L�ancien d�put� et pr�fet honoraire Jean Bozzi est d�c�d�. Nous livrons quelques t�moignages sur ce grand � humaniste � t�moin essentiel de la vie agit�e des �gouts de la V�me r�publique.
Quand un humaniste rend hommage � un autre humaniste
C�est durant la 9�me audience du pr�fet Papon, que Jean Bozzi est venu t�moigner en sa faveur.
Lundi 20 octobre. 9 �me jour d'audience. Le pr�sident de la cour d'assises avait pr�vu d'entendre dix t�moins, tous cit�s par la d�fense, pour poursuivre l'�vocation de la personnalit� de Maurice Papon. Quatre seulement sont pr�sents.
Jean Bozzi, 77 ans, Corse d'origine et pr�fet honoraire, est le premier � s'avancer � la barre. Costume bleu fonc�, couronne de cheveux blancs, il pr�cise tout de suite qu'il a " seulement rencontr� deux fois Maurice Papon ".
La premi�re fois, c'�tait en Corse o� Maurice Papon �tait pr�fet : " Les Corses disaient qu'ils avaient un excellent pr�fet, merveilleusement gentil, compr�hensif. Lui-m�me parlait de mes compatriotes avec beaucoup de respect pour leurs particularit�s ".
Jean Bozzi se laisse emporter par les souvenirs de sa propre carri�re. Avec la fiert� du chemin accompli, le " fils de cultivateur " �voque longuement sa propre carri�re dans la pr�fectorale, ses nominations et les hommes prestigieux qu'il a rencontr�s.
Le public se demande o� il veut en venir. Maurice Papon, appuy� sur ses deux bras, manifestement las et plus fatigu� que la semaine derni�re, semble trouver le temps long. Le pr�sident, lui-m�me, ne retient pas une certaine impatience : " Je me permets de vous interrompre... Je vous invite � d�poser sur la personnalit� de l'accus� ".
Jean Bozzi parle alors de la deuxi�me rencontre avec Maurice Papon, entre 1962 et 1966. Le pr�fet Papon avait alors �t� responsable de Charonne au cours duquel 8 militants communistes avaient �t� tu� par la police mais surtout de l�effroyable r�pression d�octobre 1961 au cours de laquelle des centaines d�Alg�riens avaient �t� massacr�s par des policiers d�cha�n�s. Certains m�me avaient �t� tu�s dans la cour de la pr�fecture sous les yeux du pr�fet Papon: " Je le voyais pratiquement tous les jours lorsqu'il venait voir le ministre (de l'Int�rieur). Roger Frey m'avait dit tout le bien qu'il pensait de lui. Il me l'a r�p�t�, 6 mois avant de mourir, et m'a f�licit� de venir t�moigner ".
" A l'�poque, ajoute Jean Bozzi, j'ai pu appr�cier le lib�ralisme profond de M. Papon ". Des murmures de d�sapprobation parcourent la salle d'audience. Jean Bozzi ne se d�monte pas : " Quand on est Corse, on ne se laisse pas impressionner par des murmures ".
Il poursuit : " Certes, c'�tait un homme ferme et d'autorit� mais il savait composer avec les �v�nements et n'avait aucune hostilit� envers une communaut� religieuse ou raciale ". Au terme de sa d�position, il conclut sur le ton du devoir accompli : " Je suis � un �ge o� on peut se permettre d'�mettre une opinion et un souhait. Que ce proc�s soit le dernier, au risque de diviser la France. Quelle qu'en soit l'issue, que le pardon se fasse d'un c�t� et de l'autre. Que la France n'ait plus � souffrir de son pass� ".
" Nous ne sommes pas ici pour donner ou refuser un pardon, mais pour juger un homme " pr�cise le procureur g�n�ral Henri Desclaux avant de demander au t�moin si au cours de ses entretiens r�guliers avec le pr�fet de police de Paris, il a �t� question des fonctions et du comportement de Maurice Papon pendant la guerre. " Non, certes pas " convient Jean Bozzi. Il se souvient cependant que De Gaulle marquait � Maurice Papon " une tr�s grande consid�ration jusqu'� plaisanter avec lui. Sachant De Gaulle remarquablement inform�, s'il avait su quelque chose d'infamant, peut-�tre l'eut-il maintenu � la pr�fecture de police, mais il n'aurait jamais entretenu au plan humain les relations qu'il entretenait avec lui ".
