Plusieurs clans s'affrontent au sommet de l'Etat pour faire nommer un nouveau directeur de la DGSE
Dec 4, 2003
Feutr� par essence, opaque par tradition, le monde du renseignement fran�ais vit, depuis plusieurs semaines, une de ces luttes d'influence silencieuses qui marquent, � intervalle r�gulier, la vie interne des "services". L'enjeu officiel en est le poste, sensible entre tous, de directeur de la DGSE (Direction g�n�rale de la s�curit� ext�rieure), le principal service secret d�pendant du minist�re de la d�fense. Mais la concurrence qu'il suscite r�v�le aussi, comme en ombre port�e, les conflits de pouvoir qui demeurent au sommet de l'Etat, o� plusieurs r�seaux s'activent, en pr�vision de lendemains politiques incertains, pour installer leurs hommes aux commandes des principales unit�s d'espionnage et de renseignement - militaire et policier.

Une campagne est ainsi en cours pour pousser au remplacement de l'actuel chef de la DGSE, Pierre Brochand, par le secr�taire g�n�ral de la d�fense nationale (SGDN), Jean-Claude Mallet. �g� de 48 ans, conseiller d'Etat, �narque et normalien, consid�r� comme un "homme de l'art" par les professionnels du renseignement, ce dernier b�n�ficie d'une alliance d'int�r�ts, aux confins de la politique et de la haute administration.

Ancien membre du cabinet de Pierre Joxe, alors ministre (PS) de la d�fense, puis directeur des affaires strat�giques de ce minist�re (1992-1998), M. Mallet est aujourd'hui appr�ci� � l'�lys�e, o� il est pr�sent� comme l'un des experts contribuant � l'�laboration de la nouvelle doctrine du chef de l'Etat en mati�re de dissuasion nucl�aire. Membre du Conseil de s�curit� int�rieure, il y dispose aussi de l'appui de son pr�sident, l'ancien pr�fet de police Philippe Massoni, charg� de mission aupr�s du chef de l'Etat - et qui suit pour ce dernier les dossiers les plus sensibles. A ces appuis hauts plac�s s'en ajoute un autre, plus indirect : Matignon semble favorable � la promotion de M. Mallet parce qu'elle lib�rerait de facto le poste de SGDN que Jean-Pierre Raffarin aurait promis au pr�fet Pierre Steinmetz, l'ancien directeur de son cabinet qu'il a d� se r�soudre � remplacer, il y a quelques semaines, et qui reste en attente d'un poste.

Dans ce jeu de chaises musicales, seul le d�part de M. Brochand semble ne poser aucune difficult�. Nomm� � l'�t� 2002, ce diplomate proche de M. Chirac - et fr�re du maire (UMP) de Cannes, Bernard Brochand - est tout dispos� � lib�rer, pour une belle ambassade, un poste qu'il n'avait accept� qu'� contrec�ur, lorsque le pr�sident cherchait un "troisi�me homme" pour d�partager les clans qui, d�j�, s'affrontaient en coulisse.

CONFLIT LARV�

Outre que les militaires r�vaient d'imposer l'un des leurs, les deux hommes forts de l'entourage pr�sidentiel, Dominique de Villepin et J�r�me Monod, avaient alors chacun leur candidat : le premier plaidait pour un diplomate, mais poussait Maurice Gourdault-Montagne (nomm�, depuis, conseiller � l'�lys�e pour les relations internationales) ; le second appuyait un "priv�": Alain Juillet, ex-PDG de Marks & Spencer, neveu de l'ancien conseiller politique de Georges Pompidou - puis de M. Chirac - Pierre Juillet, mais aussi, ce qui se sait moins, ancien agent du service action de la DGSE.

Provisoirement tranch� par M. Chirac, le conflit larv� qui oppose le ministre des affaires �trang�res au conseiller du pr�sident a repris de plus belle. Finalement nomm� directeur du renseignement - soit num�ro deux officieux du service -, M. Juillet est d�sormais pr�sent� comme un candidat alternatif � la succession de M. Brochand. Mais la candidature de M. Mallet, apparent� aux fondateurs de la grande banque protestante Neuflize-Schlumberger-Mallet, aurait aussi re�u la b�n�diction de M. Monod, lui-m�me figure de l'intelligentsia r�form�e. En r�action, M. de Villepin, lui, pourrait recommander son propre directeur de cabinet, Pierre Vimont.

Ici se r�glent encore les cons�quences de l'�chec piteux de la mission d�p�ch�e en Colombie, au mois de juillet, par le chef de la diplomatie fran�aise pour lib�rer Ingrid Betancourt. La r�v�lation de l'implication de la DGSE dans cette op�ration (Le Monde du 26 juillet) avait provoqu� une dispute entre le ministre des affaires �trang�res et son coll�gue de l'int�rieur, Nicolas Sarkozy, les deux hommes s'accusant mutuellement de d�loyaut�. Mais l'�pisode a laiss� d'autres traces : il a renforc� M. de Villepin dans sa volont� de placer des fid�les � la t�te des "services"; il a, aussi, renforc� l'inqui�tude de ceux qui redoutent sa mainmise sur le renseignement.

Au point que l'hypoth�se d'une reprise en main de la DGSE par les g�n�raux, jadis �cart�e par M. Chirac, a repris corps : la ministre de la d�fense, Mich�le Alliot-Marie, y serait favorable et le chef d'�tat-major du pr�sident, le g�n�ral Jean-Louis Georgelin, appuierait ce sc�nario. Dans le m�me temps, M. Sarkozy s'emploie � finaliser le remplacement de l'insubmersible directeur des Renseignements g�n�raux (depuis 1992), Yves Bertrand, qu'il consid�re comme acquis � son rival - et qui int�grera l'Inspection g�n�rale de l'administration au mois de janvier.

A la DGSE, le d�part annonc� de M. Brochand dissimulera le r�glement final d'un autre contentieux : celui qui opposa l'�lys�e � l'entourage de Lionel Jospin, accus� par M. Chirac d'avoir utilis� les "services" pour mener des enqu�tes financi�res contre lui. Ce conflit avait d�j� provoqu� la mutation du pr�c�dent directeur, Jean-Claude Cousserand, bient�t suivie par le d�part du chef du service de renseignement de s�curit� (SRS), Alain Chouet. Il entra�ne � pr�sent la retraite anticip�e du g�n�ral Dominique Champtiaux, qui dirigeait le cabinet du directeur de la DGSE et que l'�lys�e soup�onnait au moins d'un manque de vigilance. Ce dernier a r�cemment adress� un courriel � l'ensemble des fonctionnaires du service secret, dans lequel il annon�ait avoir "choisi de partir". Sa d�mission devrait solder l'une des affaires les plus sulfureuses de la cohabitation Chirac-Jospin, sans forc�ment mettre la DGSE � l'abri de toutes les tentations politiques.
(Herv� Gattegno)

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