Matrix, nouveau projet de super-surveillance polici�re made in USA
Sep 30, 2003

Un nouveau programme am�ricain d'interconnexion des fichiers publics et priv�s est en phase de test depuis quelques mois : Matrix vise � optimiser l'�change d'informations en mati�re de terrorisme et de criminalit� entre les forces de l'ordre, qu'elles soient locales ou f�d�rales. Qualifi� d'"effrayant" par un des policiers en charge du projet, le programme semble int�resser au plus haut point plusieurs services de police et de renseignements qui n'ont, en temps normal, pas le droit d'agr�ger autant de donn�es.

En novembre 2002, on apprenait l'existence du Total Information Awareness, un projet dot� d'un budget de 245 millions de dollars sur trois ans et visant � placer tout quidam sous surveillance. Le programme �tait dirig� par l'amiral John Poindexter, personnage clef du renseignement am�ricain, impliqu� dans les scandales de l'Irangate et l'affaire des Contras m�lant ventes d'armes illicites et trafics de drogue.

Scandale m�diatique aidant, notamment sous la pression des ONG de d�fense des libert�s, Pointdexter a depuis d�missionn�, le projet a quant � lui subi un lifting - il a �t� renomm� "Terrorism Information Awareness"-, avant de voir finalement, ce 26 septembre, son budget annul�.

D�cid�ment peu regardantes envers le pass� de leurs collaborateurs, les autorit�s am�ricaines ont confi� � un autre personnage tout aussi peu am�ne le soin de cr�er une nouvelle interconnexion de milliards de donn�es personnelles concernant les citoyens am�ricains.

L'information, r�v�l�e d�but ao�t par le Saint Petersburg Times, n'a vraiment commenc� � faire du bruit qu'apr�s sa reprise par Associated Press et The Register, les 23 et 24 septembre dernier. Ils omettent cela dit un certain nombre de d�tails pour le moins croustillants de cette affaire digne d'un mauvais polar.

Le projet, �a ne s'invente pas, a pour nom Matrix, pour Multistate Anti-Terrorism Information Exchange. Financ� par le D�partement de la justice am�ricain, � concurrence de 4 millions de dollars pour l'instant, Matrix vise � optimiser l'�change d'informations en mati�re de terrorisme et de criminalit� entre les forces de l'ordre, qu'elles soient locales ou f�d�rales.

� ce jour, 13 �tats participent au projet pilote et �changent leurs donn�es via un r�seau s�curis� intitul� RISS (pour Regional Information Sharing Systems). Celui-ci vise �galement � �changer des informations, et coordonner les efforts des forces de l'ordre en mati�re de lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme, la cybercriminalit�, les gangs et autres organisations criminelles.

Pas moins de 6600 agences am�ricaines sont connect�es au Riss : du commissariat de quartier � la Drug Enforcement Administration (DEA), en passant par les douanes, le FBI ou les services secrets. Le projet inclut �galement des agences canadiennes, australiennes, portoricaines ou encore britanniques.

La diff�rence entre les informations accessibles par le Riss et celles �chang�es via Matrix tient essentiellement en ce que ce dernier permet non seulement de consulter nombre de donn�es criminelles ou administratives (permis de conduire, fichiers des plaques d'immatriculation, etc.), mais aussi des bases de donn�es priv�es qui ne sont normalement accessibles qu'apr�s obtention d'un mandat.

L'astuce consiste � passer par un sous-traitant, lui aussi priv�, et donc habilit� � interconnecter des bases de donn�es, ce que les autorit�s ne sont a priori pas autoris�es � effectuer, en vertu du Privacy Act, la loi de protection de la vie priv�e adopt�e aux �tats-Unis en 1974.

Le D�partement de la S�curit� int�rieure (Department of Homeland Security), cr�� dans la foul�e des attentats du 11 septembre pour coordonner la lutte antiterroriste, serait pr�t, selon le quotidien Washington Post, � investir 8 millions de dollars suppl�mentaires pour �tendre Matrix au niveau national. Une broutille en comparaison des 3,2 milliards de dollars qu'il a confi�s au D�partement de la Justice en 2003.

Matrix aurait donc de l'avenir. Phil Ramer, un des policiers en charge du projet, a d�clar� au Washington Post : "C'est effrayant. Des abus pourraient �tre perp�tr�s : je peux tout savoir de vous et de vos voisins". Avant d'ajouter : "Notre principal probl�me aujourd'hui est que tous ceux qui en entendent parler veulent l'adopter."

