Le Monde publiait dans son �dition dat�e du mardi 3 juin, des extraits de proc�s-verbaux d'audition par les gendarmes de deux ex-prostitu�es, faisant �tat de liens entre le tueur en s�rie Patrice Al�gre et l'ancien maire de Toulouse Dominique Baudis. Les t�moignages de "Patricia" et "Fanny" avaient d�bouch� � la mi-avril sur l'ouverture d'une information judiciaire "contre Patrice Al�gre et tous autres" pour "viols aggrav�s et complicit�" et pour "prox�n�tisme en bande organis�e".
L'avocat de Dominique Baudis, Me Francis Spizner, s'�tait refus� � tout commentaire sur le contenu de l'article du Monde. "Il m'est arriv� de monter avec Dominique Baudis � l'h�tel de l'Europe avec Patrice Al�gre, pour des parties sado maso � trois (...) c'�tait tr�s violent l'horreur dans toute sa splendeur", rapporte Le Monde, citant un proc�s-verbal d'audition de "Patricia" du 10 f�vrier 2003. Trois jours plus tard, "Patricia" d�crivait aux gendarmes le d�tail des s�ances sadomasochistes auxquels participaient, selon elle, "Baudis, Patrice et Lakhdar M.", affirme Le Monde.
Lors d'une autre audition, le 26 mars, cit�e par le quotidien, la jeune femme dit avoir eu connaissance de soir�es �largies � d'autres personnalit�s: "je savais par Patrice et Lakhdar qu'ils organisaient des soir�es tr�s sp�ciales avec des personnalit�s, Baudis, (Patricia cite encore deux noms de personnalit�s politiques), des policiers (elle cite trois noms)".
Selon Le Monde, "Patricia" a �galement parl� aux gendarmes d'autres soir�es sadomasochistes auxquelles elle n'a pas particip� car elle "�tait charg�e de surveiller les filles qui restaient dans la rue". "Patrice Al�gre venait faire son march� sur le trottoir pour alimenter en filles les soir�es sado maso. Il y avait des mineures parmi elles (...) il n'y avait pas besoin que les filles racontent, on voyait les traces que les supplices avaient laiss�es", a-t-elle racont� lors de son audition du 13 f�vrier dernier.
Lib�ration du 11 juin 2003 publie un article choc de Patricia Tourancheau dans lequel, Fanny, T�moin num�ro 1 dans l'affaire Al�gre ex-prostitu�e, relate � �Lib�ration� ses ann�es entre les mains du tueur en s�rie Patrice Al�gre et d'un magistrat toulousain.
Nous publions ces mots d�une jeune femme qui a droit autant que tout autre �tre humain � de la consid�ration. Or, il semblerait que des hommes qui �taient cens�s prot�ger la soci�t� et donc les plus fragiles d�entre nous se soient comport�s comme des bourreaux et des pervers. L�affaire Al�gre comme l�affaire �mile Louis en France et comme l�affaire Dutroux en Belgique nous plonge au c�ur des t�n�bres humaines. Et il y a des jours o� on aimerait� Allez non, il para�t qu�il faut encore faire confiance � la justice de nos pays respectifs. Non �a n�est pas une boutade.
Fanny, ses v�rit�s et ses contes cruels
Par Patricia TOURANCHEAU (Lib�ration)
�Je n'�tais pas la pute de base sur le trottoir. J'�tais attir�e par la bourgeoisie. J'aimais trop le pognon et la classe, les fringues, le luxe.�
�C'est o� dans ma t�te, c'est o� dans ma vie, j'arrive pas � dormir.� Fanny, t�moin num�ro 1 du scandale de Toulouse, a sans cesse ce mot �o� dans sa bouche, �dent�e. �O�, �a veut dire le �d�sordre�, tout sens dessus dessous. � 30 ans, la fr�le fille (1,64 m pour 48 kg) aux prunelles dor�es et aux cheveux ch�tain-roux, bras tatou�s, jean et d�bardeur, para�t plus zonarde que call-girl. Us�e par la gal�re et les �torturius� des hommes, Fanny peine � reparler �encore� des horreurs qu'elle a subies dans les ann�es 90 et qu'elle avait enterr�es au plus profond d'elle-m�me. Les gendarmes de la cellule �Homicides 31� l'ont retrouv�e en 1999 pour la questionner sur le tueur en s�rie Patrice Al�gre et sur le meurtre de la prostitu�e Line Galbardi en 1992. Elle a ni� : �Connais pas.� Elle a fui. Ils ne l'ont pas l�ch�e. �Ils sont revenus trente fois, pour savoir la v�rit�, et puis j'ai eu confiance en Michel.� Michel Roussel, l'infatigable pisteur de �Patrice�. Alors, elle a tout d�vers� en vrac, m�me les s�vices et les viols inflig�s par des notables lors de soir�es sadomasochistes. Sans noms ni dates, mais avec la m�moire de sc�nes et de visages.
