Le 29 mars 1996, un homme tombait sous les balles d'un commando � Hy�res. Fait du hasard, il �tait abattu � quelques m�tres de l'endroit o� avait �t� vol�e la moto Yamaha 750 Fazer, utilis�e pour l'assassinat de Yann Piat et retrouv�e � moiti� br�l�e sur la commune de la Garde.
L'homme s'appelait Dominique Rutily. Il �tait le pr�sident du football club de Calvi. En tous les cas en apparence. Car Rutily �tait aussi un repris de justice comme on dit, un " beau mec ", un grand voyou. Selon les journalistes qui enqu�teront sur sa mort, il avait laiss� ses " anges gardiens " au pays ne gardant pour toute s�curit� qu'un bon vieux 11,43 qui ne lui servira � rien comme souvent d'ailleurs dans ce genre d'attentat. Il a trente-cinq ans et porte beau. Dans sa Balagne natale, on le consid�re comme un notable.
Mais Rutily poss�de aussi des int�r�ts dans plusieurs �tablissements de nuit en Corse et il a �t� condamn� en 1990 � 4 ans de prison pour sa participation � une attaque � main arm�e... R�cemment, il avait touch� 70.000 FRF de primes europ�ennes pour un troupeau de vaches totalement fictif. On raconte �galement qu'il lorgnait sur l'empire de feu le parrain Jean-Louis Fargette, de Toulon. Il pensait �galement reprendre le club de foot de Nice avec son ami Rolland Courbis ce qui explique peut-�tre les inimiti�s que tous deux se sont faites sur la c�te.. Courbis, l'ancien international de football, ferait plut�t dans la d�linquance en col blanc : il aurait �t� selon les dossiers d'instruction au centre des fausses factures et autres caisses noires du club de Toulon. � noter qu'il a �t� relax� dans une affaire sulfureuse de jeux truqu�s au Palm Beach de Cannes. Sous cette affaire, le Milieu corse et la Mafia...
Justement, c'est le Milieu corse qui est au coeur de cette affaire, et pas n'importe quel. Milieu : un gang redoutable poss�dant de puissants int�r�ts �conomiques et d'importants soutiens politiques. Cette r�alit� mafieuse n'a rien � voir avec le surnom po�tique de ce gang : " La Brise de Mer " ...
Revenons au au match auquel Rutily vient d'assister avec son ami Roland Courbis : il est venu voir son �quipe jouer contre les locaux pour ce match important de championnat de Nationale 3. Et le match s'est plut�t mal pass�. � l'issue d'une rencontre acharn�e, Hy�res l'a emport� 2 � O pour la plus grande satisfaction du pr�sident du club varois, Claude Hirtzigh.
Mais Rutily n'est pas seul � se d�sesp�rer de cette contre-performance des joueurs insulaires. Roland Courbis, qui lui sert de conseiller technique, est furieux. D'autant que tous deux voudraient bien reprendre le club de l'OGC Nice. Il est aussi question d'un myst�rieux rendez-vous � Monaco. Courbis niera par la suite de son lit d'h�pital l'existence de ce rendez-vous.
On pourrait presque dire que l'arbitre a siffl� � la fois la fin du match et la mort de Rutily. " Il est 20 heures, �crit Jean-Michel Verne dans " Ils voulaient la c�te ", lorsque les deux hommes s'avancent � pied sur l'avenue qui m�ne � un petit parking. Gomme d'habitude, ils plaisantent, parlent football et femmes, et s'appr�tent � monter dans leurs voitures. Courbis va ouvrir la porte de sa Safrane lorsqu'un d�luge de plomb s'abat sur les deux hommes. Quatre tueurs embusqu�s et munis d'armes automatiques prennent sous un feu crois� les victimes. Ils n'ont laiss� aucune chance � Dominique Rutily qui est la v�ritable cible des tueurs. Le Corse tourne sur lui-m�me comme un pantin d�sarticul�. Il s'effondre sur le sol, touch� de quatre projectiles. L'un des deux tueurs s'approche. Deux d�tonations s�ches claquent dans la nuit sous le regard de plusieurs t�moins. Rutily vient d'�tre achev� de deux balles dans la t�te. Deux balles � bout touchant qui se sont incrust�es de dix centim�tres dans le bitume de la contre-all�e du stade Perruc. Le meurtre est d'une sauvagerie inou�e. Les rares t�moins de cette sc�ne hallucinante se sont couch�s au sol. L'un d'entre eux raconte " Les balles ricochaient sur l'acier des voitures en stationnement en d�clenchant des �tincelles. Tout le monde hurlait de terreur. Je n'ai m�me pas vu les assassins s'enfuir ". Pourtant quatre ombres laissent un corps sans vie sur le froid macadam de la ville maudite. Les yeux bleus de Rutily ont cess� de briller. � ses c�t�s, Rolland Gourbis a du mal � supporter l'horrible douleur qui lui tenaille le ventre. Une balle de 9 mm, visiblement une balle perdue, lui a transperc� l'abdomen. Un vrai miracle ; le projectile s'est arr�t� � quelques millim�tres de la moelle �pini�re. Quant aux tueurs, ils ont pris la fuite dans une Renault 19 vol�e. Elle n'est toujours pas retrouv�e, sans doute br�l�e dans une carri�re des environs. "
