DOSSIER / Kouchner total mercenaire
Dec 11, 2003
L�ancien ministre de la Sant� vient d��crire un rapport pour Total qui lui a �t� pay� 25 000 euros. Ce rapport d�douane totalement la multinationale Total de toute responsabilit� en Birmanie. Total a fait l�objet de plusieurs plaintes pour violation des droits de l�homme dans ce pays soumis � l�une des dictatures les plus sanglantes de la plan�te contre laquelle la prix Nobel de la paix Augn San Susi Kyi a demand� un boycott. R�cit d�un naufrage intellectuel.

Le site Total l�a bien mis en avant. Il s�agit d�un rapport �crit par Bernard Kouchner le french doctor, blanchissant les pratiques de la firme Total en Birmanie. On ne sait plus tr�s bien d�ailleurs � la lecture de ce rapport que nous produisons in extenso si Kouchner est un observateur ou un conseiller en communication de la firme qui outre son soutien � la junte birmane a eu des attitudes scandaleuses au Nigeria quand �a n��tait pas au cours de l�enqu�te relative � l�Erika ou encore apr�s la catastrophe d�AZF � Toulouse.

Que Bernard Kouchner se vende pour 25 000 euros officiels est son probl�me. Toute vieillesse est un naufrage et plus encore celle des starlettes de la politique. Mais que Kouchner utilise une image de french doctor qui n�est pas la sienne, ne lui en d�plaise, est une escroquerie morale. Et quand il pr�tend se substituer � Augn San Susi Kyi qui, elle a condamn� les agissements de Total, nous fr�lons la m�galomanie assortie d�un total manque de pudeur. Nous ne saurions h�las douter de la bonne foi de celui qui donna des le�ons de morale � tous et � tout le monde.

Mais qu�avec ce style onctueux qui pr�tend d�fendre les droits de l�homme il devienne le tremplin d�une op�ration de vulgaire marketing est tout simplement une honte. Car Total voit son image affaiblie par les plaintes qui le visent au niveau international pour son acceptation du travail forc� et son aide cons�quente � la junte birmane.

Or un mouvement s�amplifie aux �tats-Unis : celui du travail propre. Des firmes comme Levis ou encore Nike ont �t� oblig�s de revoir leurs relations avec des pays dictatoriaux concernant notamment le travail des enfants. Salie dans tous les sens du terme par les affaires Erika et AZF en France, nig�riane et birmane � l�ext�rieur, Total se paye un lifting et fait appel au m�decin qui est cens� incarner la justice dans le monde : Bernard Kouchner.

Des pr�c�dents ont eu lieu mais moins hurlants : Claude All�gre d�fendant l�industrie de l�amiante, Georges Charpack insultant les anti-nucl�aires Mais au moins ces deux hommes avaient l�excuse de d�fendre leur gamelle : l�Institut de la physique du globe d�All�gre �tait en grande partie financer par Eternit, le g�ant de l�amiante et il occupait le poste prestigieux de pr�sident du conseil d'administration du Bureau de Recherches g�ologiques et mini�res. Que l�on se rappelle lors que le directeur de l'IPG, le futur ministre avait fait para�tre dans Le Point (le 19 octobre 1996) un article tr�s virulent, �crivant entre autres : "Quant au rapport demand� � l'Inserm, qu'il me soit permis de dire qu'il ne brille ni par la rigueur scientifique, ni par le courage, ni par l'esprit d'initiative scientifique". Interrog� hier, lors d'une conf�rence de presse, Claude All�gre a r�it�r� ses critiques : "C'est nul. Ce rapport n'est pas bon scientifiquement" . Marcel Goldberg a repris point par point les �tudes �pid�miologiques cit�es par Claude All�gre et r�v�l� plusieurs probl�mes d'argumentation, notamment lorsque celui-ci affirme qu'on ne trouve rien de significatif chez les femmes vivant pr�s des mines d'amiante de Thedford ou d'Asbestos, au Canada. "En fait, leur risque de m�soth�liome est multipli� par dix" , remarque Marcel Goldberg.

Quant � Georges Charpack il d�pend en grande partie du financement d�EDF mais est aussi persuad�, en bon scientiste anciennement marxiste, de la pr�dominance de l�intelligence humaine sur les logiques de catastrophe.

Mais Kouchner�On le savait celui-ci et � la recherche d�une utilit�. Mais � ce point-l�, il s�agit d�un alzheimer intellectuel. Ou peut-�tre une d�rive � la R�gis Debray lorsque celui-ci se fit le chantre de la dictature serbe.

Kouchner tourne ainsi le dos � ses propres conclusions tir�es dans un pr�c�dent rapport �crit avec le Dala�-lama sur la dictature birmane. Il foule aux pieds les terribles mis�res de ce peuple qui a �lu la prix Nobel de la paix mais a �t� maintenu dans la dictature gr�ce � la complicit� des �tats domin�s par les int�r�ts des firmes p�troli�res comme Total. Il passe sous silence le g�nocide du peuple karen, oubli� de tous et des dieux. Kouchner se vautre dans sa propre fange. Et c�est triste. Quant � Total, elle restera l�instrument d�une impitoyable loi du march�. Elle peut toujours se farder : elle est l��gale de l�Exxon Valdes ou des grandes compagnies texanes qui collabor�rent avec les nazis pendant la guerre jouant ainsi contre les Alli�s. L�argent n�a pas d�odeur et encore moins de morale. Lorsqu�il s�en v�t c�est qu�il y a �t� oblig�. En se faisant le complice d�une telle logique, Kouchner rejoint, toutes proportions gard�es, le camp de ces m�decins de la Croix Rouge qui, durant la seconde guerre mondiale, visit�rent les camps de concentration ne voulant bien voir que ce qu�ils voulaient voir. Croyant que les quelques comprim�s d�aspirine valaient tous les compromis du monde, ils se firent les complices objectifs d�horreur. Car si l�horreur des camps fut unique dans son expression technique, elle ne l�est �videmment pas dans le v�cu. La douleur d�un Birman soumis � la torture est la m�me que celle de tout �tre humain tortur�. Et r�duire le probl�me de Total � celui d�une m�dicalisation de la population est une fumisterie.

Quant au style de Kouchner, il est h�las celui des paragons staliniens. Remplacez Total par Staline et vous aurez une id�e du simplisme du petit propagandiste Kouchner. Il sait tout mieux que les autres � commencer par les victimes. Il loue Total grand coryph�e de l�humanit� quand tout accable cette multinationale.

Parce que le Kouchner des droits de l�homme avait valeur de symbole, nous nous sentons le droit de repousser celui-ci dans les oubliettes de l�histoire au nom tout simplement des quelques mois de survie que son sale �crit va offrir � une junge birmane qui a besoin de l�argent de Total pour continuer son terrible travail.

Afin que nos lecteurs se fassent une id�e de cette catastrophe humanitaire voici le dossier Total Birmanie.

L� article du Canard encha�n�

Kouchner d�nonce une injustice Total ....


Certains internautes ont d� en rester bouche b�e: la compagnie p�troli�re Total vient de mettre en ligne sur son site un rapport sign� Bernard Kouchner. �voque bri�vement par � Le Nouvel Observateur , et plus en d�tail par Radio France internationale, ce document nous apprend que le � French Doctor � s'est rendu en Birmanie sur le chantier d'un gazoduc construit par le groupe p�trolier fran�ais.

L'ancien secr�taire d'�tat � l'Action humanitaire a pass� quatre jours, fin mars 2003, dans cette zone contr�l�e par les militaires birmans. Accompagn� par les cadres de la bo�te, Kouchner a notamment visit� des dispensaires financ�s par Total pour am�liorer le quotidien des autochtones. Conclusion du rapport de BK Conseil (BK pour Bernard Kouchner) � Des r�sultats m�dicaux tr�s significatifs un vrai succ�s. � Un � trop grand succ�s �, m�me, qui m�rite un avertissement : � Prenez garde, ceux qui triomphent peuvent devenir des cibles. �

Mais qu'est donc all� faire Kouchner dans cette gal�re? Sollicit� par les avocats de Total, il est venu enqu�ter sur place. Officiellement, il fallait que ce ponte de l'aide humanitaire donne son avis sur les activit�s de la compagnie p�troli�re en Birmanie. Laquelle s'est install�e, voil� plus de dix ans, dans ce doux pays o� r�gnent sans partage les g�n�raux. Version moins reluisante : des accusations de travail forc� ont �t� formul�es contre Total par plusieurs associations de d�fense des droits de l'homme qui s'appuient sur les t�moignages d'anciens travailleurs birmans. Cela m�ritait bien une contre-enqu�te de BK Conseil.

Les villageois rencontr�s ont en effet d�menti ces all�gations � farfelues �. Elles ont pourtant conduit une juge de Nanterre � ouvrir, en octobre 2002, une information judiciaire pour � crime de s�questration � (le crime de travail forc� n'existant pas en droit fran�ais) � l'encontre de Total. Et les avo-
cats de la compagnie ignoraient sans doute que la juge charg�e de cette affaire n'est autre... qu'une ancienne collaboratrice du cabinet de Kouchner dans le gouvernement Jospin!

Joint par � Le Canard �, l'ancien ministre maintient les termes de son rapport, tout en reconnaissant qu'il avait d'abord eu des doutes. Cela dit, si Total veut � changer [son] image �, Kouchner sugg�re, � la fin de son rapport, que ses cadres � visitent plus souvent � Aung San Suu Kyi - Prix Nobel de la paix et opposante au r�gime militaire - dans sa prison. Et que, � par une d�marche, d'abord discr�te, et plus tard �ventuellement publique, le groupe exige sa remise en libert� �.

Ce sont bien l� les conclusions et conseils d'un rapport objectif, r�dig� par un homme de terrain pay� environ 25 000 euros par Total. Pas cher, cependant, pour un travail auquel personne ne l'avait forc�
Laurione Gaud


L�article de Lib�ration


Auteur d'un rapport pay� par Total, l'ancien ministre blanchit le g�ant p�trolier.
Kouchner fait �cran Total sur le travail forc� en Birmanie


Par Philippe GRANGEREAU

mercredi 10 d�cembre 2003

�Ce programme socio-�conomique est la meilleure publicit� pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show-room...� Bernard Kouchner

Total, qui depuis ao�t 2002, fait l'objet en France d'une plainte pour travail forc� en Birmanie, a appel� Bernard Kouchner, l'ex-ministre de la Sant� du gouvernement socialiste et �French Doctor� fondateur de MSF, � la rescousse. En mars, le g�ant p�trolier a command� un rapport � sa soci�t�, BK Conseil. �...M�decin humanitaire sp�cialiste des probl�mes de sant� publique et des situations d'urgence�https:// Total sur son site internet (https://birmanie.total.com/) o� figure en bonne place ce rapport de 19 pages, �homme politique engag� connaissant personnellement Mme Aung San Suu Kyi (l'opposante birmane, prix Nobel de la paix en r�sidence surveill�e, ndlr), Bernard Kouchner avait toute l'exp�rience requise pour �tre un observateur critique et impartial de l'action de Total en Birmanie�.

Bernard Kouchner s'est donc rendu sur place pendant quelques jours, afin de voir le site du gazoduc construit par Total et achev� en 1998. Il a visit� sept �villages mod�les� du projet Yadana install�s par le p�trolier dans cette zone dot�e d'h�pitaux et d'orphelinats. Il n'en dit que du bien. �Ce programme socio-�conomique, note-t-il, est la meilleure publicit� pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show-room...�

Sur l'essentiel, c'est-�-dire le travail forc� des populations locales dont Total est accus� d'avoir profit� vers 1995, Kouchner reprend l'argumentaire bien rod� du p�trolier : �Le chantier a employ� 2 500 personnes (...). Toutes b�n�fici�rent d'un contrat �crit, de salaires r�guliers, d'une protection sociale et de normes reconnues.� Des travaux forc�s ? Il ne s'agissait que d'une confusion avec le chantier voisin d'une voie ferr�e o� �il est probable que des travaux forc�s aient malmen� les populations�. �N'oublions pas, ajoute Kouchner pour ponctuer son paragraphe, que pour d�testable qu'il soit, le recours au travail forc� est une coutume ancienne, qui fut m�me l�galis�e par les Anglais en 1907.� �Plus tard, au d�but du chantier, conc�de l'ancien ministre en se contredisant quelque peu, des villageois avaient �t� rafl�s par l'arm�e pour d�fricher la for�t et se livrer � d'autres besognes aux services des militaires (...). Ayant �t� pr�venue de cette violation des droits de l'homme, la compagnie Total exigea que ces exactions cessent. Elle s'en ouvrit � Rangoon, aux dirigeants qui promirent d'intervenir et le firent. Deux d�crets abolissant le travail forc� furent publi�s en mai 1999 et octobre 2000.� L'auteur du rapport explique donc que Total, contrairement � ce que certains esprits �mal inform�s� ont pu supputer, a en r�alit� lutt� contre le travail forc�. �Il oublie de dire, commente Farid Ghehioueche du collectif Info Birmanie, que ces d�crets n'ont jamais �t� appliqu�s.� �En fait, ajoute le militant, Total a su que du travail forc� avait lieu sur son chantier, et lorsque l'entreprise s'est aper�u du danger que cela comportait en terme d'image, elle a chang� de politique.�

Nombreux sont les t�moignages accr�ditant le recours au travail forc� au profit de Total. Il y a le rapport confidentiel �L'action de Total en Birmanie�, commandit� par Total en juin 1996, dont Lib�ration s'est procur� une copie. L'ancien responsable des questions de s�curit� du pipe-line relate que �les unit�s affect�es � la protection du projet Yadana ont d�j� utilis� les services des local helpers (recrues locales) r�quisitionn�s pour le chemin de fer, pour certaines t�ches � leur profit direct ou pour du d�frichage au profit de Total, alors que la soci�t� ne cesse de leur expliquer qu'elle dispose de ses propres moyens pour effectuer des travaux�.

La compagnie fran�aise a op�r� un certain nombre de glissements s�mantiques. En novembre 2002, le PDG Thierry Desmarest, affirmait que Total n'avait �jamais recouru, directement ou indirectement, au travail forc�. Mais en novembre 2003, Jean du Rusquec, charg� de mission de Total en Birmanie, d�clarait � l'AFP : �Il y a eu des probl�mes au d�marrage du chantier. Strictement du travail forc�, vers d�cembre 1995, pour la construction de baraquements et pour du portage (...). Nous avons indemnis� les villageois, 400 environ. Il a fallu se bagarrer.� Malgr� ce demi-aveu, la ligne de d�fense de Total demeure la m�me, pr�cise l'avocat des plaignants birmans, William Bourdon, � savoir qu'�il n'y a jamais eu de travail forc� sur le chantier�.

Total, s'il n'a pas profit� sciemment de ce travail forc�, pouvait-il penser qu'il �chapperait � ces pratiques ? Une �tude confidentielle, command�e d�s 1992 par Unocal, le partenaire am�ricain de Total, � Control Risks Information Services, dont Lib�ration s'est procur� une copie, avertissait le p�trolier : �Dans toute la Birmanie, le gouvernement utilise habituellement des travailleurs forc�s pour construire les routes (...). Dans de telles circonstances Unocal et ses partenaires n'auront qu'une marge de man�uvre tr�s r�duite.�

Dans son rapport, pay� selon lui 25 000 euros par Total, Kouchner se prononce pour l'engagement constructif avec la dictature : �Fallait-il r�pondre aux appels d'offre et installer ce gazoduc en Birmanie ? Je le crois.� Et de conclure : �L'�poque n'est plus � l'embargo et au boycott.� Position en totale contradiction avec ses convictions d'antan. Dans la pr�face de Dossier noir Birmanie (Ed. Dagorno, 1994), o� il qualifiait la junte de �narcodictature�, il reprenait � son compte l'id�e selon laquelle �il faut imposer � la junte birmane des sanctions �conomiques�. Ajoutant que de telles sanctions �heurtent bien souvent l'int�r�t des Etats, dont la France qui, comme beaucoup d'autres, commerce avec les g�n�raux via ses industries p�troli�res�. Pour justifier son revirement, Kouchner explique qu'� l'�poque : �Je n'avais pas fait d'enqu�te. Mais un certain nombre de prix Nobel, dont mon ami Elie Wiesel, pr�tendaient l'avoir men�e pour moi.�

L�article du Nouvel Obs

Pay� par Total, Kouchner blanchit Total en Birmanie



Le fondateur de M�decins sans fronti�res a touch� 25.000 euros pour rendre un rapport sur le travail forc� en Birmanie, qui conclut que celui-ci n'a pas jamais �t� utilis� par la compagnie. Le travail forc� est d'ailleurs, selon l'ancien ministre, "une coutume ancienne, qui fut m�me l�galis�e par les Anglais en 1907".
Le groupe p�trolier Total a pay� 25.000 euros en mars dernier Bernard Kouchner, ancien ministre socialiste et fondateur de M�decins sans fronti�res, pour qu'il rende un rapport sur le travail forc� en Birmanie. Un rapport qui conclut� � l'absence de travail forc� sous l'�gide de Total.
Pour r�diger son rapport, publi� sur le site internet de Total, Bernard Kouchner s'est donc rendu pendant quelques jours en Birmanie. Il y a visit� le site du gazoduc de Total, ainsi que les sept villages mod�les install�s par Total dans cette zone. Pour n'en dire que du bien. "Ce programme socio-�conomique, �crit Bernard Kouchner dans son rapport de 19 pages, est la meilleure publicit� pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show-room".

Travail forc� ?

Sur la d�licate question du travail forc�, qui a valu � Total une plainte d�pos�e en ao�t 2002 en France, le ministre conclut qu'il y a eu erreur sur la personne. En effet, il reprend l'argument du p�trolier : "Le chantier a employ� 2500 personnes". "Toutes b�n�fici�rent d'un contrat �crit, de salaires r�guliers, d'une protection sociale et de normes reconnues".
Concernant l'accusation de travail forc�, il y a eu m�prise, affirme Bernard Kouchner, avec le chantier voisin d'une voie ferr�e, "o� il est probable qu'il y ait eu des travaux forc�s". Et le ministre de rappeler que le travail forc� est de toute fa�on "une coutume ancienne, qui fut m�me l�galis�e par les Anglais en 1907".

Birmans "trop heureux"

Le "french doctor" note cependant qu'au d�but du chantier du gazoduc, "des villageois avaient �t� rafl�s par l'arm�e pour d�fricher la for�t et se livrer � d'autres besognes au service des militaires". Mais Total une fois au courant de ces d�rapages, "exigea que ces exactions cessent". "Deux d�crets abolissant le travail forc� furent publi�s en 1999 et 2000", poursuit Bernard Kouchner.
Ce que ne dit pas cependant l'ancien ministre, c'est que ces deux d�crets n'ont jamais �t� appliqu�s, selon un militant du collectif Info Birmanie interrog� par Lib�ration.
Interrog�, par le quotidien, Bernard Kouchner s'explique : "Les Birmans que j'ai vu sont absolument heureux de la pr�sence de Total, trop � mon avis par rapport au reste de la population. Personne ne conna�t les 'victimes de Total' � ma connaissance".

Le rapport de Bernard Kouchner


Relation d'un voyage et de la d�couverte d�une industrie muette. (Apr�s l�arrestation de Aung San Suu Kyi)

29 septembre 2003
BK CONSEIL


2
1. Pourquoi ce rapport?
Ma�tres Daniel Soulez-Larivi�re et Jean Veil ont confi� � BK Conseil une mission d'enqu�te en Myanmar (Birmanie) aupr�s de la soci�t� Total charg�e de la construction, de la surveillance et de l'exploitation d'un gazoduc reliant le gisement sous marin de Yadana, en mer d'Andaman, � la fronti�re tha�landaise, enqu�te pouvant d�boucher, le cas �ch�ant, sur des propositions. Notre exp�rience �l�mentaire du pays et notre connaissance r�elle de l'envers du d�cor; populations et camps de r�fugi�s Karen, Shan et Kachin, souvent de religions diff�rentes du Bouddhisme majoritaire, �tablis de l'autre cot� de la fronti�re Tha�landaise, nous ont facilit� la
t�che.
Au moment du voyage, la situation politique �voluait favorablement. La principale opposante, Aung San Suu Kyi, circulait � nouveau presque librement dans le pays et y rencontrait ses partisans, comme elle nous l'a, elle-m�me, racont�. L'envoy� sp�cial du Secr�taire G�n�ral des Nations Unies, Ahmed Razali, s�journait � Yangon afin de favoriser le dialogue entre le gouvernement militaire et l'opposition d�mocratique. Des changements �taient attendus, au moins avant la r�union de l'ASEAN qui devrait se tenir en Myanmar en 2006. Cette �volution constituait une raison suppl�mentaire de soutenir, sans provocation, l'aspiration � un r�gime d�mocratique, et de t�moigner de son soutien � une opposition nationale qui avait gagn� les �lections de I990 facilement et qui devrait arriver, t�t ou tard, au
pouvoir.
La compagnie Total devrait, selon notre analyse et malgr� ses traditions de neutralit�, s'engager avec pr�caution dans cette voie, d'autant que, premier investisseur du pays, elle ne risquerait dans l'affaire qu'un tr�s positif changement d'image.
Cette mission fut donc assur�e du 25 au 29 mars 2003, avant les provocations au cours d'un meeting de la Ligue Nationale pour la D�mocratie, les morts, l'arrestation et l'incarc�ration de Aung San Suu Kyi. Les derni�res consid�rations porteront sur ce retour de b�ton, cette sinistre affaire qui risque de rendre caduque toute vell�it� de d�mocratisation pacifique.


2. Les lectures de l'Histoire
Un court rappel historique est n�cessaire si l'on veut comprendre la gravit� des accusations qui p�sent sur ce r�gime dictatorial et, par ricochet, sur tous ceux qui travaillent ou m�me ceux qui sont li�s par contrat avec lui.

A.

Ni l'histoire du pays, ni les m�andres du fleuve Irrawaddy ne datent d'hier. Le pays a plus de mille ans d'existence. Il a r�sist� � toutes les invasions, depuis celle des Mongols � la venue des Britanniques et l'intrusion japonaise. Les mauvais plaisants affirment qu'ils ne c�deront qu'� la prochaine pouss�e, plus insidieuse: la p�n�tration chinoise.

