Les Russes en Corse (9) : l�int�gration
Dec 11, 2003
Combien reste-t-il de r�fugi�s russes sur la terre de Corse apr�s le d�part du "Burgeister von Melle"? Le Minist�re de la Marine estime que "1500 Russes restent encore cach�s en Corse"; le terme de "cach�s" est plut�t malencontreux, car ils sont en grande partie parfaitement en r�gle avec les autorit�s. Le recensement semestriel des �trangers trouve en janvier 1921 715 Russes, mais nous savons que les chiffres sont tr�s sous-estim�s. Cela va donc du simple au double. Comme nous connaissons de mani�re assez pr�cise les chiffres d'arriv�e et de d�parts, il doit �tre possible de trouver par soustraction une estimation fiable des effectifs rest�s en Corse. R�capitulons donc: Il est arriv� sur le "Rion" 3450 r�fugi�s ainsi qu'un �quipage de 196 personnes (marins et leurs familles), ce qui fait un total de 3646 Russes; 1400 d'entre eux sont rentr�s � Constantinople sur le "Burgeister von Melle", une centaine de membres de l'�quipage sont rest�s � Toulon, et environ 600 ont fait souche au Br�sil: donc, � peu pr�s 2100 r�fugi�s ont quitt� la Corse � la fin du mois de septembre 1921; si l'on �te ce nombre � celui des arriv�s, on trouve environ la m�me estimation que le Ministre de la Marine, soit 1500 personnes.

Le Gouverneur Militaire de l'�le, en des termes dont l'exag�ration laisse percer une certaine russophobie, classe les Russes restant en Corse en quatre cat�gories:

1.La tr�s grande majorit� erre sur les routes et dans les campagnes de Corse � la recherche plus ou moins s�rieuse d'un travail qu'elle ne trouvera d'ailleurs pas. Cette majorit� se compose, d'une part, d'individus qui, provisoirement embauch�s, ont repris leur libert� sous un pr�texte ou un autre et ne sont pas rentr�s � Ajaccio se pr�senter au comit� d'embauchage [...] comme cela �tait convenu, et d'autre part, de tous ceux - et ils sont nombreux - qui, ayant eu connaissance du projet de d�part pour Constantinople, se sont soustraits � cette obligation par un moyen ou un autre.

2. Une centaine environ est occup�e actuellement aux travaux des champs mais va �tre licenci�e tr�s prochainement d�s que ces travaux vont �tre termin�s, et seront par suite remis dans la circulation.
3. Une petite minorit�, avide de travail et voulant gagner ses moyens d'existence, a pu trouver des emplois � peu pr�s s�rs.
4. Une soixantaine sont dans les h�pitaux de Bastia et d'Ajaccio.

Le d�part du "Burgeister von Melle" ne marque pas la fin de l'h�bergement des Russes � la caserne Livrelli. Le Gouverneur Militaire nous explique pourquoi: "Le Ministre avait prescrit qu'une fois les Russes partis pour Constantinople, il ne devait plus �tre question de logement et de nourriture � la charge du Minist�re de la Guerre, puisque, en principe, ne devaient rester en Corse, que les Russes r�guli�rement embauch�s. Par humanit�, j'ai prescrit au d�tachement du 173�me � Ajaccio de prendre en subsistance la quarantaine de personnes qui sont rest�es � Livrelli. Mais c'est l� une mesure d'exception [...] qui ne peut se prolonger". Les 40 r�fugi�s en question �taient trop malades pour pouvoir s'embarquer.

Il est probable qu'une fois le bateau parti et l'alerte pass�e, beaucoup de fugitifs soient revenus � Livrelli trouver un asile somme toute tr�s correct, ainsi que des repas assur�s. D'autre part, � la fin de l'automne, beaucoup de contrats de travail sont arriv�s � expiration, et, comme l'avait pr�vu le Gouverneur, les ch�meurs sont naturellement retourn�s � la caserne en attendant un nouvel emploi. En janvier 1922, il y a quelque 250 Russes log�s et nourris � Livrelli qui mobilisent en permanence 8 militaires fran�ais. Le bureau de la main-d'�uvre russe continue de fonctionner dans les locaux militaires. Il ferme d�finitivement en avril 1922.