Les policiers du SRPJ pensent alors que Rutily a �t� abattu par des locaux. D'autres vont chercher sur la piste du FLNC et notamment de sa branche balannaise. En 1996, son pr�sum� responsable Jean-Michel Rossi m�ne une guerre larv�e � la Brise-de-Mer et � ses tentacules. Or Dominique Rutily est le fr�re d'Alexandre, � qui la rumeur pr�te le titre de baron de la Brise-de-Mer. Les deux hommes ont d'ailleurs fait l'objet d'une surveillance polici�re et les rapports se sont accumul�s sur leur compte. Le plus �clairant est celui du commissaire Marion.(voir ce rapport)
Les policiers savent �videmment qu'il est sorti de prison fin 94 de prison apr�s avoir �cop� en 1990 d'une condamnation � quatre ans par la cour d'assises de Nice. Il avait �t� impliqu� dans l'attaque le 26 mars 1987 d'une agence du Cr�dit agricole. Une affaire qu'on avait mise sur le compte des Postiches version corse. On raconte � Bastia que la jeune �quipe de la BDM �tait capable d'organiser un coup sur un renseignement. Les M�, G� et autres voyous de Bastia ont alors d�fray� la chronique sans jamais �tre condamn�s. On raconte sur la place Saint-Nicolas, que deux de ses membres �taient partis sur un " coup " sur Porto-Vecchio. L�g�rement �m�ch�s, ils avaient tout simplement oubli� leurs armes. Arriv�s devant l'agence bancaire, ils s'�taient aper�us de ce malencontreux oubli et �taient repartis tout joyeux � l'id�e de raconter leur �tourderie � leurs camarades de jeux.
Les deux fr�res Rutily ont grandi � Calenzana, le village des Guerrini, les rois du Marseille de la Lib�ration. Leur jeunesse a �t� remplie des aventures d'Antoine, le taciturne et de M�m� le noceur � qui Gaston Defferre n'avait rien � refuser. Ils ont suivi le chemin de la voyoucratie faute d'autre chose. Dominique et Alexandre ont d�but� leurs carri�res au sortir de l'adolescence au point d'acqu�rir une belle r�putation dans le milieu insulaire.
Le commissaire Marion a calcul� que la Brise de Mer a laiss� derri�re elle le cadavre de quatorze des siens : assassin�s ou suicid�s. C'est beaucoup et cela d�montre que le crime ne paye pas toujours. Des dissensions ont souvent �clat� lorsque les uns et les autres sortaient de prison. La bande continentale qui appartenait au gang des Postiches a �clat� en plusieurs tron�ons : les policiers font la diff�rence entre celui de Toulouse, celui de Marseille, celui de Toulon. Les membres insulaires sont des aventuriers mais, comme beaucoup de Corses, ils veulent assurer leur retraite. Apr�s avoir servi de porte flingues et de tueurs le cas �ch�ant � Francis le Belge, ils ont d�cid� d'un peu travailler pour eux. Lorsqu'ils �liminent Hoareau pour le compte du Belge, ils prennent aussi possession des bo�tes de Balagne dont Le Challenger � l'�le Rousse qui tombe entre les mains de Rutily � la grande col�re de Jean-Michel Rossi le responsable balanais du Front. Celui-ci a d�j� dans le nez Charles Pieri qui fricote tant et plus avec les voyous de la BDM et notamment Francis Mariani qui est son ami de cavale. Il a pour ami d'enfance Paul Grimaldi, lieutenant du parrain toulonnais Fargette et ami de Francis le Belge en m�me temps que des cadors de la BDM. Paul Grimaldisera un moment impliqu� de tr�s loin dans l'assassinat de Yann Piat avant d'�tre innocent�. Il sera tu� des ann�es plus tard dans sa Balagne natale vraisemblablement par Armata corsa � qui les enqu�teurs attribuent la direction balannaise � Jean-Michel Rossi. Il est vraisemblable que ce dernier paiera � son tour cet assassinat et peut-�tre celui de Dominique Rutily qui lui est attribu� � tort ou � raison par les voyous de la c�te et de Bastia. Nous y reviendrons. Alexandre Rutily, le fr�re, est devenu maire de Calenzana. C'est le d�but de l'embourgeoisement. Les policiers n'acceptent pas l'impunit� dont jouit la BDM. Leurs biens sont diss�qu�s. D'autant que Dominique Rutily et son fr�re seraient les gardiens du tr�sor de la BDM si on en croit la rumeur. On ne pr�te qu'aux riches.
