue par les �lus nationalistes Talamoni et Quastana!

Le 11 mars 2000, Le Monde annonce une majorit� autour de Jos� Rossi et de sa proposition de d�volution du pouvoir l�gislatif, alors qu'une majorit� d'�lus a, en fait, rejoint �mile Zuccarelli pour rejeter ce type de concession aux nationalistes!

Soixante-douze heures plus tard, Le Monde s'inqui�te d'une possible reprise des attentats. Mais non : ouf! Le quotidien s'�merveille de la magnanimit� des combattants arm�s dans un article au titre �loquent: "Les nationalistes corses entendent riposter sans rompre. " Tony Flieschi, dirigeant de Corsica Viva, cit� dans cet article, soulage les lecteurs : "Le vote du 10 mars, ajoute-il, �tait un premier pas vers la paix. Il a �t� refus� par une partie de la classe politique insulaire, mais nous ne sommes pas encore parvenus au point de blocage."

La patience des nationalistes a cependant des limites. Le 15 mars, c�t� " vitrine l�gale ", Gabriel-Xavier Culioli donne, toujours dans Le Monde, un contenu plus politique au "risque" de reprise des attentats : " Une fois constat�e cette contradiction fondamentale entre la repr�sentation �lective et les aspirations des citoyens si longtemps �touff�es, il faut bien trancher entre le peuple et ses �lus si on ne veut pas cr�er les conditions d'une violence de masse. Il revient donc au Premier ministre de renvoyer la balle dans le camp d'une Corse qui n'aurait jamais d� la lui envoyer. Le seul moyen constitutionnel est un r�f�rendum local � valeur uniquement consultative posant la question de l'autonomie et de la reconnaissance du peuple corse (...). Sans un tel geste, le doute subsistera quant � la l�gitimit� de cette assembl�e, et la violence clandestine reprendra sans que personne ne puisse l'emp�cher. Mais elle b�n�ficiera cette fois-ci d'un assentiment plus massif qu'hier, car le vote du 10 mars aura d�truit toute possibilit� d'issue politique au probl�me corse. "

Cette fois, Le Monde se fait clairement le porte-parole des nationalistes qui exercent leur chantage sur l'Assembl�e des �lus corses. Tout comme Jean-Marie Colombani l'avait fait sentir � Lionel Jospin � l'automne 1999, Gabriel-Xavier Culioli laisse planer la menace d'une reprise des attentats en l�gitimant par avance l'exasp�ration des nationalistes.

Trois mois et demi plus tard, le 29 juin, si Le Monde �voque l'attentat avort� (la charge n'a pas explos�) contre le centre de conf�rences internationales de l'avenue Kl�ber, ainsi qu'une autre tentative contre un b�timent ni�ois de la Marine nationale et que deux autres attentats - r�ussis, ceux-l� - contre des fermes appartenant � des rapatri�s d'Alg�rie, tous revendiqu�s par le FLNC-Canal historique, c'est pour invoquer d'embl�e une circonstance att�nuante: ces violences t�moigneraient d'une solidarit� avec Charles Pieri, incarc�r� mais dont la condamnation, jug�e trop cl�mente, vient de faire l'objet d'un pourvoi en appel par le Parquet. L'ind�pendance de la justice est sans doute une notion inaccessible aux ind�pendantistes clandestins...

En outre, ces attentats viseraient �galement � exercer une pression sur les n�gociations, le FLNC d�non�ant " les atermoiements de l'�tat fran�ais ".
Le m�me jour, un autre article de Jacques Follorou fait �tat de fortes pressions de Corsica Viva et d'A Cuncolta sur Jean-Guy Talamoni et Paul Quastana � propos du cas Pieri et des " prisonniers politiques ". Vite, c�dons � toutes les exigences des poseurs de bombes pour b�n�ficier enfin de la " paix des braves
Mais tout vient � point... Lorsque, peu avant les vacances d'�t�, l'Assembl�e des �lus corses se range cette fois derri�re Jean-Guy Talamoni, Le Monde donne � nouveau la parole aux clandestins qui " confirment leur soutien au processus de paix ". Deux " unes " offertes aux mouvements nationalistes clandestins en moins d'un an!