Les avocats des parties civiles le pressent de questions. Ils veulent notamment savoir, si, secr�taire g�n�ral de la pr�fecture de Gironde en 42, il aurait ou non d�missionn�. " Il serait facile de r�pondre " indique Jean Bozzi qui, pendant la guerre, �tait � l'�cole de l'administration coloniale. " Mais en conscience, j'y pense quotidiennement, je fais des r�ponses qui alternent selon les jours, les humeurs et la force d'�me. J'aurais pu d�missionner et j'aurais pu aussi par devoir rester l�, en sachant que si je ne le faisais pas, quelqu'un d'autre l'aurait fait � ma place, sans aucune consid�ration humaine ".
Dans D comme Drogue le journaliste Alain Jaubert d�crit l�une des phases de l�existence de Jean Bozzi.
[...]
Cette pr�sence des gangs sera d�sormais une constante de la vie politique fran�aise.
Une trentaine de scandales politiques, de la lutte anti-OAS � l'affaire Lascorz en passant par l'affaire Ben Barka, sont l� pour en t�moigner : on retrouve toujours m�l�s les hommes du SAC, les agents du SDECE [Service de documentation ext�rieure et de contre-espionnage, l'actuelle DGSE], les truands marseillais et selon la saison, d�put�s UDR, policiers ou financiers li�s au pouvoir. On ne s'�tonnera pas de voir Francisci li� � presque tous les protagonistes de ces grandes affaires.
Et � partir de 1958, comment ne s'int�resserait-il pas � la politique, lui qui se dit "farouche partisan du G�n�ral De Gaulle", alors que deux de ses amis les plus proches, Alexandre Sanguinetti et Jean Bozzi, vont se succ�der au cabinet du ministre de l'int�rieur Roger Frey ?
Arr�tons-nous un instant sur cette situation presque incroyable : les plus hauts responsables de la police sont les amis de celui qui est accus� par Interpol et par le FBI d'�tre un des plus grands responsables du trafic de la drogue ! Nous verrons � plusieurs reprises de tels paradoxes dans les dossiers de nos "gros bonnets".
Le r�gime n� d'une esp�ce de coup d'�tat est vite menac� lui-m�me par d'autres putschistes. En suivant les voies l�gales, ni la police ni la justice ne pourraient venir � bout de l'OAS. Alexandre Sanguinetti, ancien homme d'extr�me droite devenu gaulliste et affairiste (1), est "charg� de mission aupr�s du ministre de l'Int�rieur". Ce n'est qu'un titre pour couvrir le "sale boulot" - la principale t�che d'Alexandre Sanguinetti, c'est la lutte contre l'OAS. Il y gagnera le surnom de "Monsieur anti-OAS".
Avec Dominique Ponchardier, Jacques Foccart et un avocat dont on reparlera � maintes reprises, Pierre Lemarchand, il fait appel aux anciens du service d'ordre du RPF, � tous ses amis corses, au premier rang desquels Francisci et les Venturi. On recrute pour Sanguinetti des tueurs dans les bas-fonds de Marseille : quelques mauvais gar�ons au casier judiciaire charg� (mais on leur promet de les "blanchir"). Les "barbouzes" (2) ont carte blanche pour liquider les hommes des commandos Delta (3) et les r�seaux OAS. On avait commenc� en fait par les employer pour liquider les membres des r�seaux FLN en m�tropole. Munis de cartes de police et de ports d'armes, les truands marseillais font des ravages, en Alg�rie comme en France.
Avec les �quipes mobilis�es en France, Charles Pasqua forma le Service d'action civique (SAC), le service d'ordre gaulliste. Des dizaines de truands s'y engagent. C'est la meilleure couverture possible : comme chefs locaux, comme membres actifs, une douzaine de ceux qu'on retrouvera dans les grandes affaires de drogue de ces dix derni�res ann�es y adh�rent.