Mais tout a une fin. Depuis d�cembre 1920, le gouvernement mena�ait r�guli�rement de couper les vivres aux r�fugi�s russes afin qu'ils se dispersent. C'est finalement le 2 mai 1922 que le Pr�sident du Conseil annonce que la France cesse d�finitivement de ravitailler les Russes de Corse. Il est d�cid� que le 1er juin, la caserne Livrelli fermera ses portes aux Russes; mais la nouvelle n'est connue que le 15 mai � Ajaccio, par le biais d'un communiqu� de presse. Cela ne laisse que quinze jours pour trouver un abri aux 230 r�fugi�s h�berg�s. Aussit�t, le gouvernement est soumis � des pressions afin qu'il accorde un sursis; le premier � intervenir est le Prince Lvov: "Le Comit� [...] se permet de signaler que cette mesure privera de tout asile un nombre assez consid�rable de personnes [...] toutes incapables de travailler, femmes, enfants, vieillards, invalides. Le Comit� [...] se fait un devoir d'attirer l'attention de Votre Excellence sur l'impossibilit� d'organiser le secours n�cessaire dans la courte p�riode qui reste jusqu'au premier juin"; m�me le Pr�fet de Corse implore un d�lai: "Me permets vous signaler, vu urgence mesures imm�diates, que 230 r�fugi�s russes vont se trouver d�s premier juin sans abri et sans ressources. Circulation ces r�fugi�s sans travail pr�sente danger tranquillit� publique. Marine Ajaccio ne dispose aucun moyen lui permettant venir en aide et fait r�serves sur maintien ordre public qu'il n'est pas en mesure assurer. Je n'ai moi-m�me aucun cr�dit, en sorte que Russes seront r�duits d�s premier juin vagabondage et mendicit�, situation aussi d�plorable pour eux que pour population [...]". Un d�lai de 15 jours est finalement accord�. En fait, seulement 3 r�fugi�s malades demandent � b�n�ficier du sursis accord�, et les autres se dispersent spontan�ment. C'est donc finalement le 15 juin 1922 que les trois derniers r�fugi�s quittent la caserne Livrelli.

Tous les Russes n'ont pas eu la chance - ou la volont� - de trouver un travail. Quelques uns sont devenus de v�ritables clochards, dont le journaliste qui signe H.O. nous fait en septembre 1922 une description apocalyptique: "Les abords de la caserne Livrelli sont devenus, depuis quelques temps, une sorte de cour des miracles: c'est le refuge de quelques malheureux Russes qui, ayant �t� licenci�s par les autorit�s militaires, ont cherch� � s'embaucher, ou encore ont perdu leur emploi, et viennent lamentablement s'�chouer l�, en attendant des jours meilleurs. La plupart sont malades: ils grelottent, nus et fi�vreux, sous la pluie froide. Celui-ci serre de ses doigts maigres un ventre fam�lique, cet autre exhibe un kyste qui prosp�re... Une impression poignante de mis�re se d�gage de ces groupes, que la mort �claircit rapidement. Mais va-t-on attendre qu'il n'en reste plus un seul, pour leur venir en aide ? [...] Il est profond�ment navrant [...] de constater l'�tat lamentable de ces malheureux dont le seul crime est de n'avoir pas pu s'acclimater chez nous, et d'y avoir contract� le paludisme ou la fi�vre de Malte. [...] Ce sont des hommes qui souffrent dans leur �me et dans leur corps. Il faut les secourir".

Il est certain que le paludisme a taill� quelques coupes sombres dans les rangs des Russes r�fugi�s en Corse. Les 40 r�fugi�s rest�s � la caserne Livrelli lors du passage du "Burgeister von Melle" en �taient presque tous atteints. Au cours des mois de mai et juin 1923, quinze Russes doivent �tre envoy�s en traitement en Marseille pour soigner cette maladie aujourd'hui oubli�e en France.

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