Jusqu'au 28 juillet, jour o� les �lus corses paraphent le texte sur l'avenir de la Corse, Le Monde ne cesse d'�carter toutes personnes susceptibles de se mettre en travers du " processus de Matignon ". Le patron du quotidien entend ainsi faire de ce processus un v�ritable " sanctuaire ". Il salue avec enthousiasme le remaniement minist�riel qui voit Lionel Jospin sacrifier son ministre radical �mile Zuccarelli pour ne pas d�plaire � Alain Christnacht, le conseiller en charge des n�gociations avec les �lus corses.

Paradoxalement, avec ce remaniement dispara�t la seule pr�sence corse au sein du gouvernement! Le Monde n'h�site pas non plus � se f�cher avec le conseiller territorial corse Nicolas Alfonsi, lui aussi sceptique sur le " processus ". Et, bien entendu, il ne manque pas, au moment crucial41, de tout mettre en �uvre pour h�ter le divorce entre Lionel Jospin et Jean-Pierre Chev�nement.

Qu'importe si la tr�ve arm�e n'a aucune r�alit� sur le

terrain ! Ainsi la police a-t-elle enregistr� vingt assassinats entre janvier et ao�t 2000, contre seize pour toute l'ann�e 1999, pourtant d�j� meurtri�re ! Et si le nombre d'attentats baisse en 2000, on en d�nombre tout de m�me une bonne centaine au cours des six premiers mois. Mais "� bas bruit ", comme l'expliquera Jean-Pierre Chev�nement peu apr�s sa d�mission. Car la r�alit� doit rester celle que relate Le Monde. Le 27 octobre 2001, Jacques Follorou �crit ainsi : " La violence dite politique, sous forme d'attentats revendiqu�s, est r�siduelle depuis que le cessez-le-feu a �t� d�cr�t�, fin 1999, par les organisations clandestines regroup�es au sein du FLNC. "

On rel�vera que, l� encore, l'expression " cessez-lefeu ", qui conf�re un parfum de guerre d'Alg�rie au dossier corse, est employ� sans guillemets. Mieux, Jacques Follorou d�clare que " depuis la disparition des leaders du groupe Armata Corsa, Fran�ois Santoni et Jean-Michel Rossi [� noter que les deux hommes n'ont jamais reconnu appartenir � cette fraction], le mouvement nationaliste n'a jamais �t� aussi int�gr� dans le syst�me d�mocratique. " Si la violence persiste, explique le journaliste, il faut la chercher du c�t� du banditisme : " Consid�r�es comme secondaires par l'�tat, en Corse, les activit�s des voyous ont prosp�r� � l'ombre des attentats et des assassinats qui ont ponctu� l'histoire du nationalisme corse. " Suivez mon regard : d�s lors que la direction du FLNC unifi� adh�re au processus de Matignon, toutes les violences sont r�siduelles et n'ont plus rien � voir avec la politique; elles doivent donc �tre trait�es dans la rubrique des faits divers.

Quelques jours plus tard, le l novembre, c'est jean-Louis Andreani qui mart�le " Les attentats politiques contre les b�timents publics ont, eux, diminu� de fa�on spectaculaire depuis le d�but du processus de Matignon. " La preuve ? Le Monde n'en a pas parl�. Ils n'ont donc pas exist�

Il faut se rendre aussi � l'�vidence : non seulement Le Monde soutient la cause des nationalistes, mais il prend position en faveur de l'une de ses branches, et ferraille contre la partie du mouvement qui ne soutient pas le "processus" : voil� pourquoi le quotidien s'est montr� si discret sur le livre de Fran�ois Santoni et Jean-Michel Rossi42. Voil� pourquoi les assassinats de militants d'Armata Corsa ont �t� si peu comment�s, ou bien raval�s au rang de simples faits divers.