Apr�s Sanguinetti, c'est encore un ami de Francisci, Jean Bozzi, d�put� UDR de la Corse, qui travaille avec le ministre de l'Int�rieur. Sous Bozzi �clate l'affaire Ben Barka, autre grand scandale politique dans lequel sont impliqu�s en m�me temps les plus hauts fonctionnaires de la police, des agents du Sdece et des truands au pass� de barbouzes. Bozzi se rend d'ailleurs c�l�bre en r�digeant le 11 novembre 1965 un m�morable communiqu� d�mentant que les policiers fran�ais soient impliqu�s dans l'affaire Ben Barka. Par Bozzi, Francisci rencontre souvent Frey. Des gaullistes importants sont re�us � sa table, invit�s � son club ou m�me sur son yacht : Charles Pasqua, Jacques Foccart, Achille Peretti, Alexandre Sanguinetti, et les hommes des services secrets. On dit que Francisci est toujours de tr�s bon conseil pour ses amis ministres ou d�put�s, et qu'on h�site pas � lui confier de l'argent � bien placer. De toutes fa�ons, � force de rendre des services dans les moments tr�s difficiles et d'approvisionner les caisses noires, on devient assez vite invuln�rable. Un coup de t�l�phone suffit alors pour que les amis se mettent en quatre, calment un policier trop curieux, retirent un dossier � un juge... Car tout en donnant dans la "haute" politique, les activit�s marginales de "Monsieur Marcel" n'en continuent pas moins.
D�autres facettes de � l�humanisme � de Jean Bozzi
1958 voit la naissance officielle et la d�claration � la Pr�fecture de Police d'une association sans but lucratif. r�gie par la loi du 1er juillet 1901, le " Service d'Action Civique", association port�e sur les fonts baptismaux par l�in�vitable Jacques Foccart, Roger Frey, Jean Bozzi, Dominique Ponchardier, Paul Comiti, Alexandre Sanguinetti et Charles Pasqua
( Jacques Foccart, secr�taire g�n�ral du R.P.F. en 1954 �tait conseiller de l'Union Fran�aise depuis le 10 juillet 1952.
Il devint pr�sident de la Commission de Politique G�n�rale en 1954.
Roger Frey, secr�taire g�n�ral des R�publicains Sociaux depuis 1955, si�geait �galement � l'Assembl�e de l'Union Fran�aise depuis 1952. Jean Bozzi se trouvait dans l'administration pr�fectorale, Ponchardler �tait responsable du S.O. du R.P.F. Sanguinetti dans les affaires (voir " Dossier S... comme Sanguinetti ", de Jean Montaldo, paru dans la m�me collection en 1973) Quant � Charles Pasqua, Il �tait repr�sentant de commerce de la soci�t�
Ricard.).
La premi�re t�che des fondateurs du S.A.C. est de reprendre en main les sections locales du S.O. du R.P.F. galvanis�es par la r�ussite du 13 mai, et de ranimer certains groupes demeur�s apathiques dans quelques d�partements.
En Corse, Jean Bozzi fait merveille assist� de Fran�ois d'Anfriani, de Pascal Lucchini, d'Ange Simonpieri, de J�r�me Lucchinacci et de Pierre Mariani. Ces six hommes se partagent le d�partement et en font un des points forts de la jeune organisation.
Dans les Bouches-du-Rh�ne, Charles Pasqua a pr�par� le 13 mai en groupant autour de lui une poign�e d'hommes d�cid�s. bien arm�s, anciens du R.P.F., gaullistes b�tis � chaux et � sable, qui passent dix jours dans les caves de la place F�lix-Baret, � Marseille, dans l'attente du mot de code "R�surrection" qui leur donnerait le feu vert pour la prise d'assaut de la pr�fecture. La victoire assur�e, Charles Pasqua am�ne au S.A.C. tous ces hommes dont il fait des chefs de groupe. Jean Lucchinacci, Gilbert Vaniers Ange-F�lix Calzi, Max-Antoine Orsoni, Jean Pinelli, constituent ainsi l'armature autour de laquelle se groupent bient�t des hommes aussi divers que Paul Gaillet, futur secr�taire f�d�ral de l'U.N.R., G�rard Kapp�, Bernard Masiani, Andr� Mouton et d'autres de moindre envergure.
