L'enqu�te financi�re visant le nationaliste corse Charles Pieri, instruite par le juge du p�le financier du palais de justice de Paris Philippe Courroye, ravive les tensions entre les juges antiterroristes et le parquet de Paris.
Cette enqu�te judiciaire, ouverte en septembre et portant � la fois sur des infractions financi�res et terroristes, illustre la volont� affich�e d�s son entr�e en fonction par le procureur de la R�publique de Paris Yves Bot d'accentuer la lutte contre le financement du terrorisme.
L'enqu�te visant Charles Pieri, exemplaire de cette volont�, a �t� confi�e - fait pour le moins inhabituel - � la brigade financi�re de Paris et � un juge financier, au nez et � la barbe des juges d'instruction antiterroristes.
Le juge d'instruction antiterroriste Gilbert Thiel vient d'adresser deux courriers successifs � Yves Bot. Il y demande des "explications", apr�s avoir appris qu'une partie de l'instruction men�e par le juge Courroye mentionnait plusieurs attentats d�j� instruits par ses soins.
Le juge Thiel est d�j� saisi de l'attentat contre le Club M�diterran�e de Sant'Ambrogio en avril 2002, des plastiquages visant des policiers ayant particip� aux perquisitions men�es en octobre dans cette enqu�te, et de la tentative d'attentat du 10 novembre contre le casernement des gendarmes mobiles � Borgo en Haute-Corse.
De source judiciaire, on soulignait vendredi que l'enqu�te financi�re du juge Courroye ne visait pas les attentats eux-m�mes mais s'attachait � d�terminer des infractions financi�res p�riph�riques � ces derniers.
"Les juges antiterroristes avaient tout le loisir de demander un �largissement de leur enqu�te � des faits d'extorsion de fonds. Ils ne l'ont pas fait", a-t-on soulign� de source judiciaire.
N�anmoins, l�omnipr�sence de l�enqu�te vient rappeler � la justice anti-terroriste qu�apr�s s��tre trouv�e sur le devant de la sc�ne pendant des ann�es, elle a � rat� � l�arrestation d�Yvan Colonna et est tenu � l��cart des enqu�tes relatives � la n�buleuse Pieri. Avec le risque � la clef d�une d�monstration terrible : on r�ussit mieux � coincer des criminels avec une justice banalis�e.
Un article du Monde
Le juge antiterroriste Gilbert Thiel conteste la l�gitimit� du juge financier Philippe Courroye
Magistrats et services de police se disputent la conduite de l'enqu�te.
Si elle provoque une onde de choc chez les nationalistes corses, l'affaire Pieri cr�e aussi des tensions parmi les magistrats, de m�me qu'entre certains services de police, tous se disputant la conduite de l'enqu�te. D�s septembre, au moment de l'ouverture de l'information judiciaire pour "abus de biens sociaux", "escroquerie � la TVA" et "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", le choix de confier l'enqu�te au juge d'instruction du p�le financier parisien Philippe Courroye avait suscit� l'agacement des magistrats corses.
Le parquet de Bastia, � l'origine de l'enqu�te pr�liminaire, avait d'ailleurs r�dig� un projet de r�quisitoire introductif afin de confier une instruction � un juge du p�le financier bastiais lorsqu'il fut dessaisi au profit du tribunal de Paris - comp�tent pour toutes les affaires de terrorisme.
Ce sont d�sormais les juges d'instruction de la galerie Saint-Eloi, si�ge du "pool" antiterroriste, qui manifestent leur mauvaise humeur, regrettant d'avoir �t� mis � l'�cart de cette enqu�te. Fait inhabituel, le juge antiterroriste Gilbert Thiel a adress�, jeudi 18 et vendredi 19 d�cembre, deux courriers au procureur de Paris, Yves Bot - avec copies au juge Courroye, aux pr�sidents du tribunal et de la chambre de l'instruction -, dans lesquels il affirme que le juge Courroye a d�pass� le cadre de sa saisine. Dans sa premi�re lettre, M. Thiel s'�tonne que l'ordonnance dans laquelle M. Courroye d�taille les chefs de mise en examen retenus contre M. Pieri �voque explicitement l'implication du leader nationaliste dans les deux attentats qui avaient vis�, le 24 octobre, dans la r�gion d'Ajaccio, deux policiers ayant particip� � des perquisitions (Le Monde du 25 octobre). M. Thiel rappelle qu'il est d�j� saisi de ces deux enqu�tes.