Le culte des nats, les "esprits", voisine avec un Bouddhisme omnipr�sent. Le Nord, presque inconnu et interdit aux visiteurs, ne ressemble pas aux Sud; Mandalay devient une ville chinoise, le royaume de Bagang n'est plus qu'un souvenir. La fragile unit� de la Birmanie s'est forg�e lentement. Les voisins sont mena�ants et les ethnies internes demeurent remuantes, avec des zones d'ins�curit� et des maquis r�siduels. Yangon, ville active, se modernise. Les trafics de pierres pr�cieuses et d'opium servent toujours les m�mes int�r�ts: les riches et les militaires. Les maladies end�miques frappent des populations identiques: les pauvres.

B.

Apr�s la meurtri�re colonisation britannique, l'invasion japonaise au cours de la seconde guerre mondiale fut souhait�e puis combattue en raison de ses exactions, par un homme de l�gende, le g�n�ral progressiste Aung San, le p�re de la Nation et le fondateur de l'arm�e, qui fut assassin� en 1947 � l'�ge de 32 ans. Le 4 janvier 1948 la Birmanie devint ind�pendante et quitta le Commonwealth. L'embellie d�mocratique du gouvernement ind�pendant de U Nu fut de courte dur�e. Comme dans toute la p�ninsule indochinoise le socialisme repr�sentait l'espoir. Un militaire se montra d'abord efficace qui se transforma vite en dirigeant autoritaire. Le g�n�ral Ne Win, alterna au pouvoir avec U Nu, un civil d�mocrate, qu'il finit par jeter en prison. Ne Win tenta de pr�ciser une voie birmane pour le socialisme qui se manifesta surtout par des trafics et de la concussion. L'homme fut finalement remplac� au pouvoir par ses coll�gues de l'arm�e regroup�s en un SLORC (State Law and Order Restoration Council), sous la direction du chef d'�tat-major des troupes birmanes, le g�n�ral Saw Maung. qui promit des �lections g�n�rales en 1989. Le SLORC abandonna officiellement le socialisme pour le capitalisme, ce qui ne changea rien aux tristes conditions de vie des Birmans.

C.

L'opposition forma un parti de coalition, la National League for Democracy (NLD), sous la direction de Aung San Suu Kyi, la tr�s charismatique fille du h�ros national, le g�n�ral Bogyoke Aung San. Plusieurs manifestations populaires, regroupant des �tudiants, des ouvriers, des moines bouddhistes et de nombreux membres des forces militaires furent r�prim�es durement. Il y eut des milliers de morts. La loi martiale fut impos�e. En juillet 1989 Aung San Suu Kyi fut assign�e � r�sidence.

Les militaires d�clar�rent vouloir rendre le pouvoir aux civils. Les �lections organis�es en Mai 1990 donn�rent une tr�s large victoire � la NLD (396 si�ges au Parlement sur 485) . La junte militaire n'accepta pas le verdict des urnes. En octobre 1990, l'arm�e envahit le si�ge de la National League for Democracy et des centaines de militants furent emprisonn�s.

Aung San Suu Kyi , la "Dame", re�ut successivement le Prix Sakharov, le prix Nobel de la paix en 1991, et le Prix Simon Bolivar. Elle devint et demeure une des h�ro�nes mondiales de la lutte contre l'oppression.

D.

Le monde commen�a alors seulement � s'int�resser au Myanmar et � condamner fermement le gouvernement militaire, accus� de violations massives des Droits de l'homme et en particulier d'utilisation du travail forc�. Cette r�action tardive jointe � l'ignorance due � une fermeture du pays laissant imaginer le pire, explique � la fois l'intransigeance dans le jugement et un d�sint�r�t quasi g�n�ral pour ce pays lointain. Ce r�gime militaire sans imagination ni intelligence devint le symbole de l'oppression de droite alors que tombaient une par une les citadelles du communisme asiatique.

Certaines dictatures ne m�ritent peut-�tre pas compl�tement l'aura n�gative qui les entoure, alors que d'autres, plus meurtri�res, passent plus facilement inaper�ues. Deux poids, deux mesures: c'est en la mati�re une r�gle difficile � accepter. L'intensit� des indignations internationales, les protestations contre des oppressions r�elles et diverses, l'�chelle d'impopularit� d'un gouvernement n'ob�issent � aucun crit�re stable et raisonn�.

Telle est la po�tique des r�actions activistes. Il faut souligner cependant le bien fond� des critiques port�es sur la Birmanie par la communaut� internationale. Les Am�ricains, pour des raisons multiples et contradictoires, demeurent tr�s fermes dans leurs critiques du r�gime des G�n�raux. Le Bureau International du Travail a mis en �uvre des proc�dures exceptionnelles (enqu�te, motion, charg� de liaison sur place) visant le Myanmar en raison du travail forc�. Et un boycott de fait a �t� institu� contre le pays. En particulier les grandes instances internationales s'abstiennent de travailler au Myanmar et ne fournissent que tr�s peu d'aide. Cela devait changer lentement avant la nouvelle arrestation de la "Dame" et le retour des violences.

E.

Pourquoi les militants s'acharnent-ils plus facilement contre le Myanmar que contre la Chine qui pratique � grande �chelle le travail des enfants? Par facilit�. Les G�n�raux birmans apparaissent plus d�risoires que les autres, et leur capacit� de communication est inexistante. La t�che est donc plus ais�e, la pression entra�ne peu de risques... S'en prendre � la Chine au Tibet, par exemple, au Parti Communiste r�siduel au Vi�t-Nam et m�me � l'odieux r�gime de Cor�e du Nord comporte plus d'al�as. De plus, l'opposition birmane occupe une place morale �norme. Affronter l'opinion de la belle, tr�s courageuse, tr�s digne et charismatique Aung San Suu Kyi, serait une rude t�che. Un groupe fait donc plus que les autres les frais des d�nonciations et des attaques, qui m�lent de tr�s bonnes raisons aux all�gations les plus fantaisistes: TotalFinaElf, redevenu Total.


3. Une documentation n�cessaire

A.
Un proc�s �clairant se d�roule � New York, intent� par un groupe d'avocat am�ricains agissant pour le compte de plaignants sud-africains. Trente-quatre groupes industriels sont accus�s d'avoir soutenu le r�gime sud-africain d'apartheid jusqu'aux �lections multiraciales de 1994. Il s'agit pour la plupart de firmes �nerg�tiques, informatiques et chimiques, telles Shell, IBM, Nestl�, Daimler. Il conviendrait que les juristes examinent de pr�s ce dossier. Le groupe p�trolier Shell est accus� � d'avoir tir� des profits de son activit� pendant les ann�es de l'apartheid et de l'embargo international �, ainsi que Texaco et Exxon. Nestl� est accus� d'avoir investi en Afrique du Sud pendant les ann�es de l'embargo, Daimler d'avoir fourni des v�hicules � la police, etc... Notons que Nelson Mandela f�licita r�cemment Total pour sa belle conduite pendant les ann�es d'apartheid.


B.
Des livres et des rapports, quelques articles aussi.

Il me semble indispensable, avant d'aventurer le moindre jugement, de consulter quelques-unes des derni�res publications concernant le Myanmar, de celles qui orientent l'opinion publique. D'abord les US Government Reports et particuli�rement celui qui concerne notre affaire: "Report on labor Practices in Burma"(1). Une publication am�ricaine particuli�rement accusatrice � l'�gard des pratiques de Total prend toute son importance dans un contexte de concurrence permanent et de d�gradation conjoncturelle des rapports entre les deux pays. Je cite ici un extrait significatif:

"The Yadana Natural Gaz Pipe Line.
"One of the most controversial infrastructure projects in Burma is the Yadana natural gas pipeline because of allegations that the GOB has committed abuses, including forced labor and forced relocations, on a project which includes several international companies as investors...

"Allegations of forced labor and other human rights abuses in the area emerged even before construction started. The oil companies have vigorously denied allegations of human rights abuses, and particularly the alleged association of forced labor with the pipeline...

"It is difficult to assess the actual extent of any use of forced labor, as the GOB has
denied requests by the US Government, the ILO and other groups to conduct independent visits to the pipeline corridor and adjacent areas. Officials of the US Embassy in Rangoon have visited the region. Since the pipeline is in remote and inaccessible region, in all cases the trips were facilitated by the oil companies which proceeded to the necessary transportation. The GOB has denied Embassy requests to visit the pipe line and adjacent areas independently, citing security reasons" Forced Relocations

The practice of forcibly relocating villages in Burma started before 1988, but appears to have escalated significantly since then. Estimates of the number of people moved since 6 1988 vary from 100.000 to I,5 million. The US Embassy in Rangoon has reported that tens of thousands of villagers have been displaced"

Le rapport insiste sur le travail des mineurs et sur le sort des enfants-soldats. Nul doute qu'en l'absence d'organisation syndicale, les violations du code du travail furent tr�s fr�quentes, tr�s nocives aux populations et qu'elles se poursuivent.

Le rapport am�ricain se conclut ainsi:" ...Forced labor has been used most notably in infrastructure development (including the development of infrastructure for the tourism industry and possibly the Yadana natural gas pipeline) and the support of military
operations...

Il faut aussi tenir compte de l'opinion de la Charg�e de Liaison du Bureau International du Travail (BIT) � Yangon, Mme Perret-Nguyen qui, dans une d�p�che r�cente, assurait qu�"il n'existait pas, � sa connaissance, de preuve de l'utilisation du travail forc� sur le chantier Yadana du pipeline et dans le corridor du gaz"(2)

� propos de l'Humanitaire et la Sant�

L'essentiel, � mes yeux, est ailleurs, dans les deux derniers rapports de la s�rieuse organisation internationale ICG (International Crisis Group).

La premi�re brochure est consacr�e au travail des ONG. Certes l'implication du travail
humanitaire ne ressemble pas � celle d'une firme p�troli�re, mais les d�bats furent vifs chez les
volontaires lorsqu'il s'agit de s'installer en pays birman. N'�tait-ce pas une trahison de la ligne
morale? La "Dame", Aung San Suu Kyi, �tait r�ticente, etc...

On se rend compte que 28 des principales ONG sont aujourd'hui pr�sentes et que le travail reste immense (3). Depuis M�decins du monde install� en 1991 jusqu'� Swiss Aid en 2001 en passant par M�decins sans Fronti�res, Care, Save The Children et la F�d�ration Internationale de la Croix rouge, etc... Le Centre pour le Dialogue Humanitaire, pour sa part, se charge d'�tre l'interm�diaire entre le pouvoir et l'opposition. Nous l'avons longuement rencontr� � plusieurs reprises.

Fallait-il s'installer au Myanmar?

� Qui peut-on aider, qui doit-on punir? L'embargo n'est-il pas nocif aux plus pauvres, ne conforte-t-il pas les puissants? � Ce d�bat demeure pr�sent dans toutes les organisations humanitaires, celles qui s'occupent de l'urgence l'ont tranch�: il faut se trouver, en permanence, du cot� des victimes. Si possible jusqu'au bout du chemin. J'ai moi-m�me longuement d�battu avec des proches et avec mes coll�gues sur l'opportunit� d'aider les populations des pays de dictature. J'insiste : il faut s'efforcer d'aider dans presque tous les cas et je ne me suis r�sign� que tardivement � la position des ONG qui quitt�rent l'Ethiopie en pleine famine au motif que l'aide �tait d�tourn�e par les dirigeants qui, au fond, profitaient de la disette (4 et 5). J'ai �t� un de ces acteurs pr�ts � risquer leur vie pour que l'aide parvienne aux populations n�cessiteuses. Mais j'ai �galement admis que, parfois, mieux valait se laisser d�trousser de la moiti� de ses biens par les bourreaux pour que le reste parvienne aux affam�s; ce qui est fr�quent et que les belles �mes d�noncent d'autant plus facilement qu'elles se trouvent �loign�es des dangers.

J'insiste sur l'utilit� de rompre d�lib�r�ment l'isolement du pays. Fallait-il, faut-il travailler au Myanmar? Les ONG et les firmes industrielles se ressemblent parfois. Les entreprises font leur travail et en tirent b�n�fice. Les associations humanitaires font le leur et elles aussi en tirent satisfaction et notori�t�. La question essentielle est celle-ci : qui demandera jamais leur avis aux populations concern�es? Il ne faut pas rester coi. Le plus souvent, pas toujours, la parole prot�ge les volontaires comme les victimes. Le mutisme peut constituer une protection temporaire et illusoire, mais il ne sera jamais une d�fense suffisante au tribunal de l'Histoire.

Pour reprendre des exemples fameux, ni le Comit� international de la Croix Rouge, ni les chimistes allemands ne furent absous de leur silence ni de leur complicit� pendant la Deuxi�me
Guerre Mondiale.

Je me souviens des quelques jours pendant lesquels, en plein si�ge de Sarajevo, le Pr�sident Iztbegovic avait interdit les vols humanitaires pour forcer les pays alli�s � prendre clairement position. Moins d'une semaine apr�s, il changeait d'attitude sous la pression des habitants, et la distribution d'aide reprenait.

Seules les victimes ont le droit de juger si l'aide doit se poursuivre ou cesser. Une victime ne sera jamais caract�ris�e seulement par la nature de la main qui se tend. Que l'on se souvienne du Cambodge lib�r�, du g�nocide Khmer rouge par l'ennemi vietnamien, de l'op�ration "Turquoise" au Rwanda ou, plus r�cemment, de l'Irak lib�r� - pas tr�s bien - par les anglo-am�ricains.

L'Histoire retient la lib�ration davantage que l'invasion.

Seules les victimes ont le droit de juger si en Birmanie le tourisme doit poursuivre sa progression, si l'apport d'argent frais et les m�tiers qu'il engendre sont profitables. Est-ce un progr�s que les touristes d�ferlent sur Cuba et que le nombre des prostitu�es augmente, alors que Castro r�prime le mouvement d�mocratique et fait condamner � mort? J'ai abord� ce probl�me avec Aung San Suu Kyi le 30 d�cembre dernier. Sa r�ponse fut ambigu�: "ne rien faire qui renforce le r�gime des g�n�raux".

Fallait-il r�pondre aux appels d'offre et installer ce gazoduc en Birmanie? Je le crois. Sinon on fait un autre m�tier. Je connais mal le probl�me du gaz naturel et de son exploitation mais j'ai quelques notions de sant� publique. La situation sanitaire et sociale du Myanmar est � ce point d�sastreuse, que, malgr� certaines r�ticences de la "Dame", on ne cherche jamais querelle dans le monde occidental, aux Associations qui travaillent utilement en Birmanie. Et c'est normal: les indicateurs de mortalit� et de morbidit� g�n�raux, les chiffres de la mortalit� infantile et de la mortalit� maternelle sont d�sastreux. D�s lors pourquoi s�parer, arbitrairement, l'essor de l'industrie de la n�cessaire mise en place de structures sanitaires indispensables, impossibles sans un d�veloppement �conomique minimum. On peut nous r�torquer que la sant� publique n'int�resse pas les G�n�raux et que seul l'argent les fascine.

Certes, mais les g�n�raux ne maintiendront pas leur dictature �ternellement et la d�mocratie aura besoin de d�veloppement �conomique et industriel. Particuli�rement pour construire un syst�me de sant� publique. On ne peut construire ni une pr�vention efficace ni un r�seau
hospitalier sur la seule charit� internationale.

ICG termine son rapport en demandant plus de moyens pour la sant� et des infrastructures minimums. Ils recommandent �galement une coordination bien difficile � obtenir entre les ONG.

Si l'on veut aider le peuple birman, c'est dans le domaine de la sant� que l'on doit non pas se substituer � eux mais apporter une aide p�renne et une formation efficace. Devant une �pid�mie comme celle de la pneumonie atypique, on fr�mit � ce qui se passerait en Birmanie. Et d'ailleurs sait-on si ce virus a ou n'a pas frapp� dans ce pays d�pourvu d'indicateurs de sant� et de surveillance �pid�miologique?

Il faut, en Birmanie, intervenir dans le domaine de la sant� publique. D'autant que des
apparitions de virus nouveaux sont pr�visibles chaque ann�e, dans un contexte d'�changes et
de voyages.

Cette n�cessit� se renforce � la lecture de la seconde brochure de ICG (6) consacr�e au
Sida, fl�au mondial dont les ravages sont �normes dans ce pays d�nu� de structure �l�mentaire de sant� publique. En Birmanie, on estime qu'un adulte sur 50 est infect� par le Sida. Conclusion du groupe international de r�flexion I.C.G: " Les ONG ne suffisent pas. Que vous l'aimiez ou non, travailler effectivement contre le Sida en Birmanie, signifie travailler de fa�on substantielle avec le gouvernement"., � condition de respecter les quelques r�gles indispensables, celles des Droits humains en particulier. Ils ne vont pas jusqu'� en dire autant des firmes industrielles. Et pourtant...

B.

Les rencontres � Rome et � Paris.

Je n'ai pas voulu visiter le corridor sans m'assurer de l'�tat d'esprit de quelques militants des ONG. J'ai donc rencontr�, � Paris et � Rome, de nombreux dirigeants et militants des associations qui travaillent en Birmanie. M�decins du Monde et La Cha�ne de l'Espoir, la Fondation Fran�ois-Xavier Bagnoud, la Fondation Nano Peretti et les amis d�Emma Bonino furent mes interlocuteurs principaux. J'ai longuement pes� les avantages et les inconv�nients, � leurs yeux, d'une collaboration �ventuelle avec Total, sur des projets pr�cis de sant� publique, dans des secteurs expos�s et sur des missions indispensables: toxicomanie et Sida en particulier dans le Nord o� personne ne se rend ou presque.

Il me semble que l'�volution d'une communication ouverte sur des probl�mes criants du pays et son n�cessaire passage pacifique � la d�mocratie autoriseraient toutes les esp�rances. La loi du tapage commence par de timides paroles prononc�es loin des murs du silence.

C.

Les rencontres � Harvard

J'ai souhait� �galement entendre les r�dacteurs du rapport le plus important, celui de CDA (Collaborative for Developpement Action, Inc.), un organisme bas� � Cambridge, Massachusetts. Je me suis d'abord entretenu au t�l�phone avec les personnes charg�es du travail sur le projet Yadana. Puis j'ai eu une longue conversation en t�te � t�te avec Mary Anderson, la pr�sidente, le 12 mars 2003. J'attends leur prochain rapport de suivi.

Je me suis assur� que les rapports financiers entre Total et le CDA �taient sains et n'avaient pas influenc� les conclusions des envoy�s sp�ciaux. Je ne peux rien garantir, mais la qualit� de mes interlocuteurs m'a sembl� excellente et le dialogue fut sinc�re.

Je me suis fait expliquer les circonstances du voyage et la mani�re dont les questions furent pos�es dans les villages. J'ai d�couvert en Mary Anderson une militante des droits humains, une personne de grande exp�rience que j'avais crois�e sur de nombreux chemins du monde en d�veloppement et qui croit � l'importance des entreprises industrielles en ces temps de globalisation. Les conclusions du rapport sont connues et recoupent partiellement les miennes.

Il est donc inutile de les reproduire ici. Je les r�sume cependant : il faut d�verrouiller la fen�tre des entreprises; mieux int�grer les employ�s locaux au travail; ouvrir les yeux sur le pays, sur les hommes et les femmes du Myanmar; et pour cela les d�couvrir, les �couter; d�cloisonner son c�ur et son esprit; se m�ler � d'autres acteurs que les seuls dirigeants et fonctionnaires incontournables; expliquer l'entreprise, se demander si le mutisme est la meilleure voie possible pour se faire comprendre.

4. Les accusations contre Total.

Depuis de nombreuses ann�es, sans qu'une vraie enqu�te ait �t�, � notre connaissance, men�e sur place, la r�putation de l'entreprise p�troli�re fran�aise, Total � l'�poque, fut ternie par des rumeurs et une all�gation pr�cise: l'utilisation de main-d��uvre forc�e. Total - malgr� l'existence au sein de l'entreprise d'un strict code de d�ontologie - se serait rendu coupable d'une sorte d'esclavage moderne et en particulier aurait utilis� des enfants pour accomplir diverses besognes. Si l'on conna�t la dimension des travaux accomplis, la taille des tuyaux du pipe, la dimension des machines qui les manipulent, cette accusation aurait d� tomber d'elle-m�me. Il n'en a rien �t�.

Dans le monde des ONG (organisations non gouvernementales), ces all�gations furent souvent reproduites. Il faut comprendre que de telles accusations trouvent toujours des oreilles favorables. Les firmes p�troli�res nagent souvent en eaux troubles, leurs pratiques, dans l'esprit du public, sont fr�quemment associ�es, on le sait, � des machinations, des manipulations d'argent et des trafics d'influence douteux. M�me si une pol�mique s'�levait dans chacune des organisations de volontaires � l'occasion des missions projet�es ou accomplies en Myanmar, on ne la comparait jamais � d'�ventuels �tats d'�me des industriels qui avaient eu � trancher de semblables d�bats. Il en fut ainsi lorsque M�decins du Monde, la Cha�ne de l'Espoir ou la Fondation Fran�ois Xavier Bagnoud, par exemple, pr�sent�rent des projets puis s'�tablirent en Birmanie. Ils y sont encore et y travaillent tr�s bien.

J'ai moi-m�me, aux c�t�s du Dala�-lama et Mgr Desmond Tutu, pr�fac� un livre intitul� "Le dossier noir de la Birmanie"(7). Je n'avais pas fait d'enqu�te, mais un certain nombre de Prix Nobel, dont mon ami Elie Wiesel, pr�tendaient l'avoir men�e pour moi. Il s'agissait d'une �vidence! Et les r�sultats ne pouvaient faire de doute: des massacres r�p�t�s avaient �t� commis, la torture employ�e fr�quemment, des disparitions et des ex�cutions avaient rythm� pendant de longues ann�es la pratique quotidienne du SLROC, la Junte dirigeante birmane. En Myanmar environ 1200 prisonniers politiques croupissent encore derri�re les barreaux, depuis parfois de tr�s longues ann�es. Les G�n�raux birmans sont �galement accus�s par tous les sp�cialistes d'entretenir le trafic de l'opium venu du Triangle d'Or. M�me si des changements politiques sont attendus, proches peut-�tre, la collaboration avec un tel r�gime impose donc une vision politique � propos de laquelle les firmes p�troli�res, habituellement, refusent de s'exprimer. C'est, nous semble-t-il, une erreur.

Le chantier.