Lorsque Rutily a mis la main sur le football club de Calvi, il a dans l'ambition d'un jour supplanter le SCBastiais tenu par les Cuncoltistes de Charles Pieri et accus� � maintes reprises d'�tre la pompe � finances du FLNC Canal historique. Rutily voudrait profiter de ses amiti�s de la C�te pour aller plus loin que Calvi. Avec l'aide de Francis le Belge qui fricote avec Baresi et Tapie, il aurait bien envie d'acheter le football club de Nice.
Son assassinat ne sera jamais �lucid�.
Au passage de Rutily, (mais le monde est si petit) on croise l'un de ses connaissances : No�l Filippeddu qui s'est fait conna�tre sur le continent sous le surnom de "Monsieur No�l ". C'est lui en effet qui, le 17 juin 1993, a d�jeun� au Fouquet's, � Paris, avec Boro Primorac, l'entra�neur de football de Valenciennes. Apr�s le d�jeuner, " Monsieur No�l " (un proche du parrain marseillais Francis Vanverberghe dit Le Belge) conduit l'entra�neur au bureau de Bernard Tapie. Primorac affirme qu'on lui a demand� de revenir sur ses d�clarations, plut�t compromettantes, sur le match truqu� O.M.-V.A.. Une perquisition au domicile de Filippeddu qui habite, pardonnez du peu, dans le 16� arrondissement, permettra de d�couvrir une empreinte digitale du joueur Jean-Jacques Eydelie... Bernard Tapie, alors Ministre de la Ville, �tait intervenu aupr�s du Ministre de l'Int�rieur puis de la Justice pour obtenir une lib�ration anticip�e de Francis le Belge, alors en d�tention pr�ventive pour trafic de stup�fiant. Le parrain marseillais sera lib�r� quelques mois plus tard gr�ce � une caution r�unie par plusieurs personnes dont Bernard Pardo (ancien joueur de l'O.M., arr�t� pour trafic de drogue). Pardo avait comme impr�sario Rolland Courbis (ancien entra�neur du Sporting Club de Toulon et ami de Tapie), tout comme Marcel Dib, qui poss�de des int�r�ts dans le restaurant de Filippeddu � Bonifacio. Rappelons �galement que Courbis a �t� bless� lors de l'assassinat de Dominique Rutily, le truand corse qui voulait reprendre le club de foot de Nice... Sacr� parcours pour celui qui se trouve aux c�t�s de Rutily � l'instant du jugement dernier.
Et puisque nous voil� sur Filippeddu (il nous pardonnera l'image) parlons un peu d'un autre ami de Rutily : le fr�re de Filippeddu Jules-Philippe, est �galement dans les " affaires ". Install� au Br�sil, il a �t� d�crit par un rapport s�natorial que nous tenons � la disposition de la justice comme un des rois du " Vid�o-Poker " (un r�seau de jeux ill�gaux sentant le souffre...) et le bras droit de Lillo Lauricella, homme de la mafia de Catane et lieutenant du mafieux Pip� Call�. C'est lui qui avait accueilli Yves Challier quand il s'est enfui au Br�sil avec un " vrai-faux passeport ", d�livr� par Charles Pasqua, dont il est d'ailleurs un proche et membre de son r�seau international. Il avait alors �t� inculp� de complicit� d'usage et de d�livrance irr�guli�re de documents administratifs. Sans doute avait-il �t� voir son fr�re quand Andr�-No�l est arr�t� en mai 1995 pour une affaire de fraude fiscale portant sur 2 millions de FRF.
On accuse alors Andr�-No�l d'avoir dissimul� au fisc la perception de ch�ques et d'un virement tir�s notamment sur le compte de la SARL STAC. Or, les ch�ques sont sign�s par un certain Lillo Lauricella. Ce dernier (une relation rappelons-le du " Tr�sorier de la Mafia ", Pipp� Cal�, et du parrain de Catane, Nitto Santapaola) est soup�onn� de mener des op�rations de blanchiment dans le cadre de l'am�nagement de l'�le de Cavallo, au sud de la Corse. Dans cette affaire, la police estime que Filippeddu a encore servi d'interm�diaire...