Dans la lettre de vendredi, co-sign�e par la juge Laurence Le Vert, M. Thiel fait cette fois allusion � l'attentat contre le Club M�diterran�e de Sant'Ambrogio, au printemps 2002, revendiqu� par le FLNC. Les juges �voquent notamment le " refus oppos� par le Club Med de Sant'Ambrogio de voir la s�curit� de ce village assur� par la soci�t� Corsica gardiennage services", sans doute � l'origine de l'attentat commis le 4 avril 2002 contre le complexe touristique. "Or il se trouve qu'une information judiciaire relative notamment � cet attentat a �t� ouverte � notre cabinet et que, bien entendu, l'information judiciaire en cours a pour objet non seulement d'identifier les auteurs des infractions faisant l'objet de la poursuite, mais aussi les mobiles ayant pr�sid� � leur commission", �crivent les juges, qui demandent en conclusion � M. Bot de leur "faire conna�tre les initiatives que compte prendre le parquet de Paris pour sortir de cette impasse".
Au parquet, o� l'on ne souhaite pas envenimer l'affaire, on se borne � observer que le juge Courroye n'est pas saisi de cet attentat maisde la tentative d'extorsion de fonds. Plus g�n�ralement, l'entourage du procureur souligne que dix des onze chefs de mise en examen retenus contre M. Pieri rel�vent du d�lit �conomique pur, ce qui justifie a posteriori le choix d'un juge financier. D'autres dossiers de terrorisme, ouverts apr�s des signalements de Tracfin, le service antiblanchiment du minist�re des finances, sont d'ailleurs instruits au p�le financier parisien.
D�SAVEU DE LA DNAT
Cet �pisode intervient alors que les rapports entre les juges du p�le antiterroriste et le parquet de Paris se sont tendus, depuis la reprise en main de l'antiterrorisme d�cid�e par Yves Bot, � son arriv�e, en novembre 2002, second� par le procureur adjoint Philippe Maitre. Le parquet a notamment d�cid� de recourir davantage aux enqu�tes pr�liminaires - qui restent sous son contr�le - plut�t qu'� l'ouverture d'informations judiciaires, conduites par des juges d'instruction.
Autre "victime collat�rale" de l'affaire Pieri, du c�t� policier cette fois : la DNAT. La division nationale antiterroriste avait d�j� d� faire son deuil des dossiers islamistes, qui sont en majorit� confi�s depuis quelques ann�es � la direction de la surveillance du territoire (DST). Dans le dossier Pieri, contrairement aux autres affaires corses, elle n'est plus la force motrice des investigations. Lorsqu'il a h�rit� de l'affaire Pieri, le 11 septembre, le juge Courroye a d�cid� de confier les investigations aux policiers de la brigade financi�re (BF), avec lesquels il a pris l'habitude de travailler en confiance. Cosaisis seulement depuis la mi-novembre, alors que la BF s'affairait depuis d�j� deux mois, la DNAT n'a pas �t� pr�venue de l'arrestation de Charles Pieri. En outre, le juge Courroye a d�livr� � ce service une commission rogatoire visant � �tablir le profil des personnes vis�es par l'enqu�te, une t�che consid�r�e comme subalterne � la DNAT.
Si, � la direction centrale de la police judiciaire, on conteste que la DNAT ait �t� d�savou�e, il n'en reste pas moins que les responsables du minist�re de l'int�rieur voient favorablement son "effacement" au profit de la BF : les dissensions observ�es lors de la traque d'Yvan Colonna, li�es notamment � l'omnipr�sence de Roger Marion, alors patron de la DNAT, ont laiss� des traces. Cette guerre des polices avait incit� Nicolas Sarkozy � favoriser le retour en gr�ce du RAID dans l'enqu�te sur Yvan Colonna. Ces policiers d'�lite sont tr�s appr�ci�s du ministre de l'int�rieur, qui a appris � appr�cier leur efficacit� lors de la dramatique prise d'otages de la maternelle de Neuilly-sur-Seine, en 1993. M. Sarkozy ne jure plus que par ce service, dont la discr�tion lui para�t indispensable.
(G�rard Davet, Fabrice Lhomme et Piotr Smolar)
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