Reprenons le fil du r�cit. En vertu d'un contrat sign� en 1992, apr�s appel d'offres ( d'autres firmes p�troli�res furent donc �vinc�es, dont Shell qui participait � l'appel d'offres), en partenariat avec l'am�ricain Unocal, la compagnie nationale birmane MOGE et PTT-EP de Tha�lande, la compagnie Total fut donc charg�e d'�tre l'op�rateur du d�veloppement et de l'exploitation du gisement marin de gaz. Un gazoduc de 412 km sous la mer devait joindre la c�te, puis 63 km de conduit sur la terre ferme jusqu'� la fronti�re de Tha�lande, aux lieux-dits Ban-I-Tong.

Le trac� fut r�fl�chi et d�termin� au mieux afin de respecter l'environnement et en particulier la for�t primaire. Le "pipe" est enterr� sur toute sa longueur et la v�g�tation, � l'exception des grands arbres fut replant�e. Ce fut un exploit technique. Je ne suis pas un expert en �cologie mais, apr�s avoir observ� le trac� sur toute sa longueur et les plantations qui furent faites, il me semble que le travail fut bien accompli et que l'environnement souffrit tr�s peu. La for�t primitive n'a pas �t� ab�m�e et seule une zone de quelques m�tres, de part et d'autre du gazoduc, sans arbre trop haut mais avec une v�g�tation basse et dense, signale l'existence de cette installation. Les sp�cialistes de l'environnement devraient en �tre satisfaits s'ils veulent bien ne pas juger de loin mais se rendre sur place. Total devrait leur faciliter ce d�placement n�cessaire.

Le trac� du pipe a respect� les villages et �pargn� la for�t vierge primaire, ce que le contrat ne sp�cifiait pas. Le chantier a employ� 2.500 personnes dont 350 expatri�s. Toutes b�n�fici�rent d'un contrat �crit, de salaires r�guliers, d'une protection sociale et de normes reconnues HSE. Elles furent form�es selon le code de conduite de l'entreprise qui leur fut enseign�. Ce code fut impos� dans tous les contrats de sous-traitance. Des pentes tr�s fortes furent gravies, deux fleuves travers�s et le pipe enfoui � plus de deux m�tres sous terre: 5134 tubes de 12 m�tres, pesant 5 tonnes chacun et soud�s entre eux.

Des confusions s'�tablirent, dans une r�gion presque inaccessible, entre les travaux du gazoduc et ceux de la ligne de chemin de fer gouvernemental Ye-Tavoy, intervenus � la m�me �poque et pour laquelle il est probable que des travaux forc�s aient malmen� les populations. De m�me, � propos de la route de Kanbauk, les d�nonciations apparurent tr�s rapidement farfelues. Un autre malentendu a pu s'�tablir entre la pose du gazoduc de Total et celui de la compagnie Moge. C'est en 1992, alors que les �tudes pr�liminaires �taient � peine commenc�es, que parut le premier article critiquant les pratiques de Total et �voquant le travail forc� qui aurait �t� utilis� par l'entreprise pour la construction et la mise en place du gazoduc. Ces critiques pr�matur�es confondaient-ils les projets, les lieux et les �poques? N'oublions pas que, pour d�testable qu'il soit, le recours au travail forc� est une coutume ancienne, qui fut m�me l�galis�e en 1907 par les anglais.

Plus tard, au d�but du chantier, et cet �pisode m'a �t� confirm� par plusieurs personnes, des villageois avaient �t� rafl�s par l'arm�e pour d�fricher la for�t et se livrer � d'autres besognes aux services des militaires, comme la pratique en est h�las largement r�pandue sous ce r�gime militaire. Ayant �t� pr�venue de cette violation des droits de l'Homme, la compagnie Total exigea que ces exactions cessent. Elle s'en ouvrit, � Rangoon, aux dirigeants qui promirent d'intervenir et le firent. Deux d�crets abolissant le travail forc� furent publi�s en mai 1999 et octobre 2000. Sur place, les responsables de la compagnie fran�aise all�rent jusqu'� payer le salaire habituel aux villageois qui avaient �t� rafl�s et forc�s de travailler. On pr�tend que cet argent fut alors subtilis� par les militaires esclavagistes et qu'il n'en resta rien dans les mains des villageois. Au moins, dit-on, la pratique du travail forc� diminua dans la zone du pipe. Impossible d'affirmer qu'elle disparut compl�tement.

Le responsable du projet Yadana, en toute bonne foi je le crois, tenta de se justifier. Il avait la conscience tranquille: la Compagnie n'avait jamais utilis� la main-d��uvre enfantine ni le travail forc�. Les r�gles de la firme sont strictes et cela semblait devoir suffire. Il n'en fut rien. Et la suspicion continue de peser.

Le programme socio-�conomique.

Treize villages �taient consid�r�s comme faisant partie de la zone, qui comprenaient en 1996 environ 35.000 personnes. Aujourd'hui, cette population est estim�e � 43.000 et depuis 2001 le programme socio-�conomique comprend 23 villages. Le dialogue avec les populations d�marra tr�s t�t, comme j'ai pu le v�rifier aupr�s des villageois, et des �tudes socio-�conomiques furent lanc�es. Des m�decins, des agronomes, des v�t�rinaires rencontr�rent des repr�sentants des villages et des projets furent pr�sent�s et discut�s. Les villageois furent ainsi inform�s de la nature des travaux envisag�s. Un programme socio-�conomique de 6 millions de dollars fut lanc� ainsi en 1995 : sant�, �ducation, d�veloppement �conomique et renforcement des infrastructures. D�s janvier 1995, les villageois furent appel�s � �lire les membres de Comit�s de Communication de Village, repr�sentatifs de la diversit� sociale et charg�s de discuter avec TOTAL sur le programme socio-�conomique et d'exprimer les attentes et les probl�mes des villageois. C'est par le canal de ces Comit�s que TOTAL a pu avoir connaissance de pressions de l'arm�e sur les villageois et �tre ainsi � m�me de combattre efficacement le travail forc�.

Agenda du programme socio-�conomique.

En 1995, les comit�s de communications furent mis en place, comme nous l'avons vu, le programme sanitaire contre la malaria mis en �uvre et des projets d'�levage porcin s'�tablirent autour d'une ferme sp�cialis�e.

En 1996, Total recruta des agents de communication (trop bien pay�s), les programmes sanitaires furent �tendus, on construisit des b�timents scolaires et une ferme avicole vit le jour � Thechaung et Eindayaza.

En 1997, on �tablit un syst�me de micro-cr�dits et le programme de soutien � la culture du riz, du ma�s, du manioc, des arachides, commen�a. J'ai constat� le succ�s de ces cultures. En 1998, l'�quipe de Total proc�da � l'installation d'une unit� socio-�conomique dans le village de Kanbauk.

En 1999, les programmes d'aides scolaire prirent corps et des stocks de nourriture pour les animaux furent organis�s ainsi qu'une p�pini�re de culture persistante (palmier � huile, noix de 12 cajou et h�v�a) que j'ai visit�e a Kanbauk et qui m'a impressionn�e par la qualit� du personnel local, en particulier.

2000 fut l'ann�e des biblioth�ques scolaires. En 2001, on �tendit le programme socio-�conomique � 23 villages. En 2002, des classes d'initiation � l'informatique furent mises en place. Je les ai vues et l'impression de travail utile �tait nette. En 2003, le budget du programme socio-�conomique atteignait 9,98 millions de dollars en cumul depuis 1995.

Pendant ce temps les projets et les prises en charge m�dicales se mettaient en place. Avec des
r�sultats tr�s significatifs.


Des r�sultats m�dicaux significatifs.

On note des progr�s dans trois domaines : la sant� publique et la construction des �quipements ; les programmes de vaccinations d'hygi�ne et de planning familial et les recherches sur la malaria en liaison avec l'institut Pasteur.

Je peux t�moigner des �tonnants r�sultats obtenus. Un dispensaire par village, un m�decin pour moins de 4000 habitants, des pathologies en recul, ces situations qui ne ressemblent plus � celles que l'on rencontre dans le Tiers Monde : un luxe inimaginable dans une grande moiti� de la plan�te. Total peut �tre fier, mais il doit aussi comprendre le caract�re contre-productif de son effort. Les m�decins grassement pay�s et les populations cajol�es sont ravis, mais les voisins imm�diats qui ne b�n�ficient pas des m�mes avantages en con�oivent une jalousie et parfois de la haine. Il faut donc rationaliser les efforts et en �tendre les b�n�fices, tout pr�t de la zone et aussi tr�s loin. Ce sera une de mes propositions.

Quand aux r�sultats, je les r�sume et donc je tronque les succ�s et frustre les acteurs de ces progr�s ind�niables. 12 m�decins qui enseignent la sant� publique, des dispensaires construits partout ( 1 pour 5000 habitants), 80 assistants m�dicaux et 20 sages femmes form�s, 77.858 consultations gratuites distribu�es en 2002 et 366.356 consultations depuis le d�marrage de Yadana.

56.487 enfants vaccin�s depuis 1996 (BCG,DTP,OPV,MS, TT) . 5.265 enfants et femmes enceintes vaccin�s en 2002. 1.487 enfants vaccin�s contre l'h�patite B depuis 1998. 354 cas de tuberculose diagnostiqu�s depuis 1997. 299 gu�risons depuis 1997. 33.074 cas de Malaria trait�s depuis 1997. Dans chaque dispensaire des microscopes et des tests ICT pour diagnostic rapide. Des moustiquaires pour chaque village. 3.037 hospitalisations depuis 1997. Mortalit� par malaria divis�e par 3,5 depuis 1997. Mortalit� par affections respiratoires s�v�res divis�e par 8 depuis 1997. Mortalit� par maladies issues de l'eau et de l'alimentation divis�e par 8 depuis 1997. Mortalit� infantile divis�e par 3 depuis 1997. Pr�s de 1000 personnes suivent le planning familial.

Je ne m'�tends pas sur les progr�s de l'agriculture et les fermes animales. Mais le mod�le d'autogestion doit �tre propos� � la population pour la sant�. Oui, des micros-budgets de sant� g�r�s par les communaut�s. Je suis pr�t � m'y employer.

13
Bref, un vrai succ�s. Un trop grand succ�s. Attention aux jaloux. Prenez garde, ceux qui triomphent peuvent devenir des cibles.

5. Ce que j'ai vu. Ce que je crois avoir compris.

Pour ne pas allonger ce document, je m'en tiendrai au domaine sanitaire, que je connais un peu moins mal que les autres.

A.

Pendant trois jours pleins, j'ai arpent� la zone du pipe, examin� cet endroit myst�rieux, de l'arriv�e maritime du gros tuyau, au village de Daminseik jusqu'� la fronti�re tha�landaise. J'ai discut� avec les rares expatri�s qui logent sur place. J'ai visit� sept villages et travers� les autres, je me suis entretenu avec les responsables des comit�s de village, avec ceux des projets v�t�rinaires et agricoles et, tr�s longuement, avec les comit�s, le personnel des dispensaires et de l'h�pital de Kanbauk, les sages-femmes, les infirmi�res et m�decins. J'ai parl�, seul, longuement, avec les sages femmes. J'ai eu des entretiens priv�s avec cinq praticiens et avec le responsable de toute l'entreprise m�dicale de Total dans la zone du pipe. Rien ne me laisse � penser que le groupe ait pu pr�ter la main � des activit�s contraires aux droits de l'Homme. Rien non plus ne me permet d'affirmer que ce genre d'activit� a cess� d'�tre pratiqu�e au sein de l'arm�e birmane.

B.

J'ai retir� de cette d�couverte des impressions contradictoires. Le contraste est immense entre le niveau moyen de soins et de sant� dans le pays et les tr�s bons r�sultats sanitaires des villages du corridor. Avant m�me les conseils de l'enqu�te CDA, Total a ajout� plusieurs villages � sa liste primitive, ce qui porte � 23 le nombre des agglom�rations dont le groupe s'occupe. Il ne faut pas en rester l�. Et sans doute, s'�tendre ailleurs, au nord du pays en particulier.

Au cours de la pr�sentation et des discussions, tant � Rangoon que sur le site, les r�sultats de sant� pr�sent�s apparaissent tr�s spectaculaires, soulign�s par des courbes d�monstratives qu'il est bien inutile de reproduire ou de nuancer ici. La baisse de la mortalit� des maladies contagieuses est particuli�rement d�monstrative.

C.

Il faut rappeler quelques donn�es et fournir certains chiffres. Plus de 90% du personnel de Total est Birman. Environ 20% du gaz est destin� � la consommation birmane qui n'en utilise que 7 � 8%. Le reste est vendu � la Tha�lande. La population de la zone du Pipe �largie est de 43.000 personnes environ.

D.
Les salaires des m�decins de Total, qui furent recrut�s, pour la majorit� d'entre eux, par le minist�re birman mais dont les qualit�s professionnelles ne sont pas en cause, sont beaucoup trop �lev�s. Cela deviendra un scandale et se retournera contre la bonne foi de l'entreprise. C'est dans l'urgence extr�me des besoins m�dicaux dans le reste du pays que r�side la solution au probl�me d'image de Yadana. Lions donc ces deux exigences. Que Total s'investisse ouvertement dans la sant� publique et dans la tradition d'excellence que repr�sente en particulier un Institut Pasteur. Dans quelques ann�es, Total devra rimer avec sant� totale.

6. Les conclusions que j'en tire

Il faut ouvrir la fen�tre. Total respire un air trop confin�. Il faut changer de comportement, ouvrir les yeux au spectacle d'un monde qui change et les narines aux effluves de l'air du large. Il convient surtout d'ouvrir son esprit. Et cela s'appelle, qu'on le veuille ou non, une vision politique du monde. Le mot � politique � ne salit pas tout ce qu'il touche et m�me si on le croit, effor�ons-nous de prouver le contraire. Ou bien trouvons un autre mot : une approche humaine suffirait. Le p�trole, le gaz constituent une mati�re infiniment politique et non pas seulement des ressources �nerg�tiques. Les compagnies p�troli�res ne trempent-elles pas en permanence dans le chaudron de la politique? Comment pr�tendre le contraire?

J'insiste: il faut traiter le probl�me de Yadana-Gaz-transportation-project comme ce qu'il est: un probl�me humain et politique. Au sens noble du terme. Ne pas consid�rer les activit�s politiques comme salissantes et le mot lui-m�me comme tabou.

Et si les t�moins cach�s, ceux dont on ne sait pas les noms et qui poussent au proc�s, avaient raison? Si on ne savait pas tout des pratiques de l'arm�e birmane durant la p�riode de construction du pipe? Si les t�moignages �taient sinc�res et fond�s? Il convient donc de rappeler quelques principes essentiels et que Total se prononce clairement sur la n�cessit� d�mocratique. Sans provocation, sans conf�rence de presse, sans tapage. La seule d�fense demeure la sinc�rit�.

Le p�trole n'aurait-il pas d'odeur? Une fois de plus, permettez-moi de le souligner: l'usage de l'adjectif d�mocratique ne saurait faire de tort � ceux qui se r�signeraient � l'utiliser. Je ne crois pas que les Ing�nieurs p�troliers soient dispens�s de l'employer. M�me, et surtout, si on extrait en g�n�ral le p�trole dans des pays de r�gime douteux, la premi�re firme qui affirmera son penchant pour plus de justice et moins de violences aura gagn� beaucoup de temps et sans doute- � terme- de l'argent. Comme la premi�re firme qui affirmera sa vocation � lutter contre le sous- d�veloppement m�dical en particulier dans ces temps de globalisation redout�e. Si Total le voulait, son nom pourrait signifier non seulement p�trole, mais sant� publique.

7. Ce que je propose.

Prendre les devants, sans attendre des proc�s injustes aux yeux des cadres et des employ�s de Total, mais l�gitimes selon certains d�fenseurs des droits de l'Homme souvent peu inform�s. Plus Total tarde � pr�ciser ses pens�es et ses sentiments, plus il sera difficile d'agir avec cr�dibilit�. On accusera l'entreprise de proposer des actions uniquement pour se laver des all�gations .

Je le r�p�te, car je sais que cette v�rit� est dure � entendre pour des dirigeants d'une entreprise de la taille, de la r�putation et de la qualit� de Total : le gouvernement du Myanmar n'est pas d�fendable, et tous ceux qui travaillent avec lui partagent l'opprobre!

Une seule solution : affirmer la pr�f�rence, au moins un penchant, de Total pour les r�gimes d�mocratiques. Si le terme para�t trop "politique", parler de "Droits humains" conviendrait parfaitement. Peut-�tre n'�tait-il pas possible de commercer avec le r�gime du Myanmar sans appara�tre comme un soutien des G�n�raux. Un seul rem�de: la sinc�rit�. De plus, je suis convaincu que dans l'�tat de leur pays face � l'opinion publique mondiale, il est absolument hors de question pour les g�n�raux d'attaquer Total, le plus gros investisseur en Birmanie.

En r�sum�, en ce qui concerne les activit�s m�dicales, les plus sensibles dans ce pays d�sh�rit� :

A.

Il faut annoncer que l'acc�s du corridor du pipe est libre et que, sans organiser les voyages, Total recevra tous les journalistes, touristes et activistes, qui souhaitent se renseigner sur les activit�s du groupe dans la r�gion. Tout au plus pourrait-on demander que les visiteurs s'annoncent � l'avance dans un premier temps.

Il faudra prendre des pr�cautions, j'en conviens. Des groupes militants pr�nent encore des actions arm�es contre le r�gime. Une attaque meurtri�re dans la zone a provoqu� des morts et des bless�s il y a quelques ann�es.

B.

Le programme socio-�conomique est la meilleure publicit� pour Total. Une sorte de bureau en ville, un show room, dont il conviendrait de discuter la localisation et la protection devrait permettre, � Yangon, dans la capitale, de pr�senter les activit�s techniques et sociales du groupe. Ainsi les ONG qui solliciteraient de l'aide pourraient prendre l'habitude de pousser la porte.

C.
Il conviendrait de ne pas renouveler les contrats des m�decins arriv�s � expiration. Il faudrait alors, les ayant pr�venus et pour des n�cessit�s de sant� publique, diminuer par deux les salaires de ces m�decins "choisis". On pourrait alors �tendre les zones prot�g�es par des dispensaires, dans d'autres r�gions du pays, faisant ainsi b�n�ficier d'autres habitants de soins suppl�mentaires.

D.

Que les communaut�s participent � la gestion de la sant�, � l'image, excellente, des projets d'�levages de poulet qui d�j� fonctionnent ainsi dans la zone du pipe. L'avenir de la Birmanie passe par les femmes qui g�reront ces dispensaires (8) avec efficacit�, j'en suis s�r.

E.

Que dix autres dispensaires portent ainsi le drapeau de Total un peu plus au nord dans le pays, dans des r�gions populeuses, accessibles et dans des secteurs m�dicaux difficiles, comme la d�pendance des drogues et le Sida.

F.

Afin de d�montrer la n�cessit� de l'�conomie et non du luxe en sant� publique, on pourrait s'efforcer de diminuer la consommation inutile de m�dicaments et employer des g�n�riques contr�l�s, en provenance du Bangladesh voisin, par exemple.

G.

Que tr�s vite une usine de fabrication de m�dicaments g�n�riques birmane, en liaison avec l'industrie pharmaceutique fran�aise, puisse voir le jour.

H.

Qu'en ces temps de mutations virales, de rupture de la barri�re des esp�ces, et de p�ril mondial comme le SRAS le d�montre, alors que presque chaque ann�e un nouveau virus appara�tra et nous menacera, un Institut Pasteur-Total soit, � minima, construit � Rangoon.

I.

Et surtout que la zone du corridor serve ni d'objet d'envie ni de repoussoir, mais de mod�le exportable � tous le pays. Un mod�le d'assurance maladie � minima peut en �merger. Nous serions heureux de pouvoir y participer.

8. Enfin

A.

Il convient de changer l'image, ouvrir les portes de l'entreprise sur les Birmans, qui constituent
95% du personnel. Il faut rattacher le nom de Total � un b�n�fice permanent de sant�
publique. Des dispensaires bon march�s et efficaces, un Institut Pasteur: tout changera alors.

B.

Les r�formes n�cessaires viendront-elles bient�t? La situation �volue. On le devine au ton de 17 la presse. T�moin, le texte du groupe Total publi� dans le Nouvel Observateur en r�ponse � l'article d'un journaliste qui n'avait pas enqu�t� et reproduisait les clich�s rappel�s ci-dessus. T�moin l'article de "The Economist" du 12 avril dernier (9) qui offrait un bilan mitig� et des opinions plus nuanc�es face aux compagnies qui avaient quitt� le pays, sur les conseils des militants internationaux.". Une quaranti�me firme am�ricaine a quitt� le territoire du Myanmar. Une fabrique de textile est partie, elle aussi semble le regretter puisque plus aucune garantie ni protection ne sont fournies aux travailleurs, pas plus qu'a l'environnement, la junte ayant pris le contr�le de l'entreprise". L'auteur cite Sergio Pinheiro, qui est le Rapporteur Sp�cial pour les questions de Droits de l'Homme au Myanmar pour le syst�me des Nations Unies et qui affirme que "la junte r�pond plus favorablement � des propositions et des engagements qu'au boycott".

T�moin encore d'une certaine inflexion des id�es, cette opinion parue dans le Herald Tribune de mercredi 21 mai 2003, intitul�e "Burma sanctions could backfire", sign�e John Brandon (10) qui dirige le bureau des programmes internationaux � l'Asia Foundation de Washington et qui �crit :"...if increased economic sanctions are passed by United States contrary to its international trade obligations, the WTO (World Trade Organisation) would probably rule in favor of Burma. Such a result would empower the Burmese generals rather than weaken them". Notons que, longtemps apr�s Texaco, l'entreprise Triumph-International ayant quitt� le pays, 3000 Birmans ont perdu leur travail au profit des entrepreneurs chinois. Il n'existe pas de r�ponse internationale unie et claire � la lutte contre le r�gime. Surtout apr�s l'arrestation de la "Dame" et le renforcement des sanctions par le S�nat am�ricain.`

Une seule chose a compt�, au fond. La collaboration. La signature d'un contrat avec les g�n�raux Birmans constitue, en elle-m�me, aux yeux des militants des droits de l'Homme, un p�ch� originel. Seul, le r�gime chinois semble approuver cette pr�sence. A qui profite le crime?