Officiellement, le r�le du S.A.C. consiste � prot�ger les personnalit�s gaullistes lors des voyages officiels des r�unions publiques, etc. En pratique, il en va tout autrement. D�s sa cr�ation, il devient �vident qu'il s'agit de constituer dans la coulisse "en r�serve de la R�publique" quelques troupes de choc susceptibles d'�tre utilis�es en cas de n�cessit�.
(�)
D�s 1958, Roger Frey, Alexandre Sanguinetti, ''Dominique Ponchardier et Charles Pasqua d�cident de lancer le S.A.C. dans la lutte contre le F.L.N. alg�rien dont la willaya m�tropolitaine accumulait les actes de terrorisme. Dans l'esprit de ses artisans, la lutte contre le F.L.N. devait s'engager sur deux plans : infiltration et r�pression. Pour cette t�che, les gaullistes "purs et durs" sont � peine suffisants pour assurer l'encadrement des r�seaux. Il faut donc faire appel � une "main-d'�uvre ext�rieure", c'est-�-dire recruter dans ce qu'il est convenu d'appeler le "milieu" par l'interm�diaire de truands partageant les m�mes amiti�s politiques ou les m�mes int�r�ts. L'app�t est toujours le m�me, celui utilis� par les services sp�ciaux du monde entier : aux petites escarpes, aux jeunes truands aux dents longues, sont propos�s un casier judiciaire vierge et des rentr�es de fonds maximums dans un minimum de temps. En contrepartie, on exige seulement d'avoir la g�chette ou la matraque facile, de ne point �tre trop tortur� par sa conscience et d'ob�ir sans discuter aux ordres re�us. Le contrat est jug� int�ressant par certains, � tel point m�me qu'ils deviennent eux-m�mes des agents recruteurs acharn�s, n'h�sitant pas � contacter en prison certains "clients" potentiels et � les en extraire si l'agr�ment est obtenu, comme l'illustre le t�moignage de Jean-Baptiste C... (T�moignage recueilli le 6 d�cembre 1973) :
"... Durant l'�t� 1958, je purgeais une peine de prison � la Maison d'arr�t des Baumettes, � Marseille. J'avais "pris" cinq ans et j'avais une instruction en cours pour une seconde affaire d'attaque � main arm�e. J'ai �t� contact� par un avocat marseillais qui m'a demand� si, en �change de ma lib�ration, j'acceptais de m'enr�ler dans un mouvement clandestin de lutte contre le F.L.N. ... Ma foi, cette proposition avait tout pour plaire, en tout cas pour me plaire : d'abord je me tirais d'une situation difficile et puis les arabes j'ai jamais aim� alors c'�tait tout b�n�fice !... J'ai dit O.K. On m'a d'abord transf�r� � Aix- en Provence, et puis � la Sant�, � Paris. L� un avocat parisien est venu me voir et m'a mis le march� en main .
Je rejoignais un mouvement clandestin, d'accord, mais qui en fait �tait une sorte de police parall�le.
Notre travail devait �tre double : tout d'abord infiltrer les r�seaux F.L.N. en m�tropole en nous faisant passer pour des sympathisants d'extr�me gauche, et ensuite effectuer toutes les t�ches dont la police officielle ne pouvait se charger, en particulier la liquidation physique de certains �l�ments.
En �change, on m'offrait la libert� imm�diate, un salaire �lev� plus des primes et, � la fin de la mission, un casier Judiciaire vierge et l'extinction des poursuites en cours.
Quarante-huit heures plus tard. j'�tais libre. Deux personnes m'attendaient au bar "A la bonne sant�", situ� rue de la Sant� � Paris, juste en face de la prison. je n'eus que la rue � traverser. En fait le travail commen�ait imm�diatement. On m'a muni d'un faux passeport et d'un faux permis de conduire, d'une carte de police p�rim�e depuis six mois, d'un permis de port d'arme en bonne et due forme valable pour un Walther P-38, du P-38 en question avec des munitions en quantit� et de deux num�ros de t�l�phone � Paris, l'un valable pour la journ�e, l'autre pour la nuit. Je faisais �quipe avec quatre autres personnes, dont une �tait un inspecteur principal des Renseignements g�n�raux plac� pour la circonstance en cong� de maladie.
Notre travail n'avait rien � faire avec l'infiltration dont d'autres groupes se chargeaient.