Autre probl�me : la personnalit� m�me de l'initiateur du projet Matrix, un homme soup�onn� d'�tre un ancien trafiquant de drogue, et d'avoir contribu� au truquage de l'�lection de Georges Bush.

Le programme Matrix a �t� cr�� par Hank Asher, un multimillionnaire qui a b�ti sa fortune sur l'agr�gation et la revente de donn�es personnelles. Mais ce personnage est soup�onn� d'�tre un ancien trafiquant de drogue. Et il a �galement contribu� indirectement � l'�lection contest�e du pr�sident George Bush.

Les r�v�lations sur le lourd pass� de Hank Asher, publi�es le 2 ao�t dernier par Lucy Morgan, journaliste au quotidien de Floride St. Petersburg Times n'ont pas fini de faire du bruit.

Hank Asher est devenu millionnaire en cr�ant plusieurs soci�t�s de collecte de donn�es personnelles. La plus connue, Database Technologies (DBT) fut impliqu�e dans le scandale de d�compte des voix lors de l'�lection de Georges W. Bush.

DBT avait en effet vendu un fichier truff� d'erreurs au cabinet de Jeb Bush, fr�re de l'actuel pr�sident am�ricain, et gouverneur de l'�tat de Floride, qui s'en �tait servi pour expurger les fichiers d'�lecteurs de plusieurs milliers de personnes, des Afro-Am�ricains pour la plupart. Ces personnes avaient �t� ray�es, � tort, des listes �lectorales.

Lors de l'�lection pr�sidentielle, le d�mocrate Al Gore n'a �t� battu que d'une centaine de voix, et nombreux sont ceux qui estiment que, sans le tour de passe-passe de Jeb Bush, George Bush n'aurait probablement pas �t� �lu pr�sident des �tats-Unis. C'est en tout cas la th�se d�fendue par de nombreux journalistes am�ricains, comme le relate par exemple un documentaire diffus� actuellement sur la cha�ne th�matique fran�aise Plan�te.

En 1999, Asher a �t� contraint � revendre ses parts au sein de DBT - ce qui lui a rapport� la somme de 147 millions de dollars - apr�s que le FBI et la Drug Enforcement Administration (DEA) eurent interrompu leurs contrats avec cette soci�t�. Ironie de l'histoire, c'est pr�cis�ment en raison de la consultation des bases de donn�es polici�res que le p�re de Matrix a d� quitter sa soci�t� d'interconnexion des fichiers.

Les agences f�d�rales venaient en effet de s'apercevoir que le contrat permettant � 1500 services policiers d'acc�der aux donn�es de DBT avait �t� initi� par deux anciens membres de la DEA devenus par la suite vice-pr�sidents de DBT. Mais surtout, les fichiers de la police d�crivaient Asher comme un ancien trafiquant de drogue.

Pilote d'avions, Asher r�sidait dans les ann�es 80 sur une petite �le des Bahamas utilis�e par des trafiquants de drogue, et s'�tait retrouv� impliqu� dans un r�seau de coca�ne qui pouvait rapporter 150 millions de dollars en une seule ann�e, selon l'enqu�te du St Petersburg Times. Les autorit�s lui auraient alors accord� une totale immunit� en �change de sa collaboration en tant qu'informateur et t�moin dans plusieurs proc�s. Ce deal lui a permis de n'�tre ni arr�t�, ni inculp�.

ChoicePoint, une autre soci�t� sp�cialis�e dans l'interconnexion de fichiers � destination, notamment, des forces de l'ordre, racheta DBT. Elle accusa ensuite Asher d'avoir viol� une clause de son contrat de cession, en se servant de la technologie qu'il avait d�ploy�e � DBT pour cr�er Seisint, une soci�t� elle aussi sp�cialis�e dans l'agr�gation de donn�es personnelles.

Sur son site, Seisint affirme �tre capable de "fusionner et analyser des dizaines de milliards de donn�es en quelques secondes ou minutes". Si sa filiale Accurint est essentiellement tourn�e vers le march� priv� (y compris celui des particuliers) Seisint compte elle nombre de forces de l'ordre parmi sa client�le.

En 1993, Asher commen�a � travailler avec l'administration en charge de la police de Floride, le Florida Department of Law Enforcement (FDLE). Il y est devenu un ami tr�s proche de son patron, James T. Moore, au point que plusieurs de ses subordonn�s s'en �taient plaint aupr�s du gouverneur Jeb Bush, le fr�re de l'actuel pr�sident des �tats-Unis.