Cela peut sembler injuste � une entreprise industrielle qui travaille aussi bien dans les pays de gauche (Angola par exemple) que dans des pays de droite, mais c'est ainsi. C'est probablement injuste de la part des militants des O.N.G. qui eux-m�mes ont brav� l'embargo th�orique pour apporter leur aide aux populations d�laiss�es. Il faut raisonner � partir de cette r�alit�. Et r�agir en fonction de ce p�ch� originel. Et s'ouvrir sur le monde.

Il est donc n�cessaire d'inverser la tendance. Il faut que Total souhaite clairement la d�mocratie, que Total visite plus souvent la " Dame" et qu'aujourd'hui, par une d�marche d'abord discr�te et plus tard �ventuellement publique, le Groupe exige sa remise en libert�. Un jour, plus tard, par surprise, le Pr�sident Desmarest inaugurera peut-�tre un dispensaire contre le Sida, et visitera la "Dame", dans un pays d�mocratique.


La Dame qui �crivait au chapitre 48 de Letters from Burma (11):
"There is nothing to compare with the courage of ordinary people whose names are unknown and whose sacrifices pass unnoticed. The courage that dares without recognition, without the protection of media attention, is a courage that humbles inspire and reaffirm our faith in humanity. Such courage I have seen week after week since my release from house arrests fifteen months ago."

18
B.K. Conseil
P.S.
Ce qui suit peut sembler n'avoir aucun rapport avec le travail que l'on m'a demand�. Ce serait, de mon point de vue, une erreur d'interpr�tation.

Certains pays n'ont pas de chance, certains peuples ne sont pas entendus, pas plus que leurs souffrances. La Birmanie est victime de la sombre loi de l'indiff�rence. Depuis le 30 mai, Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix, est sous la � protection � de l�arm�e birmane. Une protection que la "Dame" n�a pas demand�e ! On l'a interpell�e apr�s des provocations polici�res qui firent de nombreux morts chez ses partisans. Depuis son transfert il y a quelques jours de la d�testable prison d�Insein � un camp militaire inconnu, personne n�a pu la voir ou lui parler. Seul l�envoy� sp�cial du Secr�taire G�n�ral des Nations Unies, Ahmed Razali, avait pu auparavant s�entretenir quelques minutes avec elle. Belle et forte, r�duite une nouvelle fois � l�isolement et au silence, combien de temps cette militante exemplaire pourra-t-elle tenir? D'�vidence, les militaires birmans, � commencer par le g�n�ral Than Shwe, effray�s par l�ampleur des manifestations de soutien � la Dame � chacun de ses d�placements en province, o� vivent de nombreuses minorit�s ethniques (Karen, Shan, Kachin, Chin, Rohingyas�), ont d�cid� de mettre un terme aux timides tentatives de r�conciliation nationale. Les militants de son parti, la Ligue Nationale pour la d�mocratie, continuent d��tre pourchass�s. Plusieurs dizaines d�entre eux ont �t� arr�t�es sans que l�on sache ni les poursuites dont ils font l�objet, ni leur lieu de d�tention. Allons-nous l'accepter? La chape de plomb semble de nouveau aussi lourde qu�aux pires moments d�une histoire d�j� bien sombre. Laisserons-nous le silence retomber?

De la France, de l'Union Europ�enne , des �tats-Unis, de nos diplomaties, nous devons exiger qu�enfin ils tiennent le langage de la v�rit� et du courage. Comment pourrions-nous continuer � nous pr�valoir des id�aux des Droits de l�Homme, nous affirmer les chantres de la d�mocratie, comment les Am�ricains pourraient-ils toujours pr�tendre faire de la libert� une valeur cardinale, quand une femme, prix Nobel de la Paix, victorieuse d�une consultation �lectorale nationale, est d�tenue sans raison et que son pays reste musel�?

Les opinions publiques occidentales et asiatiques devraient faire preuve d'une mobilisation � la mesure du drame qui se joue pour cette militante admirable et pour son peuple.

Les dirigeants de la r�gion qui, dans un acc�s d�audace remarquable, ont demand� collectivement aux autorit�s birmanes de revenir sur leur d�cision, sans condition, doivent poursuivre leurs efforts. Sans rel�che, ils doivent mettre tout en �uvre pour persuader leur voisin � et continuer � se persuader eux-m�mes - que la stabilit� et la prosp�rit� de la r�gion sont des biens collectifs menac�s � chaque fois que l�arbitraire pr�vaut. L'�poque n'est plus � l'embargo ou au boycott, � l'efficacit� limit�e, dont ne souffrent que les plus pauvres. Pourquoi les touristes qui partent admirer les splendeurs birmanes ne pourraient-ils adresser au prix Nobel de la Paix une carte de soutien? Cette technique d'Amnesty a port� des fruits ailleurs. Aux O.N.G. qui travaillent sur place, aux investisseurs �trangers, � Total, firme fran�aise devenue le plus important partenaire �conomique du Myanmar, nous lan�ons un appel � rompre le silence. L'indiff�rence ou le silence seront, un jour, consid�r�s comme coupables. Aung San Suu Kyi doit sortir de prison.

Bernard Kouchner
____________________________________________________________
(1) US government reports.2002-2003, School of industrial and labor Relations, Cornell University.
(2) D�p�che AFP dat�e du XXXX
(3) Myanmar: the politics of humanitarian aid. International Crisis Group. 2 April 2002
(4). JC Ruffin. Le pi�ge. J-C. Latt�s ed.
(5). Silence on tue. Andr� Glucksmann et Thierry Wolton. Grasset.
(6) Myanmar briefing: The HIV/Aids crisis. Bangkok/Brussels, 2 April 2002. International Crisis Group
(7) Les dossiers noirs de la Birmanie. Enqu�te d'Alan Clements. Editions Dagorno.1994
(8) Birmanie c�t� femmes. Claude Delachet-Guillon. Ed. Olizanne 2003.
(9) The Economist. April 12th 2003; P.56
(10) International Herald tribune. Wednesday, may 21,2003.
(11) Aung San Suu Kyi. Letters from Burma. Penguin Books.1997

La propagande de Total


Le Code de Conduite de Total E&P; Myanmar


Nombre de grandes entreprises ont mis par �crit dans les ann�es 90 leurs principes d'action sous la forme de Codes de Conduite. Elles suivaient en cela un mouvement initi� par l'OCDE en 1976 (D�claration sur l'investissement international et les entreprises multinationales) et par l'Organisation Internationale du Travail en 1977 (D�claration tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale). Ces textes fondateurs, et les nombreux compl�ments qui les ont suivis, ainsi que l'initiative du Secr�taire G�n�ral des Nations Unies de 1999, appel�e Global Compact ("Pacte Mondial"), font partie des r�f�rences essentielles du Code de Conduite de Total, aux c�t�s des d�clarations internationales relatives aux Droits de l'Homme.

Au-del� de son adh�sion aux principes �nonc�s par ces textes, Total tient, dans des contextes locaux parfois difficiles, � �noncer de mani�re claire les principes qui guident ses op�rations. Cette d�marche joue un r�le f�d�rateur interne, en faisant partager � des personnels d'origines et de cultures diverses un tronc commun de valeurs ; par ailleurs elle clarifie pour les partenaires ext�rieurs les normes sur la base desquelles le Groupe entend sans concession conduire ses relations avec eux.

Le Code de Conduite d'un groupe pr�sent dans plus de 100 pays o� il exerce des activit�s tr�s vari�es repose sur l'�nonc� de principes g�n�raux, qui doivent �tre d�clin�s et pr�cis�s en fonction des r�alit�s locales. Ainsi la filiale birmane de Total, Total E&P; Myanmar, a mis en place d�s 1995 un Code de Conduite pour guider ses op�rations et celles de ses sous-traitants. Ce document est r�guli�rement mis � jour � la lumi�re de l'exp�rience de la filiale.

Ce texte est � la fois une d�claration de principe qui a servi de guide pour l'action de Total op�rateur du projet Yadana, et un document de port�e juridique puisqu'il est annex� � tous les contrats de sous-traitance conclus avec les entreprises associ�es � ce projet et fait donc partie de leurs engagements. Son application est contr�l�e.

Les principes �nonc�s recouvrent trois domaines :
1. Respecter des r�gles �thiques �lev�es dans les pratiques de travail.
2. �tablir un climat de compr�hension mutuelle avec les communaut�s riveraines du projet
3. Contribuer au d�veloppement du bien-�tre de la population locale


Avec le temps, le Code de Conduite de Total E&P; Myanmar a �volu�, il s'est enrichi � la lumi�re de l'exp�rience acquise et ses formulations ont �t� pr�cis�es pour bien montrer la volont� de faire face aux probl�mes rencontr�s. Le texte du Code de Conduite en vigueur en 2003 (disponible en anglais et en birman) apporte les compl�ments suivants par rapport � la version de 1995 :

Des engagements pr�cis en mati�re d'environnement (en 1995 le Code de Conduite local renvoyait sur ce point � la Charte S�curit� - Environnement du Groupe),
Une d�finition plus nuanc�e des rapports avec les communaut�s locales, associant le respect de leur identit� culturelle, le souci de ne pas leur nuire et de compenser �quitablement les effets n�gatifs que les op�rations de la soci�t� pourraient avoir sur elles, et l'absence d'ing�rence dans le domaine politique,
L'incorporation des priorit�s du programme socio-�conomique (sant�, �ducation, d�veloppement �conomique, infrastructures) dans les principes du Code de Conduite,
L'engagement explicite de faire respecter dans la zone d'op�ration de la soci�t� les principes universels relatifs aux Droits de l'Homme et d'interdire le travail forc�.

Total explique sa pr�sence en Birmanie


La pr�sence de Total au Myanmar soul�ve de nombreuses controverses. Voici un pays dont le Parlement Europ�en d�nonce � la situation politique d�sastreuse �* et que l�Organisation Internationale du Travail critique r�guli�rement pour sa pratique du travail forc�. Un certain nombre d�entreprises occidentales ont quitt� la Birmanie sous la pression d�organisations militantes. Que va donc y faire Total, comment cette Compagnie s�y est-elle comport�e et pourquoi y reste-t-elle ?

La carte des gisements d�hydrocarbures dans le monde ne co�ncide pas avec celle des r�gimes d�mocratiques. Aussi les groupes p�troliers sont-ils souvent interpell�s par la soci�t� civile qui les interroge sur leurs m�thodes de travail dans des pays difficiles, sur leurs rapports avec les pouvoirs en place, sur les mesures de s�curit� visant � prot�ger leurs installations et sur l�emploi fait par les �tats h�tes de leurs recettes p�troli�res.

Partout o� le Groupe est pr�sent, il a pour objectif de r�aliser des projets �conomiques rentables dans le respect des lois locales et internationales applicables, et en conformit� avec son propre Code de Conduite. Total n�a pas attendu d��tre associ� depuis 2002 � l�initiative lanc�e par le Secr�taire G�n�ral de l�ONU, le Global Compact (Pacte Mondial), pour se comporter en citoyen du monde, et l�entreprise souhaite contribuer au d�veloppement �conomique et social et � la protection de l�environnement dans tous les pays o� elle se trouve.

Diverses accusations ont �t� port�es contre Total, mettant en cause la l�gitimit� de sa pr�sence au Myanmar et ses mani�res d�agir. Le pr�sent site offre un historique de cette pr�sence et d�crit les diff�rentes actions men�es sur place. Son ambition n�est pas tant de r�pondre � des critiques injustes que de replacer le d�bat sur son v�ritable terrain : une multinationale responsable peut-elle contribuer de mani�re positive � l��volution �conomique et sociale d'un pays soumis � de fortes tensions internes ?

La charte �thique de Total


Total a la volont� d�appuyer son d�veloppement sur un ensemble de valeurs et de principes qui affirment clairement son engagement �thique et sa responsabilit� dans tous ses domaines d�activit�.

La responsabilit� de Total s�exerce notamment vis-�-vis de :
� Ses actionnaires, avec pour objectif d�assurer la bonne rentabilit� de leur investissement et la fourniture r�guli�re d�une information transparente et compl�te
� Ses clients, auxquels il s�engage � fournir des produits et services de qualit�, dans le strict respect des normes de s�curit� et d�impact sur l�environnement � Ses collaborateurs. Total est attentif au d�veloppement de leurs comp�tences ainsi qu�� leurs conditions de travail, notamment en ce qui concerne leur s�curit� et la protection de leur sant�
� Ses fournisseurs et associ�s, dans la clart� et le respect des termes contractuels souscrits.
Total attend d�eux qu�ils respectent les principes d�action et de comportement de son Code de conduite
� La soci�t� civile. Total participe au d�veloppement �conomique et social des pays dans lesquels il
travaille et dont il respecte les lois et r�glements. Total est attentif � la pr�servation de
l�environnement et veille � ne pas porter atteinte aux cultures locales.
D�une mani�re g�n�rale, Total adh�re :
_ Aux principes de la D�claration Universelle des Droits de l�Homme de 1948
_ Aux principes de l�Organisation Internationale du Travail
_ Aux principes directeurs de l�OCDE � l�intention des entreprises multinationales.

Il respecte les r�gles de la libre concurrence et rejette la corruption sous toutes ses formes.
Il n�intervient pas dans la vie politique des pays o� il travaille.
Il inscrit sa d�marche active de protection de l�environnement dans une politique transparente de d�veloppement durable.
Total attend de ses collaborateurs qu�ils contribuent positivement � sa d�marche �thique, dont ils sont les vecteurs au quotidien. Il leur demande donc de respecter les valeurs et principes du Code de conduite et en particulier :
� De se conformer strictement aux lois et r�glements applicables
� D�appliquer avec rigueur les r�gles �dict�es en mati�re de protection de la sant�, de s�curit� et de pr�servation de l�environnement
� D��tablir des rapports clairs et honn�tes avec clients, fournisseurs et associ�s
� De respecter la confidentialit� des informations professionnelles
� D��tre loyaux et int�gres � l��gard de Total en �vitant les situations de conflits d�int�r�ts ou de d�lit d�initi�
� De ne pas intervenir dans la vie politique des pays o� ils n�ont pas de droits civiques
� D��tre attentifs � la qualit� des relations humaines au sein des �quipes de travail.

La r�alit� en Birmanie et les actions de Total dans ce pays


LES VIOLATIONS DES DROITS DE L�HOMME LIEES AU GAZODUC

(extraits du rapport de la F�d�ration Internationale des Droits de l�Homme 1996)

Les violations des droits de l�Homme se sont accrues de fa�on notable dans la r�gion du gazoduc depuis la mise en �uvre du projet et l�am�nagement de la zone, contrairement aux d�clarations officielles des responsables de TOTAL et d�UNOCAL. De nombreuses enqu�tes par des organisations nationales et internationales de droits de l�Homme �tablissent le lien entre la d�t�rioration de la situation des droits de l�Homme dans la r�gion et les activit�s li�es au gisement gazier. En 1994, le repr�sentant du HCR en Tha�lande, M. Von Arnim, indiquait qu�"il est vraisemblable que le travail forc� sera utilis� sur le pipe-line". Le Rapporteur sp�cial de l�ONU sur la Birmanie, Yozo Yokota, a, dans son rapport de 1995, mis l�accent sur le lien entre violations de droits de l�Homme et les investissements �trangers : "Les travaux forc�s, les d�placements forc�s, les ex�cutions sommaires, les coups, les viols et les expropriations sans indemnit�s perp�tr�s par le SLORC sont plus fr�quents dans les zones frontali�res o� son arm�e est engag�e dans des op�rations militaires ou dans des projets de d�veloppement r�gional" [ Y. Yokota, Situation des droits de l'homme au Myanmar, E/CN.4/1995/6. Nous soulignons. (M. Yokota a �t� remplac� en juin 1996 par M. Lallah).] . De m�me, en mars 1995, le charg� de mission sur la Birmanie au sein du D�partement d��tat am�ricain, John Lyle, a reconnu que "des t�moignages r�currents, et indiscutablement exacts, sur les violations des droits de l�Homme" proviennent de la r�gion du gazoduc [ Cit� in "UNOCAL condemns Burma army violence to defend gas pipeline", Bangkok Post, 29.03.1995.] . Il devient donc difficile d�argumenter, comme le fait TOTAL, que les all�gations de violations des droits de l�Homme caus�es par le chantier sont le fait d�opposants (�tudiants, groupes ethniques rebelles...) qui ont un int�r�t politique � attaquer TOTAL et la junte, et qui se servent donc de la propagande pour "continuer la lutte contre le SLORC par d�autres moyens" [ Entretien FIDH, 24.09.1996 et entretien avec Amnesty International, 13.05.1996.] .

Plus pr�cis�ment, outre les sources locales d�information, des repr�sentants de plusieurs organisations de d�fense des droits de l�Homme, tout comme des journalistes, ont pu interviewer les r�fugi�s arriv�s dans les camps en Tha�lande depuis le d�but des op�rations li�es au projet Yadana ; les interviews confirment que les violences et exactions � l�encontre de la population civile ont atteint de nouveaux sommets depuis le d�but de ces op�rations, et que ces exactions sont le plus souvent la cause de leur d�part [ Interviews men�es par Earth Rights International et Southeast Asian Information Network, cit�es in Total Denial, p. 22 sq., par KHRG, et par d'autres sources.] .

Rappelons que, �tant donn�e la loi martiale en vigueur en Birmanie, il n�y a pas de recours l�gal pour les victimes de violations, et que les observateurs ind�pendants ne sont pas autoris�s � entrer en Birmanie ou sur les sites du chantier.

Les violations massives des droits de l�Homme li�es au chantier de TOTAL et qui ont pu �tre v�rifi�es dans le cadre du pr�sent rapport peuvent �tre class�es en deux cat�gories :

� L�accord pass� avec le SLORC oblige celui-ci � garantir la s�curit� des zones travers�es par le gazoduc, mais qui sont ethniquement diverses et en proie � des mouvements de r�bellion. La s�curit� de la r�gion passe donc par une militarisation � outrance, qui se traduit par : - des d�placements de population

- du travail forc� (construction de camps militaires, de routes pour y acc�der...)

- d�autres violations des droits de l�Homme (violations du droit � la vie, tortures, etc...),

- une pacification ethnique (donc des offensives contre les rebelles, des repr�sailles contre les populations civiles, etc...).

Cette clause de s�curit� est la cause majeure des violations des droits de l�Homme contre la population civile locale.

� Le projet de gazoduc lui-m�me a n�cessit� un am�nagement de la zone. S�il est vrai que la construction du gros des infrastructures (installations portuaires, h�liports, routes, etc...) rel�ve de la responsabilit� de TOTAL, l�am�nagement pr�liminaire de la zone de construction a �t� effectu� par les troupes du SLORC, tout comme ont �t� construites sous sa responsabilit� des infrastructures n�cessaires � l�arm�e, et qui ont entra�n�

- des d�placements de population

- du travail forc�

- des violences diverses (tortures, viols, extorsions de fonds...)

Les violations sont massives et syst�matiques. L�impunit� absolue dont b�n�ficient les auteurs des exactions, not�e par Y. Yokota [ E/CN.4/1995/6, 1, � 230.] , renforce encore davantage le climat de violence syst�matique. Le fait que les troupes du SLORC soient les premi�res mises en cause dans ces violations n�exon�re pas pour autant les responsables de TOTAL et d�UNOCAL. Le chantier du gazoduc est � tout le moins l'occasion de violations massives des droits de l�Homme, perp�tr�es par le SLORC, et qui sont connues, v�rifi�es, commises sur le site du chantier et ses alentours, et de son fait.

A. Militarisation

Durant le r�gne du BSPP, le territoire de la Birmanie fut d�coup� en trois grandes cat�gories, selon le degr� de contr�le par l�arm�e - classification reprise par le SLORC :

- zones noires, ou free fire zones : zones sous contr�le de l�opposition.

- zones brunes : zones qui ne sont sous contr�le ni du SLORC ni de l�opposition.

- zones blanches : zones sous contr�le du SLORC.

Le gazoduc traversera des zones des trois cat�gories, et il est rapidement apparu aux partenaires du projet que celui-ci ne pouvait progresser de fa�on satisfaisante qu�� condition que la r�gion sur tout le trac� du gazoduc soit parfaitement contr�l�e par le SLORC et devienne zone blanche. Sans cela, le gazoduc risquait de subir non seulement des dommages collat�raux aux combats entre les troupes du SLORC et les groupes arm�s, mais encore des attaques directes - ce qui a effectivement eu lieu. En confiant au SLORC la responsabilit� de garantir la s�curit� du projet, le contrat autorise donc une consolidation de la pr�sence militaire dans la r�gion, tout en la l�gitimant. De fait, l�arm�e a progressivement augment� sa pr�sence dans la r�gion. En 1990, il y avait environ 5 bataillons situ�s dans la r�gion du gazoduc [ "Cease-fire agreement to ease repatriation of Mon refugees", in Bangkok Post, 01.07.1995.] ; en mai 1996, au moins 12 bataillons (peut-�tre m�me 15) y avaient �t� d�ploy�s. Quatre Bataillons d�Infanterie L�g�re (BIL 273, 408, 409, 410) sont affect�s exclusivement � la protection du gazoduc, soit pr�s de 3000 hommes. Au total, environ 10.000 hommes sont charg�s de la s�curit� du gazoduc, selon les estimations. Ce chiffre n�inclut pas les unit�s de renseignements, les forces de police ou forces sp�ciales que le SLORC a dispers�es dans toute la r�gion.

En d�cembre 1994, le SLORC a lanc� une vaste op�ration militaire, l�Op�ration

Natmin, qui avait deux objectifs principaux :

- garantir la s�curit� du gazoduc

- �liminer les forces de r�sistance

Lorsque l�Op�ration Natmin prit fin en juillet 1995, des milliers de civils avaient �t� d�plac�s de force et de multiples offensives arm�es avaient �t� men�es contre des groupes arm�s ethniques. Des milliers de personnes avaient �galement fui la r�gion du Tenasserim vers la fronti�re tha�e.

Une autre offensive militaire a �t� lanc�e par le Tatmadaw dans la r�gion de Nat Ein Taung, point de jonction du gazoduc avec la Tha�lande, en f�vrier 1995. C�est � l�occasion de cette offensive que TOTAL aurait pr�t� un h�licopt�re au colonel Zaw Tun (cf. supra., p. 20).