Voil� pourquoi Le Monde est seul, au sein de la presse fran�aise, � faire ouvertement de la publicit� � l'initiative de la Cuncolta qui organise � l'automne 2002 une vaste consultation " des Corses du monde entier " sur la base d'une citoyennet� fond�e, pour l'essentiel, sur le droit du sang. Voil� pourquoi, enfin, Ariane Chemin, dans Le Monde du 10 d�cembre, fait habilement la promotion de Charles Pieri, salu� comme " un acteur incontournable de la vie politique corse ". Or, Charles Pieri, emprisonn� durant quatre ans, a �t� l'un des dirigeants les plus violents de la mouvance nationaliste. Son pouvoir d'intimidation est tel que, lors du proc�s intent� � son fils Christophe et au camarade de celui-ci, St�phane Sbaggia, en d�cembre 2002, la plupart des experts (cinq sur six) et des t�moins (vingt-six sur trente-neuf) ne se produisirent pas � la barre sous des pr�textes divers, ce qui aboutit � la scandaleuse relaxe des deux individus, pourtant accus�s d'avoir assassin� un homme de dix balles dans le dos. Jacques Julliard a parfaitement r�sum� l'�v�nement "La justice, qui est rendue au nom du peuple fran�ais, a �t� humili�e, ridiculis�e par Charles Pieri.
L'Express du 19 d�cembre 2002 publie de son c�t� une enqu�te de quatre pages (" Silence, on tue ") d�montrant que la justice est bafou�e en Corse et que, au-del� de ce proc�s, les criminels �vitent toute sanction. Le Monde, lui, se contente d'un compte rendu d'audience tr�s " objectif ", dans lequel la parole de la d�fense des accus�s occupe une large place. Pour ne pas " d�zinguer" le p�re de l'un des accus�s, un " bon informateur ", si " incontournable " en Corse?

Comment, finalement, faire le lien entre tous ces �l�ments qui dessinent la politique corse du Monde? Quelle relation logique �tablir entre le " blanchiment " des groupes nationalistes arm�s, l'adoption de leur langage (la paix ", le " cessez-le-feu ", les " prisonniers politiques "...), voire de certains de leurs principes (l'" imp�t r�volutionnaire > h�rit� du droit romain), la subite bienveillance � l'�gard d'un parrain du Milieu, enfin l'indulgence pour le groupe qui a tu� Fran�ois Santoni, et l'aide malencontreuse, si ce n'est d�lib�r�e, du moins effective, apport�e dans sa fuite au commando des assassins d'Erignac?

Nous ne saurions avancer d'autres �l�ments de preuve que l'ensemble impressionnant des faits rapport�s dans ce chapitre. Ils ne prennent une vraie coh�rence que si l'on formule l'hypoth�se suivante aux yeux du Monde et avant tout de Jean-Marie Colombani, la violence en Corse a �t� un facteur d�cisif qui a permis de convaincre la France de renoncer � ses " attributs coloniaux" et � son jacobinisme obsessionnel. Ce sont les centaines d'attentats qui ont accul� les gouvernements successifs � infl�chir leur politique, puis � en changer. C'est le double attentat contre l'Urssaf et la DDE, en novembre 1999, qui a convaincu Lionel Jospin de lever le pr�alable de la cessation de la violence et d'enclencher le " processus de Matignon ". En l'esp�ce, la violence n'est donc pas condamnable, estime sans doute Jean-Marie Colombani. Elle est accoucheuse d'Histoire. Elle permet de faire �clater le carcan de l'oppression. Jospin lui-m�me ne l'a-t-il pas compris en �tablissant un parall�le os� entre la lib�ration des " prisonniers politiques " exig�e par le FLNC et le paiement des jours de gr�ve revendiqu� par les syndicalistes ? Mais, en ce cas, faut-il sacrifier Yvan Colonna sur l'autel d'une paix enfin retrouv�e entre la France et la Corse ? Cet enfant du pays, pour lequel Le Monde emploie les m�mes �pith�tes que U Ribombu - " pur et sinc�re " -, ne m�rite-t-il pas de garder sa libert� quelque temps encore, jusqu'� ce que la lutte des " patriutu " soit pleinement l�gitim�e ? C'est bien en poussant � son terme ce raisonnement que la ligne corse du quotidien trouve sa pleine coh�rence.

Car telle est la d�vorante passion corse du directeur du Monde que tout, absolument tout doit �tre sacrifi� � la "paix ". Les principes d'une R�publique fran�aise une et indivisible, auxquels il n'a jamais souscrit, bien s�r. Mais aussi bien la d�ontologie professionnelle et le go�t de la v�rit�. Voil� pourquoi, comme l'avouait r�cemment un collaborateur du journal, lorsque le sujet de la Corse vient sur le tapis en conf�rence de r�daction, chacun regarde la pointe de ses chaussures.

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s