�J'ai mon p'tit v�cu, c'est tout�
� l'heure o� les enqu�teurs cherchent les preuves, Fanny accepte de nous parler en pr�sence de son avocate, Me Muriel Amar. �Pendant dix ans, on m'a demand� de me taire, et maintenant on me dit de tout raconter, aux gendarmes, au psy, aux juges, moi je peux plus, j'ai quatre enfants (�g�s de 18 mois � 9 ans, ndlr) � �lever, c'est le plus important. J'suis pas un t�moin cl�, j'ai mon p'tit v�cu, c'est tout.� Un �p'tit v�cu�, terrible, que Fanny relate en pointill�, avec des phrases pr�cipit�es ou des mots soupir�s.
N�e � Toulouse de p�re inconnu et d'une m�re perturb�e, la cadette de quatre gosses a �t� plac�e en pouponni�re � 2 ans, en famille d'accueil � 6 ans. Ballott�e entre institutions et �coles, Fanny quitte le coll�ge en troisi�me et atterri en 1989 au foyer Pargamini�res � Toulouse. Elle s'�chappe. � 16 ans, elle tra�ne dans le quartier sinistre de la rue Bayard, entre le Barri�, brasserie cosmopolite, tout en bas, place Jeanne-d'Arc, et l'�tincelle avec ses n�ons tape-�-l'�il, tout en haut, face � la gare Matabiau. Belle comme le jour, la fugueuse � la peau laiteuse commence � lever �des messieurs tr�s importants�.
Le premier, c'est M. de B., directeur d'entreprise. Fanny devient une �fille entretenue�. �Je n'�tais pas la pute de base sur le trottoir. J'�tais attir�e par la bourgeoisie. J'aimais trop le pognon et la classe, les fringues, le luxe.� La prostitu�e mineure d�jeune dans des gargotes qui n'ont rien de chic, comme la Meuni�re, menu � 50 francs, �avec ses clients VRP ou patrons de soci�t�, et �croise Patrice Al�gre avec son p'tit papa policier et ses coll�gues, les inspecteurs des m�urs Z., C. et M.�. Toutes les nuits, la petite tapineuse voit Patrice Al�gre, ses yeux bleus, ses cuirs et sa moto, rouler des m�caniques avec sa clique, dans �son QG� � l'�tincelle.
En 1990, Fanny passe des mains du notable argent� � celles de Patrice Al�gre, 22 ans, dealer-cambrioleur, d�j� p�re et criminel en secret: �Patrice �tait plein de thunes, flambeur et bien sap�. C'�tait le loup blanc de Toulouse, le roi dans la rue. Il �tait beau mec et en a beaucoup jou� sur les filles. Tout le monde lui l�chait les pieds.� Fanny devient pour six mois la �gonzesse� de Patrice, �pas fid�le et pas sentimental, pas le genre � raconter sa vie. Patrice a toujours �t� manipulateur�. Elle �monte� dans les h�tels de la rue Bayard, le Toulouse et la D�p�che, mais aussi � l'Europe, le long du canal, face � la gare. Elle s'appelle �Vicky� ou �Floy� pour les clients. Bient�t, elle prend des coups. Elle l'a racont� sur proc�s-verbal au juge Lemoine (le 28 mars 2003) : �Al�gre est une brute. Je n'ai plus de dents � cause de lui, des coups de poing qu'il m'a port�s. Une fois, il m'a frapp�e tr�s violemment � cause de Sandra, avant sa mort, et une autre fois (...) il m'a ouvert la main avec un couteau. Malgr� mon �tat, les policiers qui m'ont re�ue n'ont voulu faire qu'une main courante et m'ont dit de me rendre � l'h�pital.�
Aujourd'hui, Fanny nous montre les bridges agraf�s � son palais qui �font mal aux gencives�. Elle n'a plus que trois dents. Sur son poignet droit, les cicatrices. Dans ses cauchemars, Fanny ressent encore la blessure. Par la suite, �Vicky� ne couche plus avec Patrice mais passe entre les pognes de �l'un de ses amis, un magistrat� qui s'encanaille dans le quartier. Elle qui d�teste le mot �pute� trouve une expression plus �l�gante : �J'ai �t� l'accompagnatrice d'un procureur.� Au juge d'instruction, elle a pr�cis� que la rencontre aurait �t� scell�e par �un viol dans un parking�, en compagnie de Patrice Al�gre, du substitut et de l'inspecteur Z.