Rappelons que si le NMSP a sign� un accord de cessez-le-feu avec le Tatmadaw en juin 1995, le KNU poursuit ses offensives contre l�arm�e birmane dans la division du Tenasserim. Les pourparlers de paix engag�s entre le SLORC et le KNU se sont jusqu�� pr�sent sold�s par des �checs. De fa�on plus insidieuse, le SLORC soutient militairement une faction dissidente du KNU, la DKBA, qui, depuis quelques mois intensifie sa campagne contre les r�fugi�s karens install�s � la fronti�re tha�e, le long de la Moei, afin de les contraindre � regagner les zones tenues par le SLORC [ Bangkok Post, 25.08.1996 et Thailand Times, 26.08.1996.] .

Le gazoduc sert donc directement :

i) � la perp�tuation et � l�amplification des affrontements entre l�arm�e et les groupes rebelles arm�s. L�argument, plusieurs fois r�p�t�, de TOTAL et d�UNOCAL consiste � dire que les affrontements avaient d�j� commenc� avant le gazoduc d�une part, et qu�il n�y aurait nul besoin d�arm�e si les groupes rebelles arm�s n�attaquaient pas le gazoduc. John Imle, pr�sident d�UNOCAL, reconna�t par exemple directement que "si le gazoduc est menac�, la pr�sence de l�arm�e va �tre renforc�e (...). A chaque menace sur le gazoduc il y a aura une r�action" [ Entretien avec des opposants au gazoduc, 04.01.1995.] . M. Valot, de TOTAL, pr�cise : "Que Messieurs les Karens commencent !", s�ils ne veulent plus de militaires dans la r�gion [ Entretien FIDH 24.09.1996. Cf. aussi Herv� Madeo, repr�sentant de TOTAL, dans son interview avec David Brunnstrom, "TOTAL's Burma gas venture may cost US$ 1 billion", in Reuter's Financial Report, Energy News, 16.10.1992.] . Or, c�est l� une explication insuffisante, dans la mesure o� le pipe-line traverse des r�gions qui �taient jusque-l� sous contr�le des groupes rebelles, et qui ont toujours �t� habit�es par ces populations indig�nes ; ces derni�res n�ont jamais �t� consult�es sur le bien-fond� du pipe-line, et TOTAL et UNOCAL ont toujours refus� tout contact avec eux. Dans les termes du Australian Council for Overseas Aid, "la question des droits des peuples indig�nes est clairement d�actualit� dans les all�gations au sujet du pipe-line. Des compagnies qui op�rent � proximit� d�un vaste projet utilisant le travail forc�, tel que le chemin de fer Ye-Tavoy, qui mettent en �uvre un projet d�une grande ampleur sans la permission des communaut�s indig�nes locales, pr�tent le flanc � (...) de graves critiques" [ ACFOA, Slave Labour in Burma, mai 1996.] .

ii) tout comme il sert � la perp�tuation et la recrudescence des violations contre la population par l�arm�e. Cette militarisation intensive de la r�gion du gazoduc a en effet eu un impact n�gatif sur la population de la r�gion, car outre le d�s�quilibre qu�elle entra�ne, elle a signifi� toutes sortes d�abus � l��gard de la population, notamment par des d�placements forc�s de villages et l�utilisation syst�matique de travail forc� pour la construction de casernes militaires et de projets li�s au pipe-line (cf. infra., p. 33 sq.). John Imle, pr�sident d�UNOCAL, a reconnu que la pr�sence militaire signifiait un accroissement des violations des droits de l�Homme, et notamment du travail forc� : "Si travail forc� et arm�e vont de pair, alors oui, il y aura plus de travail forc�" [ Entretien avec des opposants au gazoduc, 04.01.1995.] . Un repr�sentant d�UNOCAL a de m�me condamn� l�usage de la violence contre des civils par les troupes charg�es de la s�curit� du gazoduc - reconnaissant par l� m�me implicitement l�existence d�une telle violence [ "UNOCAL condemns Burma army violence to defend gas pipeline", Bangkok Post, 29.03.1995.] .

Dans la mesure o� les dirigeants des entreprises concern�es reconnaissent non seulement que le chantier n�cessite un accroissement de la pr�sence militaire dans la r�gion, mais encore, que cet accroissement a des implications directes quant aux violations des droits de l�Homme dont se rend coupable le Tatmadaw, et quant au conflit avec les groupes rebelles, il en d�coule :

- d�une part, que les dirigeants reconnaissent que le chantier est la cause d�une pr�sence militaire accrue dont l�impact sur la population est clairement n�gatif.

- d�autre part, que le chantier a des implications politiques, dans la mesure o� il intensifie et l�gitime le combat avec les rebelles. Une fois encore, l�affirmation des dirigeants de TOTAL - "nous ne sommes pas un acteur politique" [ Entretien FIDH, 24.09.1996.] - et de ceux d�UNOCAL - "nous sommes apolitiques" [ Interview de M. Stegemeier, repr�sentant d'UNOCAL, cit� in "Protesters crash UNOCAL meeting", Houston Chronicle, 23.05.1995.] - n�est pas tenable.

1. Attaques contre le projet

C�est bien aussi comme un projet � dimension politique que le per�oivent les opposants rebelles : trois attaques au moins ont eu lieu contre le gazoduc.

La FIDH tient � signaler ici qu�elle condamne le recours � la force arm�e, de quelque c�t� qu�elle provienne.

Mars 1995

Le 8 mars 1995, trois camions quittent la base de TOTAL � Kanbauk en direction d�Ohnbinkwin. Le premier camion, qui transporte des civils, n�est pas vis�. Les deux camions suivants transportent des soldats du SLORC, arm�s, ainsi que des civils. Un soldat du KNLA envoie un tir de lance-roquette de 62 mm sur le second camion, et un tir de mortier de 79 mm sur le troisi�me, ce qui est suivi de tirs de fusils d�assaut M16 et AK-47. Cinq personnes sont tu�es et 11 personnes au moins bless�es lors de cette attaque [ Source : interview ERI avec un officier du KNU, et avec des sources proches de l'attaque, cit� in Total Denial, p. 15.] . Depuis, le KNU a d�clar� que l�attaque du 8 mars 1995 n��tait pas une offensive pr�par�e mais plut�t une proc�dure militaire classique lorsque les troupes du SLORC d�bordent sur le territoire contr�l� par le KNU - les camions de TOTAL furent donc consid�r�s comme des objectifs militaires l�gitimes, et non un convoi civil. � la suite de cette attaque, les troupes du BIL 408 auraient exig� une somme de 100.000 kyats aux villages alentour, soi-disant pour compenser les pertes subies par l�arm�e lors de l�attaque [ KHRG, Conditions in the Gas Pipeline Area, n� 95-27, 01.08.1995 et Mon Information Service Bangkok, mai 1996.] .

TOTAL a reconnu cette attaque, mais a toutefois gard� un silence remarqu� autour de cette affaire, � la suite de laquelle l�entreprise a engag� les consultants en s�curit�.

D�cembre 1995

La seconde attaque aurait eu lieu � Ohnbinkwin � la mi-d�cembre 1995. Des villageois arm�s auraient tent� d�atteindre le camp de TOTAL avec un tir de mortier de 107 mm, qui aurait manqu� le camp ; son explosion n�est pas confirm�e. � la suite de l�attaque, le SLORC aurait pr�venu les chefs des villages alentour qu�il y aurait des repr�sailles si des coups de feu �taient entendus dans leur village ou � proximit� : "Votre village sera r�duit en poussi�res" [ Interview ERI, cit� in Total Denial , p. 16.] , menace qui, au vu des pratiques communes du SLORC dans la r�gion, n�est certainement pas � prendre � la l�g�re.

F�vrier 1996

Le 2 f�vrier 1996, un groupe arm� non identifi� lance une attaque contre le camp de TOTAL � Ohnbinkwin. Trois tirs de roquette de 107 mm sont lanc�s depuis Kyauk Than Ma Ni Pagoda Hill, entre Kanbauk et Pyin Gyi. L�un des tirs touche l�h�liport de TOTAL, sans toutefois exploser ; l�autre atteint le b�timent qui loge les employ�s de TOTAL, et explose ; le troisi�me atteint la rivi�re de Lan Bar, et explose. Il y aurait eu six bless�s parmi les employ�s - des informations non confirm�es font �tat de quatre morts.

TOTAL a toujours ni� que ces deux derni�res attaques aient eu lieu. J. Daniel insiste en effet sur le fait qu�il est "absolument s�r qu�aucune attaque n�a eu lieu dans la r�gion depuis le 8 mars [1995]" [ Interview avec The Nation, 25.12.1995.] - remarquons toutefois que dans sa lettre du 19 juillet 1996 � A. Johannsen, directeur du Danish Burma Committee, J. Daniel ne conteste pas la r�alit� des attaques elles-m�mes, mais nie uniquement qu�elles aient occasionn� des victimes.

2. Repr�sailles

Elles ne se sont pas fait attendre. Trois jours apr�s l�attaque de f�vrier 1996, les BIL 273 et 403 sont entr�s dans le village de Shin Byn, � proximit� de Kyauk Than Ma Ni Pagoda Hill. Les soldats saisirent Saw Kyi Lwin, le chef de village, qui fut accus� de collaboration avec la KNLA, interrog� et tortur�. Il fut ensuite ex�cut� par les troupes du SLORC. � la suite de la mort de Saw Kyi Lwin, les troupes du SLORC se sont dirig�es vers le village de Ein Da Ya Za et y arr�t�rent 12 villageois pour les emmener � Migyaunglaung, o� quatre d�entre eux furent ensuite ex�cut�s. Le Major Ko, du BIL 403, est tenu responsable de ces ex�cutions. Six autres hommes furent amen�s au camp du BIL 403 et abattus. Les deux autres hommes furent arr�t�s et emprisonn�s, et l�on ne conna�t pas leur sort.

Il a �t� confirm� par des sources ind�pendantes que ces 12 personnes n��taient pas li�es � la KNLA, ni � l�attaque du 7 f�vrier, et qu�il s�agit par cons�quent de repr�sailles visant arbitrairement la population civile.

B. D�placements de population

Que ce soit pour assurer la s�curit� de la r�gion, ou pour d�blayer la zone en vue de la construction des infrastructures n�cessaires au gazoduc, les troupes du SLORC ont proc�d� � des d�placements massifs de population dans toute la r�gion du Tenasserim. Ces d�placements ont lieu sous deux formes :

- directement, par l�expulsion forc�e de villages, afin de d�gager la voie du gazoduc et de r�duire la menace des groupes arm�s et de leurs soutiens dans les zones insoumises ; ces �victions forc�es s�accompagnent g�n�ralement de violences contre la population civile (tortures, viols...), ainsi que du pillage et de l�incendie des maisons vid�es.

- indirectement, par l�exode de villageois fuyant par peur pour leur s�curit� ou par crainte du travail forc�, ainsi que des "taxes" exorbitantes impos�es ill�galement par les troupes du SLORC. Ce fut notamment le cas en mars 1995 de Me Daw et Wah Gyun, deux villages M�ns, harcel�s par le BIL 408 [ KHRG, n� 95-27, ao�t 1995.] . Des milliers de r�fugi�s sont ainsi arriv�s en Tha�lande en provenance de la r�gion. Dans un cas au moins, un village a �t� repeupl� par des "habitants" plus favorables aux politiques du SLORC.

1. D�placements de villages

� Au total, pr�s de 30.000 personnes (M�ns, Karens, ou Tavoyannes) de plus de 50 villages dans les districts de Ye Byu, Thayet Chaung et Tavoy (division du Tenasserim) ont ainsi �t� d�plac�es de force depuis le d�but de 1991 [ Sources : Mon Information Service Bangkok, mai 1996 ; NCGUB, mai 1995.] .

� Plusieurs sources fiables indiquent que les habitants du village de Migyaunglaung, situ� � proximit� imm�diate du gazoduc, ont �t� expuls�s d�s 1992 [ Cf. entre autres Total Denial, p. 42, interviews avec des r�fugi�s de Migyaunglaung � la fronti�re, KHRG n�95-27, ao�t 1995, KNU, Report the Facts... ., 1996.] ; rappelons que c�est l� l�un des 13 villages dans lesquels TOTAL a mis en place un comit� de communication, et qui, selon ses dires, sont demeur�s inchang�s depuis la signature du contrat [ Cf. lettre au Dansih Burma Committee, 19.07.1996 et interview avec Lib�ration, 03.09.1996.] .

� En 1991, le BIL 407 a d�plac� de force des villages Karens dans le district de Ye Byu, notamment les villages de Laukthaing, Ateh Ya Pu, Pawlaw Gone. Les habitants ont �t� dispers�s ou se sont r�fugi�s en Tha�lande.

� En 1992, le village de Shin Ta Pi (district du Ye Byu) a �t� d�plac� de force. Environ deux mois avant la signature du contrat, le commandant du BIL 408 a ordonn� au chef du village de vider celui-ci de tous ses habitants pour aller dans le village de Nam Gaeh, � environ 8 km de l�. Le d�lai imparti �tait d�un mois, et au moins 56 familles (environ 250 � 300 personnes) ont d� quitter leur foyer [ Total Denial , p. 42.] .

� Durant la saison s�che de 1992/93, le BIL 403 et d�autres unit�s locales ont d�plac� 10 villages dans le district de Tavoy, soit un total de 732 foyers et environ 4000 personnes ; en avril 1992, au cours d�une op�ration militaire, les bataillons locaux de l�arm�e ont d�plac� 19 villages dans le district de Thayet Chaubg, soit un total de plus de 2400 foyers, et plus de 13.000 personnes [ Committee for Publicity of People's Struggle in Monland, Newsletter , n� 3, oct. 1994, p. 10.] .

� En 1993-94, alors que d�marrait la construction du chemin de fer de Ye-Tavoy, le village Karen de Nwelein a �t� d�plac� de force par le BIL 408, officiellement parce que le village se situait sur la ligne du chemin de fer.

� Les d�placements de populations se poursuivent dans l��tat M�n et la division du Tenasserim [ Cf. interview de U Maung Maung, secr�taire du FTUB, � IRRC, Unocal Corporate Activity in Burma , p. 9.] . Des travailleurs dans les camps de r�fugi�s � la fronti�re tha�e rapportent qu�il continuait en 1995 � arriver deux � trois familles par semaine en provenance de la r�gion [ Human Rights Watch, Entrenchment or Reform? , juillet 1995, p. 15 et ACFOA, Slave Labour in Burma, mai 1996, p. 24.] . Depuis f�vrier 1996, des centaines de personnes ont fui les exactions commises en permanence par l�arm�e et ont trouv� refuge dans les zones de l��tat M�n sous contr�le du NMSP [ Amnesty International, Myanmar - Human Rights Violations against ethnic Minorities, 08.08 1996.] .

De plus, les contradictions publiques des partenaires du projet Yadana au sujet des d�placements de population incitent pour le moins au doute sur les affirmations de TOTAL. Ainsi, le Electricity Generating Authority of Thailand (EGAT), op�ratrice de la centrale �lectrique charg�e de convertir le gaz de Yadana en �lectricit�, a reconnu publiquement que la construction du gazoduc n�cessitait le d�placement de villages. Une page de publicit� publi�e dans le Bangkok Post du 17 avril 1995, pay�e par l�EGAT, confirme ainsi :


"Le gouvernement de Myanmar pr�voit de compl�ter sa partie du gazoduc en 1996. Le gazoduc traversera des villages Karens dans le district du Laydoozoo, la province du Mergui-Tavoy, et dans des villages M�ns de la province Ye-Tavoy. La Birmanie a r�cemment d�gag� la voie en d�pla�ant 11 villages Karens qui faisaient obstruction au passage du projet de d�veloppement de ressources en gaz" [ Somsak Kardlap, "Myanmar gas for Ratchburi power plant : the good impact on Salween dam", in Bangkok Post , 17.04.1995. Nous soulignons.] .

Cette affirmation s�explique selon TOTAL par une "sottise du journaliste" [ Entretien FIDH, 24.09.1996.] . Explication qui laisse pantois, car il est somme toute difficile de croire que la cha�ne des "sottises" ou n�gligences ait �t� telle que le journaliste lui-m�me se soit tromp� et n�ait proc�d� � aucune v�rification des sources, et surtout, que les responsables de l�EGAT aient laiss� passer une telle n�gligence dans la relecture et l�approbation de l�article, en particulier au vu de la sensibilit� extr�me du dossier.

TOTAL nie donc que des d�placements de population aient eu lieu, et affirme que "la zone est tr�s peu peupl�e (...). Aucun d�placement de population ne devrait avoir lieu sur le trac� du gazoduc" [ Joseph Daniel, lettre au pr�sident de l'IRRC, 25.03.1994. De m�me, UNOCAL d�clare que "depuis la signature du contrat (...) en 1992, aucun village n'a �t� d�plac� dans la r�gion du gazoduc (...), et qui plus est, nous nous opposerions � tout d�placement entrepris pour le b�n�fice du projet". The Yadana Project , nov. 1995 .] . TOTAL affirme de m�me � propos des d�placements de villages ant�rieurs � la signature du contrat, mais en vue de celui-ci, qu�ils n�ont rien � voir avec le chantier, car "en 1992 personne ne savait o� le gazoduc allait finalement �tre pos�, et jusqu�en mars 1993 le trac� le plus probable passait par le Passage des trois Pagodes, tr�s au nord par rapport au trac� actuel. Si des d�placements forc�s ont eu lieu dans la r�gion avant 1992, cela ne peut �tre li� � notre projet" [ Lettre de Joseph Daniel au Danish Burma Committee , 19.07.1996.] . Or, c�est l� une explication insuffisante car :

- Le trac� retenu traverse les vall�es des rivi�res Tavoy et Zin Ba, et �tait en fait le plus vraisemblable, au vu de la g�ographie et de la topographie de la r�gion. Plusieurs observateurs avaient pr�vu le trac� plus d�un an et demi avant la signature du contrat [ Par exemple l'association Green November 32, bas�e � Bangkok.] , et TOTAL reconna�t d�ailleurs que "parmi plusieurs trac�s envisageables, les experts se sont prononc�s de mani�re unanime" [ Brochure TOTAL, Le Projet Yadana, juillet 1996, p. 8.] .

- C�est un fait av�r� que les autorit�s tha�es ont d�plac� plusieurs fois les camps de r�fugi�s birmans � la fronti�re, en fonction du point de jonction pr�vu du gazoduc avec la Tha�lande [ Cf. par exemple Bangkok Post, 11.09.1993 et 29.09.1993.] . Il appara�t que les autorit�s birmanes ont proc�d� de m�me � l�int�rieur du pays, d�pla�ant par anticipation des villages en fonction du trac� pr�visible : plusieurs sources indiquent que les villages dans la zone occidentale du gazoduc ont �t� d�plac�s d�s la fin de 1991 (cf. supra., p. 30). Les d�placements de population sont donc bien li�s au projet du gazoduc, contrairement aux affirmations de TOTAL.

- Selon la loi birmane, toutes les terres appartiennent � l��tat ; TOTAL n�a donc pas autorit� pour proc�der � l�expropriation des terres, et doit donc passer par le SLORC, sur lequel il n�a aucun moyen de contr�le, pour r�cup�rer les terres concern�es.

- Enfin, si le souci de TOTAL d�infliger le moins de dommages possibles � la population �tait v�ridique, la question se pose de savoir pourquoi le trac� choisi ne fut pas celui qui passe au Sud, par Point Victoria, avant de remonter au Nord en Tha�lande, et qui aurait permis d��viter le passage on-shore en Birmanie. La Banque Mondiale avait d�ailleurs d�s 1991 conseill� au PTT-EP, qui s�int�ressait alors au projet de Yadana, de d�tourner le trac� du gazoduc hors de la zone de conflit entre les forces du SLORC et les Karens [ IRRC, Unocal Corporate Activity in Burma , p. 7.] . L�augmentation des co�ts qu�une telle d�viation aurait entra�n�e a vraisemblablement jou� un r�le d�cisif dans le choix de TOTAL [ C'est d'ailleurs ce qu'indique indirectement la suite de l'article sus-nomm� de l'EGAT du 17.04.1995.] .

- TOTAL affirmant que les images satellite de 1991/1992 et 1996 montrent que les villages directement concern�s n�ont pas �t� d�plac�s [ Entretien FIDH, 24.09.1996.] , on ne peut d�s lors que regretter que l�entreprise n�ait pas rendu ces documents publics, s�il est vrai qu�ils d�mentent de fa�on nette des all�gations formul�es depuis plusieurs ann�es.

En tout �tat de cause, il convient donc de noter d�une part que ces d�placements de population ont commenc� durant la p�riode de n�gociation du contrat (quoiqu�en pr�vision de celui-ci), ce qui permet aux responsables de TOTAL de s�exempter de toute responsabilit� en pr�tendant qu�il n�y avait pas eu de d�placements depuis juillet 1992, date de la signature de l�accord, d�autre part que cette affirmation elle-m�me est fausse, puisque des t�moignages fiables font �tat de d�placements apr�s cette date ; enfin, que si TOTAL peut affirmer que les 13 villages situ�s � proximit� imm�diate du pipe-line n�ont pas �t� d�plac�s, les villages affect�s se situent dans une zone plus large aux alentours (environ 50 km), per�us par les troupes du SLORC comme une menace au pipe-line car pouvant abriter des groupes d�opposition.

2. Expropriations

Ajoutons � ces pratiques celle d�expropriations et de confiscation de terres cultivables, qui entra�nent souvent � leur suite l�exode des villageois.

Parmi les villages dans lesquels ont eu lieu des expropriations, et de fa�on non exhaustive : Hpaungdaw, Kaugma, Ohnbinkwin (site du camp de base de TOTAL), Heinze, Kanbauk, Thingan Nyinaung, Kaunghmu, Tchechaung, Tchebutchaung, Thingandaw, Kyonkani.

Ces expropriations ont lieu - soit parce que les terres se trouvaient sur le trac� du gazoduc,

- soit parce que les terres g�naient la construction de camps militaires (cas d�Ohnbinkwin, o� les confiscations ont �t� n�cessit�es par la construction du QG du BIL 273, charg� de la s�curit� du camp de TOTAL).

Il appara�t que l�indemnisation financi�re promise est dans de tr�s nombreux cas confisqu�e par les troupes locales du SLORC. TOTAL explique que "quant aux expropriations, les paysans concern�s ont tous �t� largement indemnis�s, touchant un pactole comme ils n�en avaient jamais vu avant. Beaucoup vont ensuite tout reverser � la pagode, mais que voulez-vous, chacun est libre de faire ce qu�il veut avec son argent" [ Idem.] - explication qui l� encore n�est pas enti�rement satisfaisante au vu des pratiques av�r�es du SLORC en mati�re d�extorsion financi�re, et que TOTAL ne peut ignorer.

