Apr�s les armes, le foot. Cette fois, c'est donc sa passion du ballon rond qui aura trahi Charles Pieri, apr�s celle des pistolets Glock, en 1998. Arr�t� au stade de Furiani, dimanche 14 d�cembre, alors qu'il emmenait son petit-fils disputer un match de football. Arr�t� pour avoir, notamment, particip� au transfert de joueurs au Sporting Club de Bastia (SCB). Arr�t�, enfin, au lendemain de l'�lection de son "ami" Fran�ois Nicola� - fr�re du premier directeur de l'hebdomadaire nationaliste U Ribombu, et qu'il avait pouss� � la t�te du Sporting - au conseil d'administration de la Ligue de football professionnel (LFP). Mais arr�t� alors que le FLNC-Canal historique, la principale organisation clandestine corse, sur laquelle il pesait de tout son poids, a d�clar�, le 13 novembre, une tr�ve "majeure".
Depuis l'annonce, dans Le Monde le 10 octobre, de l'enqu�te financi�re qui le visait, Charles Pieri �tait en "semi-cavale", comme disaient ses amis - m�me si, depuis quinze jours, on le croisait � nouveau place Saint-Nicolas, � Bastia. Il avait r�pondu � quelques questions de France 3 Corse, puis s'�tait fait silencieux. Seules quelques rares personnes pouvaient le joindre sur son nouveau t�l�phone portable. Il ne dormait plus tous les soirs au m�me endroit.
"Il avait la hantise qu'on vienne l'arr�ter le matin dans son lit", confie un militant d'Indipendenza. "Il se d�pla�ait en meute", raconte un autre : un groupe de fid�les, dont ses deux t�moins de mariage, Philippe Paoli et Jacques Mosconi. Charles Pieri avait repris ses vieilles habitudes. Pas une cavale officielle, comme lorsque sa t�te �tait mise � prix sur une affiche, entre 1984 et 1987, mais une discr�te mise au vert, comme � la fin des ann�es 1990, alors que la "guerre" entre nationalistes faisait rage. "Je suis un homme public qui vit clandestinement pour �viter d'�tre assassin�", confiait-il alors. "C'est plus difficile � vivre quand ce sont d'autres Corses, et non des gendarmes, qui vous y obligent."
MOINS VOLUBILE
La cavale forge les chefs, fabrique les amiti�s et les destins. En 1984, il s'�vade de la prison de Bastia, o� il est emprisonn� apr�s le meurtre d'un l�gionnaire au camp de Sorbo Ocagnano, avec Francis Mariani, le patron de la "Brise de mer", du nom de cet ancien caf� du vieux port de Bastia o� se r�unissait ce gang. Le minist�re de l'int�rieur offre 1 million de francs pour sa t�te et celle de cinq autres camarades, parmi lesquels des chefs du FLNC comme Olivier Sauli ou Jean-Andr� Orsoni - aujourd'hui la discr�te cheville ouvri�re de la liste d'union aux �lections territoriales de 2004. Il les rejoint vite dans l'organigramme.
En 1989, il est acquitt� par la cour d'assises de Gironde pour le meurtre du l�gionnaire. C'est � cette �poque-l� que "Bastia" commence � prendre une plus grande importance parmi les six r�gions du Front. Et que, malgr� ses bisbilles avec la "Balagne" de Jean-Michel Rossi, Charles Pieri monte ses affaires � Bastia : Corsica Gardiennage Services (CSG), une entreprise de surveillance qui faillit �tre son tombeau, le 1er juillet 1996, lorsqu'une voiture pi�g�e explosa devant lui, en plein jour. Autour de lui, il rassemble d�j� ses fid�les. En noir, t�tes ras�es, on les surnommait "les Hmongs". Pierrot Poggioli, un adversaire de l'ANC, pr�f�rait dire : le "nid de serpents". Aujourd'hui, d'autres disent : "les tortues Ninja".
C'est aussi l'�poque des n�gociations avec les gouvernements. Dans Pour solde de tout compte (Deno�l, 2001), Fran�ois Santoni, assassin� en ao�t 2001, racontait leurs rencontres en 1992, � la mairie de Paris, avec Maurice Ulrich, aujourd'hui conseiller de Jacques Chirac � l'�lys�e, puis en 1993 avec Charles Pasqua, dans son bureau de pr�sident du conseil g�n�ral des Hauts-de-Seine. Charles Pieri est moins volubile, mais il est l�. En janvier 1996, les deux chefs du Front se partagent officiellement la direction d'A Cuncolta, et les secteurs clandestins du Nord et du Sud. A la table de la conf�rence de presse clandestine de Tralonca, sous les cagoules, on reconna�t la voix de l'un, le visage de l'autre.
Entre Bastia et Paris, la fascination est rest�e. Charles Pieri est demeur� un interlocuteur. Lorsqu'il est emprisonn� � Salon-de-Provence, entre 2000 et 2002, apr�s qu'on eut d�couvert chez lui un v�ritable arsenal, Paoli et Sauli font le lien avec ses amis corses, et notamment Jean-Guy Talamoni, qui garde la boutique. La gauche, qui croit alors � sa victoire, pr�pare l'apr�s-"processus de Matignon". "Quand je pense � tout ce qu'on a fait pour son �il !", pestait ainsi un conseiller de Lionel Jospin, un jour, en racontant les nombreuses autorisations accord�es, selon lui, pour qu'il puisse consulter des ophtalmologistes en prison.
Avant son r�cent accident cardiaque, Charles Pieri se souciait en effet beaucoup de son �il - cribl� d'�clats apr�s l'attentat de 1996, qui lui a aussi crev� un tympan. Sans doute sait-il mieux que personne qu'un chef de guerre fatigu� ressemble vite � un homme menac�. C'est - aussi - pour se prot�ger et "acheter sa tranquillit�", comme dit un militant, qu'il a particip� activement au rassemblement �lectoral des nationalistes (Le Monde du 24 septembre). Son dernier "�dito" du Ribombu, le 11 d�cembre, �tait intitul� "L'esprit de la paix".
A. C.
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