Pour nous. il s'agissait de cr�er de toutes pi�ces des vendettas, des r�glements de comptes interminables entre F.L.N. et M.N.A. et de proc�der � des ex�cutions sommaires. En ce qui concerne la rivalit� F.L.N./M.NA, rien n'�tait plus facile : on arrivait le soir avec une ou deux voitures dans le quartier arabe de la Porte d'Aix. � Marseille, ou � la Goutte d'Or ou � Barb�s, a Paris, on s'arr�tait devant un caf� maure rep�r� � l'avance et on l�chait une ou deux grenades accompagn�es de quelques rafales de mitraillette. Ca suffisait et le lendemain les repr�sailles commen�aient d'elles-m�mes ... Y a eu �galement du boulot moins sympathique.
Mais nos employeurs �taient coulants et chaque fois qu'on mettait la main sur un collecteur de fonds, on fadait (partager) � cinq, car m�me le flic ne faisait pas la fine gueule ! Et les embrouilles �taient vite r�gl�es dans l'ensemble. Bref, d'une fa�on g�n�rale, nos patrons du S.A.C. ont �t� corrects � part le lait qu'on n'a jamais vu les casiers judiciaires vierges.!
En septembre 1960, on nous a dit que le boulot �tait termin� et on nous a remis une forte somme en liquide, on nous a retir� les ports d'armes et les cartes de flic p�rim�es et on nous a laiss� le flingue comme souvenir avec en prime notre jeu de faux papiers et une carte du S.A.C. tricolore
... Il �tait temps car on commen�ait a en avoir marre de ce boulot..."
L'activit� anti-F.L.N. du Service d'Action Civique ne dure gu�re en effet qu'une vingtaine de mois, � la suite desquels, la politique du pouvoir ayant chang�, il faut lever de nouvelles troupes pour lutter contre une nouvelle subversion, en majorit� europ�enne celle-l� : I'O.A.S. Les m�mes hommes, recrut�s dans les m�mes bas-fonds, sont r�utilis�s et les fonds secrets permettent de vaincre bien des r�ticences.
C'est dans ce combat de l'ombre que s'illustrent le ministre de l'Int�rieur de l'�poque, Roger Frey et ses collaborateurs officiels, comme Alexandre Sanguinetti, ou parall�les, mais tout aussi efficaces, comme Lucien Bitterlin (Animateur de l'Association France-pays Arabes et auteur de l'Histoire des Barbouzes, 1972) Dominique Ponchardier ou Paul Comiti.
Sans �quivoque, Roger Frey, cet "aventurier, qui aurait un excellent tailleur", dirigea la lutte entreprise contre I'O.A.S., tant en Alg�rie qu'en m�tropole, avant d'assurer, au lendemain de l'ind�pendance alg�rienne, la couverture du S.A.C. dans toutes ses activit�s para-l�gales, et � l'occasion franchement criminelles.
Les porteurs de la carte tricolore du Service d'Action Civique b�n�ficieront toujours de la mansu�tude de la place Beauvau (si�ge du minist�re de l'Int�rieur, dont Frey fut le titulaire du 7 mai 1961 au 6 avril 1967).
Il est vrai que les truands, bien encadr�s par des militants gaullistes d�vou�s, forment une police parall�le bien plus souple et bien plus efficace que la police officielle.
Le S.A.C. participe notamment en 1963 � l'enl�vement du colonel Argoud, � l'h�tel Eden-Wolf de Munich, � l'affaire Ben Barka et finalement au scandale Markovitch.
En pratique, c'est l'affaire Ben Barka qui va marquer un tournant d�cisif dans les activit�s du Service d'Action Civique.
L'enl�vement de Mehdi Ben Barka (octobre 1965) en plein Paris, et le roman-feuilleton qui s'ensuivit, provoqu�rent la mise � l'�cart de toute une s�rie de responsables des services parall�les et la perte totale de cr�dibilit� de la part de nombre d'autres � tous les �chelons.
Insensiblement, les chefs barbouzes du 5 de la rue de Solferino voient leurs possibilit�s de pression se restreindre. Les moyens mis � leur disposition s'amenuiser.