C. Travail forc�

�Le travail volontaire est une tradition profond�ment enracin�e dans la culture du Myanmar (...). Dans mon pays le travail volontaire pour le bien de tous n'est pas consid�r� comme du travail forc�, ce n'est pas une violation des droits de l'Homme� [ D�claration de U Win Mra, repr�sentant de la d�l�gation g�n�rale de l'Union du Myanmar lors de la 49e session de l'Assembl�e G�n�rale des Nations Unies, nov. 1994.] .

Sous la f�rule du SLORC, deux formes de travail forc� coexistent en Birmanie :

- Construction d'infrastructures : l'argument utilis� par le SLORC consiste � dire que les infrastructures - telles que routes et voies ferr�es - ainsi mises en place auront � terme pour cons�quence l'am�lioration du niveau de vie de l'ensemble de la population. Le SLORC va jusqu'� publier dans la presse officielle le nombre de travailleurs qui �contribuent volontairement� � l�am�nagement d'infrastructures. Les seuls chiffres cumul�s publi�s depuis 1992 par le journal New Light of Myanmar, organe de presse officiel, �tablissent le nombre de "travailleurs volontaires" � plus de 4 millions. Citons pour exemple la construction de la ligne de chemin de fer Aungban-Loikaw, � laquelle auraient contribu� 799.447 personnes [ Rapport de l'OIT, 82e session, ao�t 1995.] . Le travail forc� est �galement employ� par la junte militaire pour pr�parer l'ann�e du tourisme, notamment par l�am�nagement d�h�tels et la r�fection des monuments, ou les tristement c�l�bres foss�s de Mandalay. Le slogan �Visitez Myanmar 1996� masque en r�alit� travail forc�, villages d�truits et populations d�plac�es. Selon les d�clarations du ministre des transports ferroviaires, Win Sein, � compter du 31 mai 1996 la main-d��uvre civile ne sera plus employ�e � la construction des lignes de chemins de fer, t�che qui sera d�sormais confi�e � l�arm�e ; de m�me, le SLORC a produit deux directives "secr�tes" en juin 1995, remises au Rapporteur sp�cial de l�ONU, interdisant d�sormais le travail forc� aux fins de d�veloppement [ Secret Directives n� 82 et 125, juin 1995.] . A l'heure o� le pr�sent rapport est r�dig�, il para�t �vident que cette d�claration ou ces directives n�ont pas �t� suivies d'effets.

- Recrutement forc� de porteurs par l�arm�e. L�utilisation syst�matique de porteurs (recrut�s pour porter les armes, munitions ou vivres des soldats) par l�arm�e birmane est un fait av�r� et reconnu par les autorit�s birmanes elles-m�mes [ Cf. la d�claration du repr�sentant du Myanmar, 49e session de l'Assembl�e G�n�rale de l'ONU, nov. 1994.] . C�est l� une pratique commune pr�s des fronti�res, le long desquelles le Tatmadaw m�ne souvent des offensives contre les groupes ethniques. Des centaines de civils des villages avoisinants sont alors r�quisitionn�s pendant des semaines ou des mois [ Cf. par ex. Australian Council for Overseas Aid, Slave Labour in Burma, mai 1996, p. 17, et Bertil Lintner, Burma in Revolt, Westview Press, 1994, p. 120.] .

Ces deux pratiques se retrouvent dans la r�gion du chantier TOTAL-UNOCAL. M. Thein Tun, repr�sentant du SLORC, indiquait en 1992 que "nous sommes parfaitement conscients que l�infrastructure dans certaines r�gions n�est pas ad�quate et qu�elles [les compagnies p�troli�res] ont des probl�mes logistiques" [ Interview avec le Financial Times, 1992, cit� par Investor Responsibility Research Center, Unocal Corporate Activity in Burma, avril 1994.] . Il appara�t que le SLORC s�est rapidement attel� � la t�che pour pallier cette inad�quation et ces probl�mes logistiques.

TOTAL semble certes soucieux de s�assurer la collaboration de travailleurs volontaires et r�mun�r�s, comme en t�moigne sa brochure : TOTAL et ses soci�t�s sous-traitantes "feront appel dans la mesure du possible � de la main-d'�uvre locale, �videmment volontaire et r�mun�r�e, apportant ainsi des ressources aux populations des zones int�ress�es. Elles op�rent bien �videmment dans des conditions de respect des droits de l'Homme et du travail en tous points �quivalentes � celles que cette compagnie applique partout dans le monde". TOTAL s'est dot� en f�vrier 1995 d�un code de conduite relatif au projet Yadana, dans lequel sont consign�s les principes �thiques que l'entreprise s'attache � respecter [ UNOCAL a produit un document similaire.] . TOTAL a toujours ni� l�existence de travail forc� sur le chantier [ Cf. par ex. J. Daniel, "nul ne peut nier que le travail forc� est probablement une r�alit� en Birmanie, mais nous pouvons affirmer cat�goriquement qu'il n'y a pas de travail forc� sur le chantier de ce gazoduc", cit� par Reuters, juillet 1996.] .

Or, en d�pit de cette bonne volont� affich�e, plusieurs sources dignes de foi indiquent que les villageois des alentours ont �t� ou sont recrut�s de force par le Tatmadaw pour ex�cuter des t�ches qui concernent directement le chantier du gazoduc, et qui sont li�es soit � un am�nagement (pass� ou pr�sent) de la zone par des infrastructures annexes, soit aux constructions rendues n�cessaires par la pr�sence massive de l�arm�e.

1. Travail forc� et infrastructures g�n�rales

Il s�agit essentiellement du d�frichage de la bande de terrain o� sera pos� le gazoduc ainsi que des travaux pr�liminaires � la construction de la piste de service, le pipeline road, qui longera le futur gazoduc [ Complaint for equitable relief and Damages, NCGUB v. UNOCAL Inc., 03.09.1996 et KHRG, n� 96-21, mai 1996.] , ainsi que de routes attenantes.

� Le travail forc� pour le gazoduc a d�but� d�s avant les gros travaux entrepris par TOTAL : en avril 1994, une partie de la piste devant longer le gazoduc aurait d�j� �t� achev�e (au moins dans son d�blaiement grossier), et ce gr�ce au travail forc�, alors que TOTAL affirmait n�en �tre encore qu�� la phase de rep�rages [ IRRC, op. cit., p. 9.] . Le SLORC n�a pas attendu l�arriv�e de TOTAL et d�UNOCAL pour se mettre � l��uvre.

� De m�me, des t�moignages de r�fugi�s indiquent que les villageois de Hpaungdaw (village c�tier, proche du point de jonction des parties off- et on-shore du gazoduc) auraient �t� r�quisitionn�s pour d�gager la voie du pipe-line et de la piste de service d�s le 3 f�vrier 1995, c�est-�-dire le lendemain de la signature du contrat final entre TOTAL, UNOCAL, la MOGE et la PTT-EP [ D. Steele, "Refugees allege slave labour on gas pipeline", Sunday Post, 07.05.1995.] .

� Selon une source fiable, 50.000 personnes seraient � l�heure actuelle r�quisitionn�es pour concasser des cailloux en vue du nivellement de la piste de service.

� De plus, des sources concordantes et dignes de foi indiquent que des villageois de Kywe Thone Nyi Ma auraient �t� recrut�s de force en mars ou avril 1996 pour construire une "route du gazoduc" de Hpaungdaw � Kanbauk et de Ka Daik � Hpaungdaw. Ils seraient en outre soumis � une taxe de 150 kyats par famille et par mois. Les membres du SLORC leur auraient promis un salaire de 200 kyats par jour pour ce travail, mais aucun des travailleurs n�aurait �t� pay�. Selon certains de ces travailleurs maintenant r�fugi�s � la fronti�re, des "�trangers", accompagn�s de leur escorte du SLORC, passeraient r�guli�rement sur ce site.

� ERI et le Southeast Asian Information Network (SAIN) ont rassembl� plusieurs t�moignages de personnes qui auraient �t� recrut�es par des bataillons d'infanterie de l'arm�e pour d�fricher et niveller le terrain � l'emplacement de la piste de service. Citons parmi eux une jeune fille aujourd'hui r�fugi�e dans un camp en Tha�lande. Selon ses dires, elle aurait �t� recrut�e par le Tatmadaw et aurait travaill� trois jours sur la piste de service. Les deux premiers jours les travailleurs auraient �t� surveill�s par les soldats et supervis�s par deux employ�s de TOTAL, et ils auraient per�u un salaire journalier de 200 kyats. Le troisi�me jour cependant, en l'absence des repr�sentants de TOTAL, les travailleurs n'auraient rien touch�, ce qui ne laisse pas de faire peser des doutes sur le mode de r�mun�ration et les garanties �tablis par TOTAL [ Total Denial, p. 35.] .

� Le SAIN ajoute que, contrairement aux d�clarations de TOTAL qui affirme contr�ler parfaitement la construction de la piste de service, les travaux de d�frichage et de nivellement auraient �t� confi�s � la MOGE par TOTAL pour un tron�on de piste traversant un secteur �chappant au contr�le du SLORC. La MOGE se serait alors servi de l'arm�e (BIL 273) pour recruter 70 travailleurs dans la r�gion de Migyaunglaung et celle de Taungcheyin. En d�pit des consignes donn�es par TOTAL � la MOGE en vue de la r�mun�ration des personnes embauch�es, nul n'aurait touch� de salaire. Nonobstant la question de la r�mun�ration, il n'en demeure pas moins que des civils ont �t� recrut�s sous la contrainte par le Tatmadaw.

2. Travail forc� et s�curit�

Les int�r�ts militaires et �conomiques se rejoignent parfois ; le gazoduc aide de fait l�arm�e � se maintenir ou � �tendre son contr�le sur certaines r�gions. Ainsi la construction de routes et de voies ferr�es permet-elle au Tatmadaw de p�n�trer plus profond�ment dans les zones de combat et les territoires jusqu�alors aux mains des rebelles. Le travail forc� est �galement utilis� pour la construction de postes et casernes militaires.

� � la suite de l�attaque de f�vrier 1996, l�arm�e aurait d�ploy� jusqu�� 8 bataillons autour de Kanbauk pour assurer la protection des "�trangers", et ferait appel au travail forc� pour construire les barraques militaires, expliquant aux villageois qu�il leur fallait "prot�ger le gazoduc".

� De m�me, en raison de la forte pr�sence militaire le long de la ligne Ye-Tavoy, il a fallu b�tir de nouvelles installations pour l�arm�e. Deux des personnes interrog�es par Human Rights Watch/Asia ont ainsi rapport� avoir contribu� � la construction de barraquements et d�un h�liport pour une base militaire �tablie � proximit� du chantier.

� L�envoi de troupes suppl�mentaires a �galement requis la construction de casernes � Ka Daik et Pyin Gyi, Ohnbinkwin, et sur l��le de Heinze, ainsi que de camps et de postes de contr�le le long du gazoduc. La construction et l�entretien de ces installations militaires sont r�alis�s par les villageois des alentours recrut�s de force par le Tatmadaw. Le SAIN publie ainsi dans son rapport le t�moignage d�un homme contraint de travailler � la construction de barraques militaires en bambou sur l��le de Heinze. Dans sa description des conditions de travail, cet homme, qui par la suite a r�ussi � s�enfuir, rapporte que chaque recrue a d� payer une "taxe de carburant" pour le bateau qui la transportait jusqu�� l��le et apporter nourriture et outils. Apr�s le d�barquement, les soldats ont confisqu� une partie du riz emport� par les recrues, log�es dans des barraques de fortune. L�homme d�clare �galement avoir vu �environ 300 prisonniers en uniforme et encha�n�s qui travaillaient sur l��le. Ils �taient tenus � l��cart de nous. Nous les voyions tous les matins et le soir, quand ils rentraient. Ils avaient l�air mal nourris, bien pire que nous. Il leur �tait interdit de nous parler�.

UNOCAL reconna�t explicitement par la voix de son pr�sident le lien entre le Tatmadaw et le travail forc�, ainsi que l�ampleur grandissante de cette pratique dans le secteur du gazoduc : �Si le gazoduc est menac�, la pr�sence de l�arm�e va �tre renforc�e. Si travail forc� et arm�e vont de pair alors, oui, il y aura plus de travail forc� [ Entretien avec des opposants au gazoduc, 04.01.1995. Sans craindre la contradiction, ce m�me John Imle a affirm� dans une interview � Infrastructure Finance, (f�v./mars 1996) que "les troupes assign�es � la s�curit� du chantier n'ont pas recours au travail forc�".] . Le coordinateur de TOTAL en Birmanie/Tha�lande, M. Herv� Chagnoux, se montre moins direct quant au lien entre le Tatmadaw et le travail forc�, sans toutefois le nier : "Je ne puis garantir que l�arm�e n�a pas recours au travail forc�. Tout ce que nous sommes en mesure de garantir, c�est ce que nous faisons nous-m�mes, les contrats que nous passons, les gens que nous employons. Ce qui se passe � c�t�, nous n�en savons rien� [ Cit� par G. Millman, "Troubling Projects", Infrastructure Finance, f�v/mars 1996. Nous soulignons.] . Le m�me Herv� Chagnoux d�clarait lors d�une rencontre avec la FIDH : �Il n�y a pas de travail forc� sur le chantier. Et de fa�on g�n�rale, il faut bien voir que s�il y a du travail forc� en Birmanie, ce n'est pas par vice ou par m�chancet� que les dirigeants sont oblig�s d'y faire appel" [ Entretien FIDH, 24.09.1996. Cf. J. Daniel, lors d'un entretien avec R�seau Jeunes Solidaires, 02.02.1996: "Nous savons qu'il existe une tradition de travail forc� en Birmanie, et de moindre attachement aux droits de l'homme".] . En d�pit des contradictions apparentes et de la feinte c�cit� de certains d'entre eux, les dirigeants de TOTAL reconnaissent que le SLORC recourt au travail forc� par l'interm�diaire de son arm�e. En r�alit�, le travail forc� est utilis� par le SLORC pour honorer sa part du contrat - garantir la s�curit� dans la r�gion travers�e par le gazoduc ; s�curit� qui b�n�ficie � TOTAL.


3. Le cas de la ligne Ye-Tavoy

Le cas de la ligne de chemin de fer Ye-Tavoy, surnomm�e par la population The New Death Railway - chantier sur lequel il est estim� que sont utilis�s jusqu�� 2000 travailleurs forc�s par jour - est significatif.

Les compagnies p�troli�res ne contestent pas l'utilisation massive du travail forc� dans le cadre de la construction de la ligne de chemin de fer perpendiculaire au trac� du gazoduc. Elles ajoutent toutefois que cette ligne n�a aucun lien avec leur chantier (trac� N-S, dimensions inadapt�es), et ont r�p�t� � plusieurs reprises qu�elles ne l�utiliseraient pas. N�anmoins, s�il est possible, ainsi que l�affirment les dirigeants de TOTAL et d�UNOCAL, qu�elle ne soit pas directement utile au chantier du gazoduc, il appara�t n�anmoins que les parties d�j� achev�es du chemin de fer servent au transport des troupes, ainsi que de carburant, des vivres et de l��quipement n�cessaires aux bases militaires cr��es dans la r�gion du fait du chantier. � d�faut de servir directement � la construction du chantier, la ligne sert donc aux troupes charg�es de la s�curit�, et participe du d�veloppement g�n�ral de la r�gion. Il est donc difficile d�affirmer avec TOTAL que "le chemin de fer n�a rien � voir avec le projet gazier" [ TOTAL, Pr�sentation du projet gazier de Yadana , 22.07.1996. Nous soulignons.] . Il est au contraire � l��vidence li� � celui-ci.

Longue de 160 km, la ligne relie deux villes de garnison, Ye, situ�e dans l��tat M�n, et Tavoy, division du Tenasserim. Tous les rapports d�enqu�te examin�s par la FIDH, y compris le rapport pr�sent� par le Rapporteur sp�cial de l�ONU, le rapport du D�partement d��tat am�ricain, ainsi que les travaux de l�OIT, indiquent que le chantier, commenc� voici trois ans, progresse quasi exclusivement gr�ce au travail forc� de civils (y compris femmes enceintes, personnes �g�es et enfants) et de prisonniers [ Des traductions des ordres du SLORC (ordonnant la r�quisition de travailleurs forc�s) ont �t� rendues publiques par le KHRG. Cf. aussi KNU, The Rape of the rural Poor, juillet 1995.] . P�cheurs et paysans, de nationalit� M�n, Karen, et Tavoyanne, y compris une minorit� de Birmans, composent la population de la r�gion. Selon les t�moignages de personnes embauch�es de force, il y aurait eu entre 20.000 et 30.000 �recrues� dans les quatre communes travers�es par la voie ferr�e - 10.000 pour la seule construction d�un tron�on � la fin 1993 [ Human Rights Watch/Asia, The Mon Persecuted in Burma, forced back from Thailand, dec. 1994.] . D�apr�s de nombreux t�moignages, il semblerait que la cadence de travail ait �t� acc�l�r�e dans les derniers mois, ce qui suppose un recours accru au travail forc� [ KHRG, n� 96-01, janv. 1996.] . En mai 1996, les travailleurs recrut�s de force par l�arm�e furent affect�s au tron�on Kyaun Sone - Kaleinaung, au sud du trac� pr�vu par le gazoduc. Selon le KHRG, pour h�ter la construction, des travailleurs seraient recrut�s jusqu�� 80 km de Ye [ KHRG, n� 96-21, mai 1996.] . Plusieurs camps de travail (entour�s de rang�es de barbel�s et de tours de contr�le) auraient �t� �tablis le long de la ligne, que l'arm�e nommerait "conscription control centres" : Thlaing Ya, Hein Zeh, Nan Kyeh, Ye Bone, Kyauk Shat, Zin Ba (� l'intersection de la ligne et du pipe-line, et qui serait le camp le plus vaste), Ya Pu et Kyauk Ka Din, nomm�s d�apr�s les villages environnants. Travail forc� et d�placements de population vont ici de pair [ Interviews avec des r�fugi�s M�ns � la fronti�re, cit�s par D. Steele, "Charges against the Pipeline "too damn many to list"", The Sunday Post, 07.05.1995.] . Les travailleurs rattach�s � ces camps auraient �t� en octobre 1995 au nombre de 23.300, dont 500 prisonniers [ KHRG, n� 96-01, janv. 96.] . Le travail exig� consiste � abattre des arbres, concasser des cailloux, creuser des foss�s, �difier des remblais, niveler et d�fricher le terrain sur une quinzaine de m�tres de chaque c�t� de la voie. Les terres situ�es sur le parcours de la ligne ont �t� confisqu�es par le SLORC sans compensation [ HRW/Asia, idem. et NCGUB, Human Rights Yearbook 1994.] . Pr�cisons �galement que gr�ce au travail forc�, le SLORC construit dans le voisinage du futur gazoduc et du chemin de fer des routes qui, si elles ne d�pendent pas directement de TOTAL, n�auraient pas �t� am�nag�es sans le projet TOTAL-UNOCAL [ KHRG, n� 96-21, mai 1996.] .

C�est l�arm�e qui est charg�e de fournir cette main-d��uvre corv�able � merci en �embauchant� hommes et femmes dans les villages. Les chefs de village, menac�s et soumis aux pressions des chefs militaires locaux, ne peuvent qu�obtemp�rer. Chaque famille doit �fournir� une personne pour une certaine dur�e de temps, deux semaines par mois dans le cas de la construction de la voie ferr�e Ye-Tavoy. Selon les t�moignages cependant, il arrive que des villages entiers soient r�quisitionn�s [ Amnesty International, op. cit. et KHRG, n� 96-21, mai 1996.] . Sur ces chantiers les normes de s�curit� sont minimales et les conditions de travail et d�hygi�ne d�plorables. Contrairement � ce que pr�tend le SLORC, non seulement ces travailleurs malgr� eux ne per�oivent aucun salaire mais ils doivent en outre apporter leur nourriture, des ustensiles de cuisine et des outils [ NCGUB, Human Rights Yearbook 1994 et 1995.] . Des villageois astreints � la corv�e sur le chantier Ye-Tavoy et aujourd�hui r�fugi�s en Tha�lande relatent que les travailleurs sont plac�s sous la surveillance constante des repr�sentants civils du SLORC. En outre, selon le KNU, les soldats du Tatmadaw patrouilleraient en permanence le long de la voie ferr�e.

Aux corv�es il n�y a d�autre �chappatoire que la fuite [ Des milliers de villageois de la r�gion se sont ainsi enfuis pour �chapper au travail forc� sur le chemin de fer Ye-Tavoy, ainsi que l'ont rapport� toutes les grandes organisations de d�fense des droits de l'homme et les organismes de presse.] ou le versement au SLORC, par l�interm�diaire du chef de village, d�une taxe arbitraire, d�un montant variant entre plusieurs centaines et plusieurs millliers de kyats. Le remplacement par une autre personne co�te la somme d�une centaine de kyats, vers�e directement au rempla�ant ou au chef du village. Les rempla�ants sont souvent des journaliers qui vont de village en village � la recherche d�un emploi. Ces journaliers sont donc pay�s, mais l�argent provient des villageois, non du SLORC qui les emploie [ Amnesty International, op. cit., HRW/Asia, op. cit., KHRG, n�96-21, mai 1996.] . En d�pit du prix �lev� d�un tel �service�, les villageois qui en ont les moyens sont pr�ts � acquitter la taxe, � plusieurs reprises parfois, non seulement pour �chapper � la condition de travailleur forc� ou de porteur, mais aussi pour effectuer � temps les travaux des champs et nourrir leur famille.