�Il n'y avait plus de retour�
Ainsi, �Vicky�, mineure, devient la ma�tresse de �Marcus�, substitut au parquet de Toulouse. �J'ai accompagn� ces gens tr�s importants � plusieurs soir�es came et cul o� on s'envoyait en l'air, � la maison du lac de No�, avec des partouzes dans les chambres � l'�tage sup�rieur, des trafics de coke et de bijoux, tout �tait ill�gal, mais plut�t banal. J'�tais la reine. Au d�but, c'�tait donnant donnant. J'aimais le fric. Il y avait un �change.� Et puis �a d�g�n�re. �Plus tard, ce n'est plus moi la ma�tresse, ce sont eux les ma�tres, c'est moi qui dois tout donner, m�me des enveloppes d'argent. Il n'y a plus de retour. Que des brutalit�s. Les bourgeois qui ont d�rap�, il y en a eu cinq ou six. Et les trois filles cern�es par rapport � �a (le sadisme, ndlr) que je connais �taient toutes des filles � probl�mes, avec un enfant ou un truc d�licat, �a marchait avec : "Je te tiens ou je te saque."� Menaces et chantage. �Quand on est mineure en fuite d'un foyer et d�j� dans le cercle du tapin, on conna�t les lois. Ils �taient pr�ts � me faire enfermer dans un centre encore plus dur.� Elle ne m�lange pas les clients hupp�s �normaux� qu'elle pigeonnait . �Je les voyais comme des bo�tes � sous� avec la poign�e d'hommes, m�me de loi, pr�ts � tout pour lui infliger des �torturius� : �Marcus, c'est son dada. Apr�s les partouzes, il a �t� attir� par �a... Il aimait ces vices, je te fais du mal, tu me fais du mal... Et puis il m'a fait beaucoup mal...� Rabaiss�e, soumise et violent�e, Vicky n'est plus rien : �M�me un objet ou un chien, on le traite mieux, �a sort du r�el.�
�Comme un animal bless�
�� chaque fois que j'ai essay� d'en parler � quelqu'un � l'�poque, � la justice, j'ai �t� enferm�e au foyer Loustal, etc. Le jour o� j'ai eu les billes (des K7 compromettantes qu'elle aurait vol�es chez Marcus, ndlr), on m'a dit : "Tu te casses", et je suis all�e en Espagne. Je me suis battue pendant dix ans, jour apr�s jour, pour enlever mon v�cu, je me suis tap�e la t�te contre les murs pour r�cup�rer mes deux premiers enfants qui avaient �t� plac�s, j'ai refait ma vie en 1996 avec mon mari, et puis les gendarmes sont revenus.� Ils l'ont per�ue �comme un animal bless�. Le 11 f�vrier 2003, Fanny a tout livr� au chef Roussel � �je le sens, j'ai confiance en lui� � sur proc�s-verbal. Elle a racont� la nuit du 2 au 3 janvier 1992 o� elle a �eu le malheur de rentrer dans la chambre� de sa voisine Line Galbardi � l'h�tel de l'Europe, vers 1 heure ou 2 heures du matin. Elle a entendu des hurlements et reconna�t, �aux voix, Patrice et Line�. �Apr�s un quart d'heure de cris et de coups, car �a tapait grave, je rentre sans frapper.�
Il y a sur place le mac Lakhdar qui oblige aussi Patricia, la �surveillante� des filles, � rester. Et Line � moiti� nue. �J'assiste impuissante, comme dans un mauvais r�ve, � la correction de Line par Patrice Al�gre� pour l'avoir balanc� aux flics. �Je ne peux pas vous livrer les d�tails de la mort de Line, m�me si cela hante toutes mes nuits, jure-t-elle. Patrice m'a dit : "Si tu bouges, tu cr�ves." Sachant de quoi il �tait capable, j'ai ob�i, je me suis recroquevill�e comme un f�tus au sol et j'ai cru que j'allais y passer. Je me suis urin�e dessus.� Fanny voit Patrice �sodomiser Line � m�me le sol�, la frapper et l'�trangler �sous la col�re ou par plaisir�. �Quand je vous dis qu'il a pris du plaisir � la tuer, c'est qu'il ne la regardait pas, elle, mais moi, comme s'il me souriait. Je culpabilise aujourd'hui de n'avoir pas pu r�agir, l'aider... Elle est morte sous mes yeux.� Terroris�e et menac�e, Fanny quitte le milieu de la rue Bayard : �J'ai subi d'autres violences de la part de Patrice apr�s le meurtre pour m'emp�cher de parler. J'�tais entre deux feux, la violence de Patrice et, d'un autre c�t�, les policiers de la PJ, qui, trois semaines apr�s, m'avaient interrog�e, et auxquels j'avais dit que je ne savais rien. Je suis all�e me cacher�, dans la r�gion.