Leurs protecteurs et leurs commanditaires commencent � se demander s'il est vraiment n�cessaire de continuer � garder le contact avec des hommes de main non seulement peu efficaces, mais de plus en plus g�nants.
Le tournant se pr�cise d�s les premiers mois de 1966, lorsqu'en f�vrier, Christian David, dit "le beau Serge", abat, au bar Saint-clair, rue d'Armaille, � Paris 17e, le commissaire Galibert, et blesse gri�vement deux de ses adjoints, Gouzier et Gibeaux.
Malgr� la mauvaise volont� officielle, caract�ris�e par des pressions, des ralentissements de l'enqu�te, des dissimulations de dossiers, des noms qui apparaissent ( Les pressions du Parquet et de la Chancellerie durant l'instruction de l'affaire Ben Barka (1965) ont �t� rendues publiques en d�cembre 1974 par le Syndicat de la Magistrature) puis disparaissent, certains policiers honn�tes vont utiliser cette "bavure" pour mener une offensive contre ces truands qui b�n�ficient d'une quasi-impunit� du fait de leurs activit�s au sein des r�seaux parall�les.
En 1966 et 1967, les activit�s du S.A.C. sont de routine : cambriolages, enl�vements, menaces de mort, tentatives de meurtre, escroqueries, bref, rien de tr�s nouveau.
En mai 1968, le pouvoir affol� se tourne une nouvelle fois vers ceux que l'on d�sire oublier d�s qu'on les a utilis�s, ceux qui savent si bien se rendre indispensables pour animer les r�seaux mis en place : Michel Debr�, Andr� Fanton, Jacques Foccart, Dominique Ponchardier. Me Pierre Lemarchand et consorts.
C'est avec ces hommes et leurs s�ides que la France pr�pare ses stades cinq ans avant le Chili du g�n�ral Pinochet !
Le 13 mai 1968, une r�union extr�mement importante se tient dans un appartement du boulevard de Magenta, � Paris, devenu depuis une des centrales des r�seaux Foccart. Y participent Jacques Foccart, le capitaine Guillebert du S.D.E.C.E., le commissaire divisionnaire And�rani de la D.S.T., Jean-charles Larriaga, charg� de mission du S.A.C., et Paul Renouvin, repr�sentant Christian Fouchet, alors ministre de l'Int�rieur. C'est au cours de cette r�union qu'est accept� le ralliement � la cause gaulliste de divers groupes d'extr�me droite et de certains de leurs animateurs.
Des l'explosion de mai 1968, les hommes du S.A.C. jouent � fond leur carte. A dire vrai, ils sont les seuls � demeurer disponibles, quand les rats quittent le navire.
...
Le Service d'Action Civique se voit concurrencer sur sa droite par les "Comit�s de d�fenses de la R�publique". Devant cette menace, les �l�ments durs du S.A.C. se font les avocats de mesures extr�mes, y compris la transformation du service en un groupe anti-terroriste, � qui cela ne pose pas de gros probl�mes : le service "renseignements" et le service "action", indispensables � un tel groupement, existent d�j�, les armes sont abondantes. Il suffit que l'argent afflue, que la couverture soit efficace et le tour est jou�.
Pour obtenir gain de cause, ce groupe de pression, avec Michel Debr�, Roger Frey, Jacques Foccart et Alexandre Sanguinetti � sa t�te, va r�pandre dans les sph�res du pouvoir la th�se suivant laquelle la France est gangren�e � tous les niveaux, et qu'il convient de trancher dans le vif .
D'o� les demandes accrues de fonds pour financer frais de mission, voyages, stages, achats d'immeubles, v�hicules, et, but supr�me, un journal quotidien plus cr�dible que La Nation.
Puis la tension baisse insensiblement, l'op�ration stades n'a pas lieu et l'on s'achemine vers la pr�paration de la manifestation "spontan�e", le raz de mar�e gaulliste du 30 mai.
Le S.A.C., malgr� de nombreuses r�ticences, demeure l'enfant ch�ri du pouvoir, la reprise en main d�finitive de la police n'�tant pas assur�e.
C'est lui qui a la charge de l'organisation de la manifestation du 30 mai 1968, et plus particuli�rement Charles Pasqua et Charly Lascorz.