Le t�moignage qui suit est celui d�un homme de 28 ans, originaire du village de Paukbinkwin, district de Ye Byu. Seul homme de sa famille, il a �t� contraint de travailler sur le chantier de la ligne Ye-Tavoy durant plus de deux mois :

�Lorsque la construction de la voie ferr�e a commenc�, chaque quartier du village [30 foyers env.] fut requis de fournir cinq travailleurs. Par la suite, l�arm�e a ordonn� qu�il y ait une personne par famille en permanence sur le chantier jusqu�� la fin des travaux. Nous ne savons pas quand la voie ferr�e sera termin�e. C��tait tr�s difficile pour des familles comme la mienne, o� il n�y a qu�un seul homme. Pendant que j��tais sur le chantier, c��tait dur pour ma famille de travailler dans les champs et de r�colter de quoi manger. Quand l�homme revient, les femmes doivent normalement le remplacer sur le chantier (...). Sur le chantier j�ai vu des vieillards, et quelques enfants d�environ douze ans. J�ai vu aussi des femmes enceintes. Le 3 mars 1993, il y a eu un glissement de terrain sur le chantier, � l�endroit o� il coupe une colline, et trois personnes ont �t� tu�es tout pr�s de moi. Elles venaient du village Nat Karen, dans l��tat M�n. Une jeune fille du village de Moe Gyi, enceinte de quatre mois et demi, est morte des suites de la malnutrition et de la diarrh�e � la mi-mars 1994. Elle n�a re�u aucun soin m�dical. Ceux qui tentaient de s��vader ou qui ne travaillaient pas assez �taient battus par les soldats. Quelques-unes ont essay� de s�enfuir mais ils ont �t� rattrap�s. Ils ont �t� battus et tortur�s devant tout le monde� [ HRW/Asia, op. cit.] .

4. Les porteurs de l'arm�e birmane

La pratique de l�arm�e de recruter de force des "porteurs" se retrouve dans la r�gion du gazoduc. Au cours de l'ann�e 1995, plusieurs offensives ont �t� men�es pour "pacifier" la r�gion orientale du trac�, en particulier autour de Nat Ein Taung, situ� sur la fronti�re tha�e. � chaque fois des centaines de porteurs auraient �t� recrut�s [ KHRG, n� 96-21, mai 1996.] . L'arriv�e massive de nouveaux bataillons d'infanterie dans la r�gion du Tenasserim n'a certes pas mis un terme � cette pratique. Les patrouilles charg�es de garantir la s�curit� autour du trac� du futur gazoduc recrutent des porteurs pour transporter leur nourriture, comme en t�moigne cet homme dont le village fut d�plac� en 1992 :

"L'un des soldats m'a dit "Ne t'inqui�te pas. On s'occupe de la s�curit� pour les Anglais. Tu portes notre bardas et les Anglais [sic] te donneront 200 kyats par jour�. Pendant deux semaines on a d� porter le riz des soldats et patrouiller dans la jungle entre Kaleinaung et Kanbauk. Quelquefois on passait par la route du gazoduc, comme les gens l'appelaient. Je ne l'avais jamais vue avant. J'en avais juste entendu parler. � chaque fois, les sodats reprenaient leur chargement et le portaient eux-m�mes. L'un d'eux nous guidait et nous contournions la route par la jungle. Cinq minutes plus tard il fallait reprendre le chargement (...). Les soldats �taient assez jeunes et patrouillaient pour assurer la s�curit� du gazoduc, comme ils disaient. Les soldats n'avaient pas l'air tr�s heureux d'�tre soldats. Ils se plaignaient tout le temps. Mais c'est nous qui portions leurs 20 viss [35 kg environ], eux, ils n'avaient qu'un petit sac � dos. On ne m'a jamais donn� d'argent, pas m�me une pi�ce, alors au bout de deux semaines je me suis enfui." [ Total Denial, p. 15.]

Les porteurs sont r�quisitionn�s pour des p�riodes allant de quelques jours � un mois ou davantage. Ils ne savent pas � l'avance combien de temps l'arm�e les gardera. Selon des sources concordantes, il appara�t en outre que des enfants sont �galement soumis au portage. Selon des entretiens r�alis�s par Amnesty International aupr�s de victimes de cette pratique, quiconque s'av�re incapable de porter son chargement de vivres et de munitions est soumis � la torture et � de mauvais traitements [ Amnesty International, op. cit.] . Les dangers auxquels sont expos�s les porteurs vont de la malnutrition et des maladies, aux mines anti-personnel et aux tirs crois�s. Les villageois peuvent �tre exempt�s de la corv�e de portage moyennant le versement au Tatmadaw d'une "taxe". Cette pratique est devenue syst�matique : m�me lorsqu'ils ne recrutent pas de porteurs, les soldats continuent � pr�lever des "taxes de portage" dans les villages. Bien que l'accord de cessez-le-feu sign� en 1995 avec les M�ns pr�voyait de mettre un terme � la pratique des porteurs, plus d'une ann�e s'est �coul�e et, selon les t�moignages provenant de plusieurs villages, l'arm�e maintient la taxe de portage.

En conclusion, il devient pour le moins difficile de c�der � la pri�re de M. Tchuruk [ Alors pr�sident de TOTAL.] qui, en mai 1995, "[n]ous pri[ait] de croire que TOTAL se refuserait � entrer dans un projet avec une mauvaise conscience sur le plan de l�exploitation des individus" [ Assembl�e G�n�rale des Actionnaires de TOTAL, 31.05.1995.] .

Dans la mesure o� le travail forc� est utilis� par ceux qui ont � charge d'assurer la protection du chantier, et qui �uvrent donc dans l'int�r�t de la compagnie p�troli�re fran�aise, les d�n�gations de TOTAL relatives au travail forc� sont imparfaites, insatisfaisantes et peu cr�dibles.

Dans ces conditions, la FIDH estime qu'une mission internationale d'enqu�te ind�pendante s'av�re indispensable et qu'il serait de l'int�r�t du groupe TOTAL, s'il entend prouver le bien-fond� de ses d�clarations sur l'absence de travail forc� autour de ses chantiers, non seulement de l�autoriser, mais encore de convaincre les autorit�s birmanes de l�autoriser �galement.

D. Autres violations

1. Ex�cutions sommaires


Les violations du droit � la vie et � l�int�grit� de la personne prennent la forme d�ex�cutions sommaires par l�arm�e (que ce soient les commandants locaux ou de simples soldats - tous les niveaux hi�rarchiques sont impliqu�s), comme dans le cas des repr�sailles men�es � la suite de l�attaque sur le QG de TOTAL en f�vrier 1996, durant lesquelles les troupes du SLORC ex�cut�rent plusieurs Karens du village Ein Da Ya Za situ� sur le trajet du gazoduc ; aucune de ces personnes n�avait �t� formellement accus�e d�un crime, fait l�objet d�un proc�s ou d�une audition, ni dispos� d�un droit de d�fense, avant d��tre ex�cut�e.

C�est affaire de routine que de torturer et de tuer les villageois soup�onn�s d�appartenir aux mouvements rebelles, tels que le KNLA ou le MNLA. Un homme Karen de 66 ans, habitant le village de Migyaunglaung, situ� � proximit� du gazoduc, explique ainsi comment les soldats du SLORC ont abattu deux hommes du village en novembre 1992, apr�s les avoir accus�s de soutenir le KNLA : "C�est effrayant, je connaissais ces deux hommes tr�s bien. Je sais qu�il n�y avait rien de vrai [dans ces accusations]. Ils n�avaient rien fait, c��tait de simples paysans. Le SLORC les a arr�t�s et les a tu�s dans leurs fermes" [ Interview ERI, cit� in Total Denial, p. 23.] .

Le SLORC ex�cute �galement de nombreux travailleurs forc�s et porteurs dans la r�gion du gazoduc lorsqu�ils ne peuvent porter le fardeau qui leur est attribu�, ou s�ils tentent de s��chapper. Ces ex�cutions sont le plus souvent pr�c�d�es de tortures, de viols et autres violences. De nombreuses morts de travailleurs forc�s et de porteurs sont en outre imputables aux conditions d�sastreuses de travail, au manque de nourriture et de soins m�dicaux.

Une jeune femme de la r�gion de Ye Byu raconte, � propos du chemin de fer Ye-Tavoy :

"Ils [les soldats du SLORC] marchaient et battaient les gens qui se reposaient (...). Ils ne laissaient jamais quiconque se reposer (...). Surtout les prisonniers, ce sont eux les plus mal trait�s. Ils sont battus � mort. Ils ont dit qu�un prisonnier �tait mort de diarrh�e, mais c��tait manifestement un passage � tabac. J�ai vu deux corps couverts de sang. Lorsque je les ai vus, l�un d�entre eux n��tait pas encore mort. On a vu le sang couler de sa t�te et dans ce qu�il avait vomi. Le commandant du bataillon, Aung Min, a battu un prisonnier � mort (...). Certains prisonniers sont battus � mort. Le total doit �tre autour de 30, et ils n�ont pas �t� enterr�s tr�s profond�ment, de sorte que lorsque la mar�e est arriv�e, l�eau a ramen� les corps � terre. On a vu tellement de cr�nes, et des enfants jouaient avec les cr�nes et les ossements" [ Idem .] .

2. Torture et autres traitements cruels, inhumains et d�gradants

La pratique du passage � tabac de civils par le SLORC, surtout au cours du travail forc�, est commune. La torture et la brutalit� font partie int�grante du modus operandi du SLORC. Les porteurs et travailleurs sont battus, gifl�s et frapp�s lorsqu�ils tombent de fatigue ou se reposent du travail. Les villageois sont trait�s de m�me s�ils sont soup�onn�s d�entretenir des liens avec les groupes rebelles. Souvent, lorsque les villages sont dans l�incapacit� de fournir le nombre requis de porteurs ou le montant exig� de la taxe de portage, les soldats punissent souvent le chef du village. Un villageois explique ainsi : "De temps en temps le chef de village ne peut leur founir les travailleurs requis. Dans ce cas ils battent le chef de village. Et un de mes amis a �t� battu parce qu�il est arriv� en retard au travail, et il a �t� battu f�rocement par le SLORC, sur le dos, huit fois" [ Ibid ., p. 24.] . De m�me, les prisonniers forc�s au travail subissent r�guli�rement des violences et brutalit�s s�v�res de la part de leurs ge�liers du SLORC :

"Si un habitant du village a commis un crime, ou si des villageois sont consid�r�s comme sympathisants de groupes arm�s, ils [le SLORC] arr�tent ces personnes les font des prisonniers et les font travailler sur le chantier du chemin de fer. Les autres prisonniers viennent d�ailleurs, comme de Tavoy ou Moulmein. Ils traitent les prisonniers tellement mal. Le SLORC les torture. Les prisonniers doivent travailler avec des cha�nes aux pieds, et ne sont pas autoris�s � manger les feuilles comestibles dans la jungle. Ils ont d� se cacher et manger le cheroot [cigare birman]. Ils essaient de manger les restes des autres. Et ils ne peuvent fumer, ils mangent le tabac. Un des prisonniers m�a racont� qu�ils n�ont jamais assez � manger. Deux ou quatre fois, j�ai vu des soldats du SLORC donner des coups de pied aux prisonniers. J�avais de la peine pour les prisonniers, ils �taient tellement maigres. Pendant tout le temps o� j�y �tais, je crois que plus de 15 prisonniers sont morts. J�ai vu les cadavres" [ Idem .] .

3. Viols et violences contre les femmes

Le viol est une forme commune de torture perp�tr�e par le SLORC contre les femmes. Les femmes (de tous �ges) des groupes ethniques sont des cibles particuli�res des troupes du SLORC. Elles sont souvent abattues apr�s le viol, ou forc�es au silence par intimidation. Outre le traumatisme physique et psychologique, ces viols rendent le mariage quasiment impossible pour ces femmes de cultures traditionnelles ; de plus, le risque d�infection par le virus HIV n�est pas n�gligeable, puisque pr�s de 3% des soldats du SLORC sont porteurs du virus [ Source : 3d Asia-Pacific Conference on AIDS, Chaing Mai, Tha�lande, septembre 1995.] .

Une femme Karen de 54 ans raconte ainsi avoir �t� viol�e avec sa petite-fille par des officiers du BIL 407 [ Le BIL 407 est responsable de la s�curit� dans la zone au sud du gazoduc.] . Apr�s avoir fui le village de Laut Theit (province du Ye Byu) en 1992, sa famille a d�cid� d�y retourner en 1993. Le 3 d�cembre 1993, elle-m�me, sa petite-fille et son neveu ont �t� arr�t�s par 30 soldats du BIL 407 :

"Thein Soe a dit "vieille femme (...), va dire � ta petite-fille de venir ici". Je lui ai amen� ma petite-fille ; d�s qu�il m�a vue, il s�est mis � hurler : "pourquoi es-tu venue avec elle ? Je vais te tuer (...)". Alors je suis sortie (...). Environ dix minutes plus tard, j�ai entendu ma petite-fille hurler : "grand-m�re, grand-m�re !". Mais je n�ai pas os� y aller, j�avais trop peur. Au bout d�un quart d�heure, ils ont lib�r� ma petite-fille. Elle m�a dit qu�il lui avait dit de coucher avec elle. Elle a refus�. Alors il l�a viol�e. Il �tait � peu pr�s 11 heures du soir. Le lendemain matin un des soldats est venu me dire que l�un des officiers voulait me voir (...). Je devais y aller. Alors, pendant que le lieutenant me posait des questions, il a commenc� � me violer. (...). Puis ils nous ont rel�ch�es. Mais avant de nous rel�cher, ils nous ont dit de ne dire � personne ce qui s��tait pass�. Et le commandant a dit : "vieille femme, si tu parles � quiconque de �a [les viols], je te tuerai ainsi que toute ta famille" [ Interview ERI, cit� in Total Denial, p. 25.] .

4. Violations des droits �conomiques, sociaux et culturels

Outre les violences physiques que subit la population civile et le recours au travail forc�, les troupes du SLORC ont pour habitude de confisquer les propri�t�s, l�argent et la nourriture de nombreux villageois. La pratique d�extorsion de fonds par les troupes du SLORC est courante, sous la forme d�imposition ill�gale de taxes, qui se sont multipli�es : taxe de portage, taxe de chemin de fer, taxe de pagode... Les pots-de-vin sont communs en Birmanie, mais une nouvelle forme d�extorsion a vu le jour avec le projet Yadana, qui est sp�cifique � cette r�gion, et que les villageois appellent "la taxe du gazoduc" (pipeline tax), qui peut atteindre 1000 � 1500 kyats/mois par famille, collect�e en toute ill�galit�, puisque nulle loi ne la sanctionne. La vaste majorit� des villageois habitant la r�gion du gazoduc y est astreinte. Les bataillons nouvellement arriv�s dans la r�gion imposent en r�gle g�n�rale des taxes aux villages des alentours, afin de subvenir � leurs besoins, en moyenne 20.000 � 30.000 kyats/mois pour un village de 100 maisons [ KHRG, Conditions in the Gas Pipeline Area, n� 95-27, 01.08.1995, p. 4.] . Ceci, ajout� au fait que le travail forc� leur laisse tr�s peu de temps pour cultiver leurs propres champs, rend la vie impossible aux villageois de la r�gion, et a d�truit toute l��conomie locale par un appauvrissement massif. Les villageois interrog�s confirment l�augmentation de ces taxes depuis le d�but des op�rations de TOTAL : de 100 kyats/mois par famille avant l�arriv�e de TOTAL � une moyenne de 400 � 500 kyats/mois par famille depuis [ Idem .] .

� la suite de l�attaque du 8 mars 1995, les troupes du SLORC auraient exig� des habitants de 6 villages dans le district du Ye Byu de payer la somme de 100.000 kyats pour compenser les pertes subies par le BIL 408 lors de l�attaque [ Mon Information Service Bangkok, mai 1996.] . Selon la Human Rights Foundation of Monland, le Tatmadaw proc�de r�guli�rement � des extorsions de fonds et des r�quisitions de nourriture, notamment de poulets, d��ufs, de riz, de p�te de poisson. Il est devenu pratique courante de la part des forces de s�curit� d�intimider et de menacer les villageois pour que ceux-ci leur c�dent leur b�tail, leur r�colte, et leurs biens personnels.

Les interviews avec nombre de r�fugi�s arriv�s en Tha�lande indiquent que la plupart d�entre eux se sont enfuis pour �chapper au travail forc�, � la confiscation de propri�t�, et l�extorsion d�argent.

Un villageois de Nat Gyi Sin (province du Ye Byu) explique ainsi :

"De temps en temps on devait payer 500, 1000, 1500 ou 2000 kyats, en fonction du type de portage. De temps en temps ils venaient exiger l�argent deux ou trois fois par mois. D�s qu�ils veulent des gens, ils viennent exiger de l�argent du chef de village. � propos de la construction du gazoduc - on ne sait rien de pr�cis, sauf qu�ils nous demandent de payer de l�argent pour le construire. Les soldats sont venus au village (...) et ont demand� l�argent. Dans notre maison, nous avons d� payer 500 kyats.

Les villages deviennent de plus en plus pauvres. Il y en a qui vendent leurs propres affaires comme le b�tail pour payer les taxes de portage, de travail forc�, et d�autres taxes forc�es (...). Les villageois �conomisent tout ce qu�ils poss�dent pour le donner au SLORC. Alors ils sont devenus pauvres. Il y a tellement de villageois qui deviennent malades (...), et beaucoup qui souffrent (...). Je devrais m�arr�ter ici. Si je devais parler de toutes les atrocit�s que commet le SLORC, deux jours ne me suffiraient pas" [ Idem . Nous soulignons.] .

La pr�sence de TOTAL a contribu� directement � des violations de droits �conomiques, sociaux et culturels, en for�ant des villageois � abandonner leur activit� traditionnelle ou � s�enfuir en Tha�lande. Par exemple, les p�cheurs et mariniers de la r�gion du gazoduc ont d� cesser de travailler du fait des d�crets de s�curit� du SLORC. Depuis le d�but du projet de Yadana, SLORC a interdit l�usage de certains espaces maritimes et fluviaux, afin que l�exploration, le transport et la construction ne soient pas g�n�s par l�industrie de p�che locale.

� Ainsi, l��le de Heinze est strat�gique pour le SLORC afin de s�assurer le contr�le militaire de la mer aux alentours de la section off-shore du gazoduc. Le SLORC y a construit une base militaire, un h�liport, de nouvelles barraques et install� de nouveaux bataillons, toujours en vue d�assurer la s�curit� du projet. Auparavant, l��le de Heinze �tait inhabit�e, et ses eaux �taient utilis�es par la communaut� locale de p�cheurs. Selon un villageois employ� de force sur l��le de Heinze, le SLORC a d�clar� que toute personne naviguant autour de l��le serait abattue.

� De m�me, les compagnies utilisent les installations portuaires � Pyin Gyi et Ka Daik pour le transport d��quipement, alors que ces ports �taient auparavant utilis�s par des bateaux de p�che et pour le transport de passagers. En vertu des ordres du SLORC, le d�placement des bateaux est formellement interdit lorsque les barges de l�entreprise traversent le bassin de la Heinze avec leur cargaison, de sorte qu�il arrive souvent que ces bateaux restent � quai pendant plusieurs jours.

Enfin, et plus globalement, les d�placements de population, les exactions commises dans les villages, les extorsions de fonds, l�abandon forc� d�activit�s traditionnelles, la fuite de villageois vers les camps de r�fugi�s disloquent peu � peu le tissu culturel et social de la communaut� vivant dans la r�gion.

5. Droit � l�environnement

Il y a tout lieu d��tre pr�occup� par le risque que le gazoduc pose pour l�environnement, et ce pour plusieurs raisons :

- Le type de construction constitu� par un gazoduc et des plates-formes est traditionnellement reconnu comme �tant porteur de risques graves pour l�environnement (production de d�chets toxiques, �missions de gaz...). De m�me, la partie on-shore du gazoduc pose des risques pour les for�ts et rivi�res travers�es et menace la biodiversit� de la r�gion. Aucun EIA (Environmental Impact Assessment) ind�pendant n�a �t� men�. UNOCAL affirme avoir conduit sa propre investigation sur l�impact �cologique, mais n�a pas rendu publics les r�sultats de son enqu�te.

- Les investisseurs �trangers ne sont soumis � aucune l�gislation sp�cifique sur l�environnement, et peuvent donc op�rer sans aucun contr�le ext�rieur sur l�impact �cologique produit par l�exploration du gisement et les plates-formes off-shore.

- Les partenaires du projet - TOTAL, UNOCAL et le SLORC - ont tous trois un bilan inqui�tant en mati�re de respect de l�environnement, ce qui laisse sombrement pr�sager de leur conduite en Birmanie :

� le SLORC a manifest� � plusieurs reprises son indiff�rence quant � l�environnement, ainsi qu�en t�moigne son attitude face au projet de barrage sur la rivi�re Salween, ou sa pratique connue de campagnes de "d�foliation strat�gique" contre les groupes rebelles;

� UNOCAL est responsable de la plus grave catastrophe �cologique californienne, pour avoir d�vers� plus de 40 millions de litres de p�trole l�ger en mer pendant pr�s de 15 ans [ Cf. "La France et TOTAL complices de la trag�die birmane", Maintenant, 17.051995.] ; une �tude de l�universit� de Chulalangkorn en Tha�lande a montr� le niveau inhabituel de mercure dans les eaux autour des plates-formes d�UNOCAL en Tha�lande [ "UNOCAL to study contamination around its rigs", Bangkok Post, 20.06.1996.] ;

� Enfin, TOTAL a reconnu avoir d�charg� 35 kg de mercure dans le Golfe de Tha�lande depuis le d�but de la production de gaz naturel dans la r�gion [ "TOTAL admits dumping mercury", The Nation, 10.09.1996.] . Le responsable de TOTAL Exploration-Production pour la Tha�lande, M. Azalbert, a admis que le projet de Yadana en Birmanie pouvait potentiellement poser les m�mes probl�mes.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Il appara�t donc que le projet de gazoduc en Birmanie est n�faste et malvenu � maints �gards, moralement et politiquement en particulier, et qu�il constitue en outre l�occasion de violations graves, r�p�t�es et av�r�es des droits de l�Homme contre des populations parmi les plus vuln�rables et qui n�ont pas de moyens (l�gaux, financiers,...) de s�y opposer. Que la plupart de ces violations soient commises essentiellement par le partenaire birman de TOTAL, le SLORC, ne saurait en aucune fa�on constituer une r�ponse acceptable et suffisante de la part du groupe fran�ais, et en aucun cas l�exon�rer de toute responsabilit� dans les exactions qui ont lieu. Les faits montrent que sans le gazoduc, tout ou partie de ces violations n�auraient pas lieu ; le d�ni de responsabilit� de la part de TOTAL et d�UNOCAL est donc manifestement insuffisant.