Toujours selon la journaliste Lucy Morgan, James T. Moore a d�clar� le 15 juillet dernier, � l'occasion de la f�te organis�e pour son d�part en retraite - o� Asher �tait le seul civil invit� - que ce dernier "avait fait plus que quiconque pour faciliter l'�change d'informations et de renseignements pour la police du pays". Et le chef des polices de Floride de conclure son portrait : "C'est un patriote, un v�ritable ami."

Suite aux attentats du 11 septembre, Asher avait propos� au FDLE de mettre en place, gratuitement, un syst�me permettant d'interroger aussi bien les bases de donn�es publiques que priv�es afin de mieux pouvoir lutter contre le terrorisme.

On trouve ainsi mention, dans un document intitul� "Legislative Priorities 2003-2004"", disponible sur le site du FDLE, d'un syst�me nomm� FCIC+. Mis en place par Seisint, ce FCIC+ "am�liore de fa�on significative les capacit�s d'analyses des forces de l'ordre, accro�t le volume des donn�es corr�l�es, et fait gagner un temps pr�cieux" aux enqu�teurs.

En interrogeant � la fois les donn�es criminelles du FDLE, celles de l'institution carc�rale et "une multitude de sources publiques et priv�es", FCIC+ se vante de "permettre aux utilisateurs autoris�s de passer de plusieurs milliards d'entr�es � quelques centaines seulement". Donc d'affiner les r�sultats de leurs recherches.

Dot� d'un budget initial de 1,6 million de dollars, le syst�me FCI+ est, selon le document du FDLE, consultable gratuitement pendant trois mois par 600 agents des forces de l'ordre, avant d'�tre propos�, sous forme d'abonnement, � raison de 100 dollars par mois et par utilisateur.

Le 1er ao�t dernier, le FDLE annon�ait avoir conclu le contrat avec Seisint, FCIC+ ayant �t� entre-temps renomm�. Le 2, l'article du St Petersburg Times r�v�lant le pass� d'Asher �tait publi�. Le 3, le FDLE annon�ait qu'il �tait pr�t � envisager toute proposition similaire � celle de Seisint, dont le contrat �tait suspendu le temps de v�rifier le pass� d'Asher.

Toujours le 3 ao�t, l'agence Associated Press interrogeait Martha Barnett, ancienne pr�sidente de l'association du barreau am�ricain. L'avocate juge Asher comme un "g�nie" en mati�re de nouvelles technologies. Tout en reconnaissant avoir entendu parler des accusations port�es � son encontre, elle estime que le plus important n'est pas ce qu'il a pu faire dans le pass�, mais les technologies qu'il propose aujourd'hui.

Le 30 ao�t, Lucy Morgan r�v�lait qu'Asher venait de d�missionner de Seisint, et que le FDLE confirmait le contrat pass� avec la soci�t�.

Suite � l'annonce de sa d�mission de Seisint, l'enqu�te sur le pass� d'Asher aurait �t� interrompue le 29 ao�t dernier. Elle apporte tout de m�me une derni�re touche au tableau : selon le rapport d'enqu�te du FDLE transmis � Jeb Bush, Asher aurait aussi �t� impliqu� dans un complot visant � assassiner le sandiniste Daniel Ortegua, pr�sident �lu du Nicaragua, alors en guerre contre les Contras, milices paramilitaires financ�es par les �tats-Unis.

Le rapport du FDLE pr�cise que le seul autre t�moin de l'affaire visant Ortegua est depuis d�c�d� et que, bien que cet �pisode constitue "l'aspect le plus probl�matique" du dossier de Asher, il "ne peut �tre corrobor�". Autre point inv�rifiable rapport� par le FDLE : en 1995, Asher aurait vendu des donn�es polici�res � des trafiquants de drogue...

La biographie d'Hank Asher a depuis �t� retir�e de la page du site web de Seisint consacr�e � ses dirigeants, mais on peut encore la trouver via le site archive.org.

Seisint n'a cela dit pas retir� de son site web la mention des diff�rentes recommandations ou r�compenses re�ues par Seisint ou par Asher lui-m�me, �manant de l'association des chefs de police de l'�tat de Floride, de l'Association internationale des officiers de police, du service d'immigration, du FBI ou encore des services secrets am�ricains...
(source transfert. net, Jean-Marc Manach).

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