Monsieur No�l a servi �galement de m�diateur pour le compte de la SMAR (Soci�t� Mon�gasque d'Avances et de Recouvrements, filiale de la Soci�t� des Bains de Mer, propri�taire notamment du casino de Monaco). Cette m�diation �tait destin�e � �viter une plainte pour escroquerie de la part d'un riche joueur. En effet, un ch�que de 322 millions de lires (1,4 million de FRF) a disparu alors qu'il �tait cens� r�gler les dettes de jeu. Pourtant, le ch�que a bien �t� d�bit� par Maddalena Motto, agent pr�teur au casino de Monte-Carlo. Dans quelles poches a-t-il fini ? Il faut savoir que Maddalena Motto (depuis condamn� par la justice mon�gasque...) avait pu �chapper � une enqu�te de la justice italienne sur un trafic de drogue de la Mafia gr�ce � une fausse d�claration de St�phane Giaccardi, ancien secr�taire G�n�ral de la Soci�t� des Bains de Mer, r�cemment condamn� par la Cour d'Appel de Monaco...
Un des auteurs du " Casse du Si�cle " � la Banque de France de Toulon (pr�s de 150 millions de FRF de butin, dont � peine 10% retrouv�s !), Ren� Bombace, affirme qu'une partie de sa part lui a permis de rembourser une dette aupr�s de... Andr�-No�l Filippeddu ! Rappelons, l� aussi, les relations entre le gang et la Mafia italienne, qui a sans doute profit� de la plus grande partie du butin. Bien s�r, Filippeddu a d�clar� ignorer l'origine d�lictueuse de cet argent...
Tandis que se poursuit l'enqu�te relative � l'assassinat de Rutily, 13 pr�venus, issus de la mouvance de la " Brise de Mer ", comparaissent au Tribunal Correctionnel de Nice. Ils sont soup�onn�s d'avoir pr�par� une attaque d'un fourgon blind� en f�vrier 1994. � l'�poque, le monde criminel part ou ram�ne toujours � la BDM. D'autant que l'une des connaissances des Rutily se nomme Joseph Menconi, qui abat en 1997 un l�gionnaire � Calvi o� il a ses habitudes. Joseph Menconi deviendra plus tard le bras droit du fils de Francis Mariani. Mais il gardera toujours un �il pour la BDM sur cette r�gion de Corse o� Jean-Michel Rossi tente de pr�server son territoire et o� Alexandre Rutily le fr�re en apparence rang� des voitures tient son son restaurant bar glacier sur la plage de l'Arinella � Lumio le nouveau Saint-Tropez de Corse. Pensez-donc : s'y bousculent Laetitia Casta, Guy Bedos et bien d'autres sommit�s.
Le nom de Dominique Rutily aurait pu restert dans le royaume des ombres s'il n'avait exhum� � propos de l'assassinat de Fran�ois Santoni. La th�se officielle qui est alors r�pandue � partir de Paris est qu'il aurait �t� abattu pour une vendetta d'ordre personnel. L'avantage de ce propos que L'investigateur est le premier � divulguer est qu'il permet d'exon�rer de toute responsabilit� la Brise-de-Mer et ce faisant Charles Pieri, l'ami de Francis Mariani. L'investigateur, relay� par Le Monde, se fait donc l'�cho (et seulement l'�cho) de cette th�se polici�re. Dans les cercles du renseignement parisien on ajoute m�me une touche � cette trame : Angeot Orsoni et Alain Robin auraient �t� aid�s dans leur coup par des amis de Dominique Rutily qui en voulaient au couple Rossi-Santoni. Le probl�me est que l'hypoth�se ne tient gu�re. Il est tr�s vraisemblable qu'� l'�poque, les enqu�teurs en savent plus qu'ils ne veulent le dire et pensent d�j� � Joseph Menconi qui, c'est exact, avait connu Dominique Rutily. Mais la piste Menconi ne pouvait que mener au fils de Francis Mariani. Le nom de Rutily sort donc tr�s vite du vocabulaire de ceux qui veulent faire croire que Fran�ois Santoni est tomb� pour une haine vieille de plusieurs ann�es.
La v�rit� appara�t comme plus difficile � cerner. Dans cette �le, les haines s'accumulent et finissent par devenir explosives. Les bandes de voyous et celles de clandestins sont souvent les m�mes. D'apr�s tout ce qui est remont� � L'investigateur, la culpabilit� d'Angeot Orsoni appara�t plus que douteuse. Mais elle convient bien � un gouvernement qui ne veut surtout pas f�cher le FLNC Union des Combattants et qui craint de voir le bel �difice de la paix s'�crouler. Telle est l'histoire de Dominique Rutily.
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