Ce d�autant que le soutien � la junte n�est pas uniquement moral et politique ; le chantier de Yadana constitue en outre un puissant support financier et �conomique au SLORC, et a donc pour effet, de fait, de perp�tuer un r�gime ill�gal, ill�gitime et condamn� internationalement. Enfin, TOTAL pourrait d�autant moins esquiver sa responsabilit� dans la perp�tuation de ce r�gime qu�il lui fournirait une aide d�ordre militaire, ce qui entrerait par ailleurs directement en contradiction avec les propres affirmations de ses dirigeants : "TOTAL n�est pas un acteur politique" [ Entretien FIDH, 24.09.1996.] .

En conclusion, la FIDH :

1. condamne avec la plus grande vigueur les pratiques r�pressives du r�gime militaire en place en Birmanie et les violations flagrantes et syst�matiques dont il se rend coupable ; d�nonce en particulier l�institution par les autorit�s birmanes du travail forc� dans des conditions autorisant la qualification de cette pratique en tant que crime contre l�humanit�.

2. appelle TOTAL et ses partenaires � geler leurs investissements en Birmanie jusqu�� formation d�un gouvernement civil, dans la mesure o� : des violations massives de droits de l�Homme ont lieu du fait du chantier ; le projet Yadana constitue un soutien manifeste et multiforme � un r�gime ill�gal et ill�gitime ; ni les repr�sentants d�mocratiquement �lus, ni les repr�sentants des populations indig�nes concern�es n�ont �t� consult�s sur le bien-fond� du projet.

3. demande � tous les gouvernements concern�s, et au premier chef la Tha�lande, de subordonner leurs relations �conomiques avec la Birmanie � la condition d�une am�lioration effective de la situation des droits de l�Homme dans ce pays.

4. prend acte de la r�ponse verbale positive de TOTAL quant au principe de l�organisation d�une mission d�enqu�te ind�pendante sur place et appelle TOTAL � mettre tous les moyens en �uvre pour que cette requ�te soit satisfaite dans les plus brefs d�lais, en particulier pour que le SLORC y donne son accord.

5. demande que soient rendus publics tous les documents pouvant �tre utiles � une �valuation compl�te de la situation sur le site du chantier, et en particulier les images satellite dont disposent TOTAL et ses partenaires.

Paris, le 16.10.1996.


LDH Total en Birmanie : dix ans de compromissions

par Farid Ghehioueche

L�action de Total en Birmanie est vivement critiqu�e par les d�fenseurs des droits de l�homme qui soutiennent la lutte des d�mocrates birmans. Ils d�noncent la recherche du profit au m�pris des droits humains et du respect de l'environnement, et l'irresponsabilit� morale d'une entreprise retranch�e derri�re l�indiff�rence pour les populations sous le joug des dictateurs de Rangoon.


Depuis le coup d��tat de 1962, les militaires gouvernent la Birmanie. En 1988, ils r�priment dans le sang les manifestants pro d�mocratiques (5 000 morts environ), forment un nouveau r�gime le SLORC (Comit� d��tat pour la restauration de la loi et de l�ordre) et imposent la loi martiale. Malgr� la r�pression institutionnalis�e, la NLD, National League for Democracy, principal parti d�opposition, remporte les �lections l�gislatives de mai 1990, victoire reconnue par la communaut� internationale. Les militaires refusent de c�der le pouvoir et intensifient la terreur dans tout le pays. En r�sidence surveill�e depuis juillet 1989, Aung San Suu Kyi, leader de la NLD, re�oit le prix Nobel de la Paix en octobre 1991 isolant encore plus la dictature birmane sur la sc�ne internationale. Le r�gime birman, condamn� par la Commission des droits de l�homme de l�ONU et par les grandes organisations internationales est mis � l�index par la quasi-totalit� des pays d�mocratiques. � La junte birmane est l�une des dictatures les plus brutales du monde,(�) les droits de l�homme sont quotidiennement viol�s,(�) la pratique du travail forc� notamment des femmes et des enfants continuent � �tre l�galement utilis�s dans tout le pays � d�noncent les d�put�s de la mission d�information parlementaire fran�aise sur les compagnies p�troli�res (14 octobre 1999).

Parall�lement, le SLORC se voit d�cerner le label peu honorable de � narco-dictature �. L�OGD, l�Observatoire g�opolitique des drogues, d�montre que � les capitaux tir�s du trafic de l�h�ro�ne constituent de loin la premi�re source de devises du r�gime � par le d�ficit consid�rable entre ressources connues et d�penses effectu�es. Derri�re la fa�ade d�une ouverture au lib�ralisme �conomique, la Birmanie devient alors un sanctuaire et une base op�rationnelle pour diverses organisations de type mafieux li�es au trafic international d�h�ro�ne. Les b�n�fices de la drogue servent entre autres � accro�tre l�arm�e en hommes et en mat�riels. Sans ennemis ext�rieurs, ce renforcement de l�arm�e permet une intensification de la r�pression int�rieure contre les minorit�s ethniques rebelles et les opposants au r�gime.

V�ritable soutien de la dictature

En 1992, Total signe le contrat pour l�exploitation du gisement de gaz. � cette �poque, la zone du chantier est encore contr�l�e par les gu�rillas des minorit�s ethniques Mons et Karens. La r�ussite du projet d�pend de leur �crasement par l�arm�e birmane. En 1996, Aung San Suu Kyi d�clare que � la firme fran�aise Total est le plus fort soutien du syst�me militaire birman. Ce n�est pas le moment d�investir ici �. Les organisations de d�fense de droits de l�homme accusent Total d�avoir b�n�fici� du travail forc� sur le chantier.

Thierry Desmarest, le PDG de TotalFinaElf, se d�clare � heureux et fier de ce que nous faisons en Birmanie � et affirme � favoriser des sources licites de revenu, le d�veloppement local �. Las, les fruits de l�investissement ne profitent qu�� la junte. La construction de ce gazoduc a des cons�quences catastrophiques pour les populations comme le prouve le flot ininterrompu de r�fugi�s en provenance de cette r�gion. La population ne profite pas des retomb�s du projet mais en souffre. Le Parlement europ�en, en 1998 et 1999, estime � que tout investissement direct en Birmanie repr�sente une contribution financi�re notable en faveur du r�gime, mais n�apporte aucun b�n�fice indirect au peuple birman �. Il invite � les compagnies �trang�res qui ont investi en Birmanie comme Total ou Premier Oil � geler sans d�lai les investissements �.

Total est entr� dans une v�ritable spirale de collaboration avec la junte. Elle a apport� un soutien logistique � l�arm�e en lui fournissant des h�licopt�res pour le transfert de ses troupes, et l�aurait m�me financ� Toutes les accusations contre Total en Birmanie sont confirm�es dans le rapport de la mission parlementaire fran�aise (Pierre Brana - PS, Marie-H�l�ne Aubert - les Verts, et Roland Blum - DL) sur le r�le des compagnies p�troli�res dans la politique internationale et leur impact social et environnemental. Elle estime � qu�il appara�t factice de s�parer la construction du gazoduc qui n�cessitait l�embauche d�une main-d��uvre qualifi�e (�), des mesures prises par le r�gime birman pour assurer sa s�curit�. Or, ce sont ces mesures de s�curit� qui ont g�n�r� du travail forc� et des d�placements de population dans la zone �.

Entre laisser-faire et soutien actif

Les gouvernements successifs ont soutenu l�implantation de Total en Birmanie. Depuis 1997, un proc�s devant la cour f�d�rale de Los Angeles oppose des victimes birmanes du chantier aux compagnies p�troli�res op�ratrices Total et Unocal (son partenaire am�ricain) accus�s de complicit� de travail forc�, torture, racket� Le gouvernement fran�ais a fait parvenir une lettre aux avocats de Total stipulant que � le maintien de cette action contre Total devant une cour des �tats-Unis disconviendrait aux int�r�ts de la politique �trang�re de la France �. Difficile d��tre plus clair ! En l�absence de loi internationale ou fran�aise coercitive, Total ne voit pas de raisons de ne pas �tre pr�sent en Birmanie. � La pr�sence du quatri�me p�trolier mondial en Birmanie est actuellement dommageable pour l�image de la France comme celle de ce groupe dans le monde (�). Il serait opportun qu�un tel investissement soit fig� � conclut la mission parlementaire. Dont acte !

Farid GHEHIOUECHE, Info Birmanie



La FIDH et son affili�e fran�aise la LDH soutiennent la plainte d�pos�e en France contre les dirigeants de TOTAL


Paris, le 29 ao�t 2002


Une plainte avec constitution de partie civile vient d��tre d�pos�e en France par deux ressortissants birmans contre des responsables des soci�t�s TOTALFINAELF SA et sa filiale birmane TEPM, pour s�questration dans le cadre du chantier de gazoduc de Yadana.

Les dirigeants de TOTALFINAELF, y compris Messieurs Thierry Desmaret et Herv� Madeo, dirigeants � l��poque des faits, sont notamment accus�s par les victimes d�avoir, d�s l�ouverture du chantier, en pleine connaissance du travail forc� en Birmanie, eu recours � des travailleurs forc�s par letruchement de l�arm�e birmane, et ce au b�n�fice du projet de TOTAL. Il est en outre d�montr� que, dans la commission de l�infraction, le r�le des personnes vis�es a �t� d�terminant et que, entre les acteurs fran�ais et birmans du projet, il y a eu simultan�it� d�action et assistance r�ciproque.

La FIDH souligne que les violations syst�matiques des droits de l�Homme, en particulier le travail forc�, se sont poursuivies dans le contexte du chantier en d�pit de la multiplication � l��chelle internationale des d�nonciations et des mises en garde par de nombreuses instances gouvernementales,intergouvernementales et non-gouvernementales : rapport de la F�d�ration internationale des ligues des droits de l�Homme (FIDH) paru en 1996, rapport de la Mission d'information de la Commission des Affaires �trang�res de l'Assembl�e Nationale de 1999, sanction de la Commission europ�enne contre le r�gime birman par un r�glement du Conseil de mars 1997 et saisine de l�Organisation internationale du travail (OIT).

la FIDH et la Ligue fran�aise des droits de l�Homme et du citoyen (LDH) appuient les actions consistant � demander des comptes aux dirigeants des entreprises multinationales qui, au nom d�int�r�ts �conomiques, se rendent responsables, complices ou, en tout �tat de cause, b�n�ficient de la perp�tration de violations des droits de l�homme. La FIDH et la LDH soutiennent donc la plainte d�pos�e en France contre des dirigeants du Groupe TOTAL, comme la FIDH et son affili�e belge l�avaient d�j� fait concernant la plainte d�pos�e en Belgique en avril dernier contre ce m�me Groupe pour complicit� de crimes contre l�humanit� ; ou encore s�agissant des plaintes d�pos�es par des victimes birmanes aux �tats-Unis devant les juridictions civiles.

La FIDH et la LDH r�it�rent une nouvelle fois avec force leur condamnation du projet TOTALFINAELF en Birmanie, qui ne b�n�ficie en aucune fa�on aux populations locales, et qui revient � accorder un soutien moral, politique, financier et militaire � un r�gime ill�gal, ill�gitime et condamn�internationalement pour l�ampleur des violations des droits de l�Homme dont il se rend coupable.

Htoo Chit, militant birman des droits de l�homme:
�J�apporte 14 t�moignages contre Total�


Le nouvel Obs - L'Hebdo en Ligne
Semaine du jeudi 22 mai 2003 - n�2011 - Monde
Le Nouvel Observateur. � La date de votre audition par le magistrat du tribunal de Nanterre qui instruit la plainte pour �s�questration� d�pos�e contre Total par deux de vos compatriotes a-t-elle �t� fix�e ?
Htoo Chit. � Oui. Je serai entendu le 12 juin par le juge. Je lui indiquerai ce que je sais de la pratique du travail forc� dans la zone du chantier du gazoduc de Yadana, construit par Total dans le sud de la Birmanie. Et je lui remettrai les t�moignages des quatorze Birmans qui ont d�cid� de parler. Certains sont d�anciens soldats de l�arm�e birmane dont les unit�s ont utilis� � ou surveill� � des travailleurs forc�s. D�autres ont �t� salari�s de Total ou d�autres entreprises lors de la construction du gazoduc et sont des t�moins directs de l�usage du travail forc�...

N. O. � Les responsables de Total en Birmanie pouvaient-ils ignorer le recours au travail forc� dans la zone du gazoduc?
Htoo Chit. � Sauf exception, ce n�est pas � la pose des tubes qu��taient affect�s les paysans rafl�s par l�arm�e. C��tait surtout � des travaux de construction et de terrassement. Ce sont eux, par exemple, qui ont construit les casernements pour les 10000 soldats charg�s d�assurer la s�curit� du chantier. Ce sont eux aussi qui ont am�nag� cinq des six plates-formes d�h�licopt�res qui jalonnent le couloir de s�curit�, autour du gazoduc. Il est arriv� que les soldats cachent la pr�sence des travailleurs forc�s aux gens de Total en les conduisant dans la jungle lorsqu�ils entendaient un h�licopt�re. Mais en g�n�ral les responsables de Total �taient parfaitement au courant de ce qui se passait sur le terrain. La preuve, c�est qu�ils versaient de l�argent aux unit�s de l�arm�e birmane pour r�mun�rer leurs services...

N. O. � Total affirme que sa pr�sence dans la r�gion a apport� un r�el progr�s �conomique...
Htoo Chit. � Ce n�est pas l�avis des organisations de d�fense des droits de l�homme. Les Birmans qui ont �t�, au moins pendant un temps, recrut�s par Total ont obtenu � l��chelle locale de bons salaires. Mais ils constituent une minorit�. Le probl�me, c�est que ces bons salaires ont fait monter les prix. Un kilo de riz vaut dix fois plus cher aujourd�hui qu�en 1992. Le r�sultat, c�est que la majorit� des habitants vivent beaucoup plus mal qu�avant. Et les p�cheurs, tr�s nombreux dans la r�gion, ont perdu leur travail � cause des mesures de s�curit�. Aucune embarcation n�est autoris�e dans une zone de 15 kilom�tres qui longe la c�te et leurs bateaux sont beaucoup trop petits pour aller au-del�... C�est pourquoi beaucoup de gens tentent de franchir la fronti�re pour aller travailler en Tha�lande...

Propos recueillis par Ren� Backmann

Apr�s avoir particip� aux manifestations de 1988 en faveur de la d�mocratie, Htoo Chit, 38 ans, a d�abord rejoint un mouvement d�opposition arm�, avant de militer pour la d�fense des droits de l�homme et d�enqu�ter sur les cons�quences de l�arriv�e de Total. Clandestin depuis quinze ans, il a demand� � la France le statut de r�fugi� politique.
Ren� Backmann


Courrier International d�apr�s Asia Times

Le scandale du �bataillon Total�

(novembre 2002)




Dans l'Hexagone, l'affaire est trait�e fort discr�tement, mais �Asia Times� ne veut pas la laisser passer. �La compagnie p�troli�re TotalFinaElf est aujourd'hui poursuivie en France pour des actes contraires � l'�thique, en particulier pour des violations des droits de l'homme en Birmanie.�

Le quotidien tha�landais retrace le contexte des exactions pr�sum�es du groupe fran�ais. �Les plaignants affirment qu'en 1995 - alors qu'elle n'�tait encore que TotalFina - l'entreprise a lou� les services de l'arm�e birmane pour prot�ger la construction d'un ol�oduc. En r�alit�, les soldats envahissaient des villages, s'emparaient des habitants et les transformaient en ouvriers corv�ables � merci.�

La plainte provient de deux des ouvriers en question, qui ont pu s'enfuir et vivent aujourd'hui quelque part en Asie du Sud-Est. �En outre, les all�gations de ces deux personnes sont corrobor�es par plusieurs t�moignages de d�serteurs de l'arm�e birmane�, pr�cise �Asia Times�.

Des violations des droits de l'homme reconnues

Le journal poursuit son r�quisitoire. �L'Organisation internationale du travail et la commission onusienne des droits de l'homme ont r�guli�rement condamn� les pratiques de Rangoon sur le travail forc�.�

Autre argument tr�s fort, TotalFinaElf n'a pris en charge que 400 des 700 kilom�tres de cet ol�oduc qui relie aujourd'hui la mer d'Andaman � une centrale tha�landaise ; le reste a �t� construit par deux compagnies du Sud-Est asiatique et par la soci�t� am�ricaine Unocal. Or �un tribunal des �tats-Unis a estim� r�cemment que les deux anciens ouvriers avaient 'largement prouv� qu'Unocal �tait complice de violations des droits de l'homme' et qu'� ce titre la soci�t� am�ricaine pouvait �tre poursuivie�, remarque �Asia Times�.

En France, Thierry Desmarest peut bien nier tout abus devant une commission d'enqu�te parlementaire - reconnaissant du bout des l�vres avoir demand� la protection de l'arm�e birmane -, �Asia Times� rappelle que ces troupes �taient connues dans toute la r�gion sous le nom de �Bataillon Total�.

Et le quotidien tha�landais de noter qu'en France la compagnie p�troli�re est d�j� accus�e de n�gligence dans deux affaires : l'explosion de l'usine AZF � Toulouse et le naufrage du p�trolier 'Erika', � proximit� des c�tes bretonnes�. Conclusion implicite du journal : les d�n�gations de TotalFinaElf ne trompent que ceux qui veulent vraiment y croire.

EG


La d�fense de Total Fina


Situation des Droits de l'Homme au Myanmar selon Total


Des organisations internationales ou des ONG portent des jugements fort critiques sur la situation des Droits de l'Homme au Myanmar. Les �tats-Unis et l'Union Europ�enne ont adopt� des sanctions qui visent � faire pression sur le r�gime. Des militants des Droits de l'Homme et de nombreux m�dias rapportent des t�moignages pr�occupants.

Les critiques s'organisent autour de trois axes :

La question des libert�s publiques et du dialogue politique

Le pouvoir est d�tenu sans interruption depuis 1962 par un r�gime qui s'appuie sur l'arm�e. Un " renouvellement de g�n�ration " entre militaires se produit en 1988 � l'occasion de manifestations �tudiantes, tr�s s�v�rement r�prim�es, qui protestaient contre l'absence de libert� et la mauvaise gestion �conomique du pays. La nouvelle �quipe s'investit de la mission de g�rer la transition du Myanmar vers la d�mocratie et organise en 1990 des �lections qu'elle perd au profit de la National League for Democracy (NLD), une coalition r�unie autour de Madame Aung San Suu Kyi. Mais le pouvoir n'est pas transmis aux forces politiques qui ont gagn� les �lections.

Malgr� les promesses faites, les d�mocrates sont pourchass�s et emprisonn�s, aucun dialogue politique v�ritable ne se noue entre l'arm�e au pouvoir et les responsables des formations politiques dont l'activit� est strictement brid�e. Amnesty International estime encore � plus d'un millier le nombre des prisonniers d'opinion au d�but de 2003.

� la fin de mai 2003, de graves �v�nements se produisent. Lors d'une tourn�e politique en province, des membres de la NLD sont attaqu�s et emprisonn�s. On compte un nombre ind�termin� de victimes. Madame Aung San Suu Kyi est mise au secret (" protective custody " selon les autorit�s) jusqu'au mois d'octobre o� elle est plac�e en r�sidence surveill�e. Total a exprim� sa pr�occupation face � ces �v�nements qui constituent un recul s�rieux sur la voie de la r�conciliation nationale attendue.

Les moyens utilis�s contre la r�sistance des minorit�s ethniques

Le Myanmar compte 135 groupes ethniques, le plus important �tant celui des Birmans (environ 55 % de la population) mais d'autres groupes, notamment les Shan, les Kachin, les Mon et les Karen, ont une identit� forte et un poids num�rique important. Le pacte social entre les habitants du Myanmar est fragile et les tendances centrifuges tr�s marqu�es ont entra�n� l'entr�e en r�bellion de diverses minorit�s, comme celle des Karen depuis plus de 50 ans. L'arm�e birmane se consid�re comme garante de l'unit� nationale et son combat contre les minorit�s en r�volte s'est intensifi� depuis 1988. Les d�fenseurs des Droits de l'Homme d�noncent parmi les actes qui accompagneraient cette r�pression des d�placements forc�s de population, des recrutements forc�s dans l'arm�e, y compris d'enfants, des viols, des tortures, des ex�cutions sommaires, des destructions de villages.

Le travail forc�

La r�quisition de villageois par les autorit�s publiques et par l'arm�e en vue de leur imposer par la contrainte et sans r�mun�ration d'apporter leur concours � la r�alisation d'ouvrages publics ou de travaux divers est une pratique ancienne au Myanmar. Cette m�thode traditionnelle de la " corv�e " avait �t� l�galis�e au d�but du si�cle par la tutelle britannique (Town Act de 1907 et Village Act de 1908). Elle a �t� d�nonc�e � plusieurs reprises par l'Organisation Internationale du Travail.

Celle-ci a engag� au titre de l'article 26 de ses statuts une proc�dure d'enqu�te sur cette question qui a abouti en 1998 � la publication d'un rapport tr�s d�taill�, reposant sur l'audition de nombreux t�moins birmans et d'ONG ; ce rapport d�nonce en particulier les conditions dans lesquelles l'arm�e recruterait des villageois comme porteurs ou pour d'autres t�ches (construction de campements, culture pour nourrir les soldats, entretien des routes...), et les exactions qui pourraient les accompagner (extorsion de fonds, traitements cruels...).

Ce constat a servi de point de d�part � un dialogue critique entre l'OIT et les autorit�s du Myanmar qui a port� quelques fruits :

* L'abrogation en 1999 du Village Act et du Town Act, rendant donc d�sormais illicite le travail forc� au Myanmar,
* La nomination d'un repr�sentant de l'OIT � Yangon, ayant pour vocation d'assurer la liaison avec les autorit�s, d'observer la situation et de mettre en �uvre des programmes d'aide afin de la faire �voluer.

La mise en conformit� r�cente de la l�gislation locale avec les principes de l'OIT ne signifie pas que le travail forc� ait disparu au Myanmar. L'�radication de cette pratique historiquement tr�s enracin�e demandera un engagement plus soutenu des autorit�s. Gr�ce � la vigilance de Total qui s'y est clairement oppos�e, elle a �t� �limin�e de la r�gion par o� passe le gazoduc de Yadana.

Liens utiles https://web.amnesty.org/report2003/mmr-summary-eng
https://www.ibiblio.org/obl/docs/SRM2003.htm
https://www.birmanie.int.ch/Nouvelles/news262002.htm

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