Succ�s ind�niable, marquant � la fois le retour � une situation "normale" en France, et la lin des grandes esp�rances du Service d'Action Civique.
En ao�t de la m�me ann�e, un assureur ni�ois, membre d'une fraction s�cessionniste du S.A.C., Serge Constant, est arr�t� pour avoir pass� aux Etats-unis deux chargements de drogue. Il devait d�clarer :
" ... J'ignorais que je convoyais de la drogue. On m'avait dit que je transportais des documents du M.A.C. qu'il fallait mettre en lieu s�r..."
Au sein de ces troupes encore mal remises du traumatisme de l'�puration, Jacques Foccart va proc�der � une nouvelle s�lection. Afin de mieux les contr�ler, un grand nombre de barbouzes sont int�gr�es dans diff�rents services de l'Etat : le S.D.E.C.E. en priorit�, mais �galement la D.S.T. que l'on juge n�cessaire de mieux tenir � la botte. De m�me, les Renseignements G�n�raux (R.G.) se voient adjoindre un grand nombre de "contractuels", pay�s sur les fonds secrets mais disposant d'ordres de mission des R,G. en bonne et due forme.
Ainsi, devant le danger de voir les polices parall�les remplir le m�me r�le que celles qui ont facilit� l'acc�s de De Gaulle au pouvoir, l'Etat a pr�f�r� en assurer directement le contr�le et l'organisation.
On a pu de cette fa�on, en serrant les rangs, se d�barrasser d'un encombrant ramassis d'imb�ciles, de truands, de brutes bavardes ou de dirigeants mythomanes.
La t�che de la r�pression parall�le, prise en charge par le pouvoir, sera confi�e � l'homme fort du nouveau r�gime : Raymond Marcellin, ministre de l'Int�rieur.
Quant au patron, occulte mais omnipotent, du S.A.C., Jacques Foccart, mis en alerte par l'incident Poher survenu pendant l'int�rim pr�sidentiel au printemps 1969, Il va s'employer � redistribuer ses cartes. Il est encourag� dans cette politique par des personnalit�s aussi diverses que Michel Debr�, Charles Pasqua, Alexandre Sanguinetti et m�me Charbonnel, Fanton, Kaspereit. Taittinger, Lafay ou Tomasini, qui ne le soutiennent pas par amiti� mais parce qu'ils pensent que lui seul peut emp�cher la crise r�volutionnaire d'aboutir.
C'est durant les huit premiers mois de 1970 que se r�partissent les t�ches les plus importantes et qu'apparaissent des noms jusque-l� peu connus : Gaston Brun, alias Christian Roger. alias Maurice Boucard, alias Roger, devient le principal responsable des r�seaux financiers de Jacques Foccart.
Son champ d'activit� : la carambouille. l'escroquerie, le trafic de devises, tout un m�canisme clandestin mis au point pour faire entrer des capitaux pleins les caisses noires du S.A.C., mais aussi du S.D.E.C.E. et de I'U.D.R.
La t�che de Gaston Brun est �norme car il s'agit non pas d'assurer la survie ou le fonctionnement au ralenti des r�seaux, mais bien au contraire de permettre leur essor, en France, en Europe, sur le continent africain - domaine r�serv� de Jacques Foccart jusqu'au Canada, Indochine et Am�rique du Sud. Gaston Brun devait r�cup�rer de l'argent, beaucoup d'argent.
Pour alimenter les r�seaux tous les coups sont bons. Il est entour� d'hommes sp�cialis�s dans les secteurs financiers comme Charles Beranger, Jean-No�l Touani, Christian Pradel. Roger Cohen, Olivier Caen et Charles Orsini que nous retrouverons m�l�s aux combinaisons les plus invraisemblables susceptibles de rapporter des sommes importantes et surtout des liquidit�s.
Tout cet argent est blanchi gr�ce � un circuit financier devenu classique, Gaston Brun est aussi un ami intime de Roger Delouette et de Dominique Mariani qui se trouve �tre le cousin du futur pr�fet Marchiani lequel est pour l�instant dans la base Bison du SDECE le contre-espionnage fran�ais. Il sera mis en cause puis mis hors de cause dans l�affaire Delouette et le trafic d�h�ro�ne que Mariani a contribu� � mettre sur pied.
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