�Bagues et tatouage � l'�paule�
Selon un enqu�teur, la �description de la sc�ne de crime� par Fanny �correspond aux constatations mat�rielles de 1992� et au t�moignage de l'autre prostitu�e, Patricia, contrainte de seconder les macs Lakhdar et Al�gre pour surveiller les filles sur le trottoir. Mais Fanny n'a �jamais fait la bringue avec Patricia�. Les deux t�moins, qui s'�taient perdus de vue, n'ont pas de contact entre elles lors des premiers aveux, l'hiver dernier. En plus du crime, Fanny submerge le chef Roussel sous un �flot� de malheurs. Elle cible surtout �Marcus� et d'autres �messieurs�, parle de viols et de s�vices sur sa personne dans �une belle demeure du c�t� du casino de Salies-du-Salat� mais aussi � Toulouse. Elle d�nonce les agissements de trois policiers, � commencer par Z., qui l'ont amen�e un soir au tribunal � Marcus, qui l'a prise de force devant ces trois flics �qui rigolaient�. Elle a dessin� un portrait ressemblant de l'homme qu'elle appelle Marcus, avec �son tatouage sur l'�paule et ses bagues aux doigts�. Elle a aussi trac� un plan du palais de justice de l'�poque situant avec exactitude le bureau de Marcus. � la demande des gendarmes, Fanny a �coch� des noms� sur un r�pertoire t�l�phonique du tribunal et puis a mis des croix sous des photos. Parmi un millier de visages tir�s de clich�s de rentr�es solennelles au palais, elle en a coch� une dizaine: Marcus et un autre substitut, trois hauts magistrats de la cour d'appel, une femme du tribunal, un avocat �fr�le qui fait penser � une grenouille�.
De son c�t�, la t�moin Patricia, qui cherche � se d�douaner de sa complicit� forc�e dans le meurtre de Line, a accus� non seulement trois flics ripoux des m�urs (les inspecteurs Z., M. et C.) de toucher des enveloppes et de prot�ger Al�gre, mais a �mouill�, � tort ou � raison, Dominique Baudis, alias �N�nette�, dans deux s�ances SM avec Al�gre, Lakhdar et elle-m�me, dans deux lieux improbables pour un notable : une chambre de l'h�tel de passe de l'Europe et l'appartement de Lakhdar dans une cit� pourrie. Au fil de l'enqu�te, l'ex-cheftaine du trottoir et la fragile Fanny se sont retrouv�es et se sont soutenues dans leur nouvelle gal�re.
C'est apr�s le t�moignage de Patricia que Fanny d�clare � son tour : �L'homme du Capitole me rappelle de tr�s mauvais souvenirs, �a (m'a, ndlr) fait tr�s mal...� Le 28 mars chez le juge Lemoine, Fanny a pleur� et, � la demande de Me Georges Catala, a parl� sur PV de sa rencontre �au tierc�, une semaine plus t�t, avec un policier : �J'en ai pris plein la gueule�, et puis �au karaok� avec l'inspecteur Z. �Il m'a fait comprendre que j'avais int�r�t � me taire.� Fanny dit subir de multiples �pressions� mais maintient tout sur Marcus : �Le seul magistrat que j'ai eu dans mes relations, et d'une fa�on suivie, est celui que j'ai dessin�, � la demande de l'adjudant Roussel.�
Le 4 avril, Fanny a �t� examin�e par le psychologue Alain P�nin, qui a vu une �femme en grande difficult� et �en �tat de stress majeur� � cause du �retour de ses souvenirs et des �v�nements qu'elle s'�tait ing�ni�e � enfouir hors de sa m�moire�. L'expert conclut : �Il n'existe dans son discours aucune tendance � la dramatisation, � l'emphase, ni aucun �l�ment de nature mythomaniaque ou affabulatoire qui puissent, au plan psychologique, faire douter de sa cr�dibilit�.� Malgr� tout, un haut magistrat de Toulouse indique que, �face � un tel poids de souffrance, les enqu�teurs ont du mal � faire la part du v�cu r�el et de l'imaginaire cauchemardesque qui peuvent se m�langer�. Le 3 juin, le juge Thierry Perriquet a demand� � la victime de mimer une sc�ne de s�vices, attach�e. Fanny a explos� et l'a trait� d'�encul� : �Ce juge m'a foutu o� dans ma t�te.�.
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