En f�vrier 2003, Christophe Deloire et Christophe Dubois publiaient aux �ditions Albin Michel un livre fort bien document� sur la traque d�Yvan Colonna que nous conseillons � nos lecteurs : � L�enqu�te sabot�e �. Les deux auteurs d�crivaient les moyens mis en place par Nicolas Sarkozy pour retrouver Yvan Colonna.
Discours de la m�thode
Ils sont moins voyants que des fonctionnaires, ne risquent pas de �parler �, et sont inusables. Les ordinateurs des grands op�rateurs t�l�phoniques � moulinent � quotidiennement pour une seule et m�me affaire : la recherche d'un homme qui �chappe depuis quatre ans � toutes les polices. Loin de la bonne vieille pipe de Maigret et de son calepin us�, une enqu�te polici�re se joue d�sormais dans le huis clos des salles d'�coutes t�l�phoniques et la m�moire des cartes � puces. Dans le plus grand secret, la DST a ainsi mis � disposition des enqu�teurs un logiciel ultrasophistiqu� pour tenter de � faire parler� des milliers de listings d'appels susceptibles de mener jusqu'� l'assassin pr�sum�. Faute de r�sultats probants depuis quatre ans, les policiers sortent le grand jeu. La m�me logistique que celle utilis�e pour traquer � travers toute la plan�te Oussama Ben Laden et les terroristes de la n�buleuse Al Qaida! Cette � arme � technologique brasse les num�ros sur plusieurs. ann�es, leurs dates, leurs abonn�s, recoupe les informations et � recrache� tout ce qui para�t suspect ou pouvant constituer un indice. Emball� par cette strat�gie, le minist�re de l'Int�rieur a m�me envisag� de faire travailler la DST sur l'ensemble des appels pass�s en Corse depuis trois ans! Ce projet pharaonique, �voqu� au cours d'une r�union de services de police judiciaire, a finalement �t� abandonn�. Il aurait n�cessit� la mobilisation des op�rateurs t�l�phoniques pendant un mois complet sur cette seule affaire et aurait co�t� 120 millions d'euros. En revanche, les services d'enqu�te disposent d'un logiciel informatique permettant de surveiller les �changes sur Internet avec un syst�me de rep�rage de mots-cl�s. Certains policiers comparent ce syst�me � un mini-Echelon, en r�f�rence au gigantesque dispositif des services secrets am�ricains leur permettant d'�couter les conversations de la plan�te.
De toute fa�on, les proches d'Yvan Colonna sont pass�s ma�tres dans l'art de brouiller le travail des sp�cialistes des t�l�communications. La strat�gie est simple : changer souvent de bo�tiers t�l�phoniques et utiliser des puces t�l�phoniques � emprunt�es� � des amis. Impossible alors de mener des �coutes fiables ! Le tra�age a posteriori de ces appels permet, cependant, de reconstituer la toile d'araign�e relationnelle et de chercher la faille. Tel bo�tier, d�j� pr�t� � une quinzaine de personnes, a �t� utilis� une seule journ�e en juin 2000 par un familier d'Yvan Colonna. Pourquoi? Que s'est-il pass� de particulier ce jour-l�?
Les enqu�teurs tentent de remonter le fil de ces t�l�phones �chang�s, de ces puces t�l�phoniques �baladeuses �. Un vrai travail de fourmi! Quatre fonctionnaires de police parlant corse - peu nombreux sur le march� sont assis derri�re un magn�tophone pour �couter en direct les conversations de toute personne pouvant apporter � aide et assistance � au fugitif. Seule difficult�: la famille n'�change jamais le moindre mot sur cette affaire. �Ils font preuve d'une redoutable prudence, constate un officier. Tout cela d�note une v�ritable force de caract�re dans l'entourage d'Yvan Colonna. � Toutes les cabines t�l�phoniques de Carg�se sont �galement mises sur �coutes. Le moindre appel pass� � l'�tranger fait l'objet d'une attention toute particuli�re. Les enqu�teurs sont particuli�rement attentifs aux contacts �tablis par la famille avec la Sardaigne. Ils n'excluent pas qu'Yvan Colonna ait pu trouver refuge sur cette �le aupr�s de la famille de son ex-compagne, Pierrette Serreri ou celle de sa belle-s�ur, Am�lie Serreri, qui poss�de � Olbia une r�sidence secondaire. Les surveillances t�l�phoniques ont permis d'�tablir l'existence de contacts avec une partie de cette famille situ�e de l'autre c�t� des bouches de Bonifacio. Des perquisitions et auditions ont �t� men�es. Sans r�sultat jusqu'� pr�sent.
Ces surveillances � distance seront-elles suffisantes pour remonter jusqu'au fugitif, qui, lui, avait tout simplement laiss� son portable avant de prendre la fuite? Nicolas Sarkozy a pris les paris. Il a ainsi d�cid� d�s son arriv�e d'augmenter le quota d'�coutes administratives r�serv�es � cette affaire. Plus souples qu'une �coute judiciaire, d�pourvues de contr�le des magistrats, elles permettent de travailler en amont des enqu�tes. Beaucoup plus discr�tement. Le gouvernement socialiste avait limit� � l'extr�me ces interceptions plac�es sous le contr�le de la Commission nationale de contr�le des interceptions de s�curit�. Pour autant, cette d�bauche d'�nergie � �lectronique� sera-t-elle suffisante ? Dans les rangs de la police, deux �coles s'affrontent. Le recours syst�matique � des logiciels ultraperformants � crachant � des indices comme une vulgaire machine � caf� est mal ressenti par les policiers de terrain, qui se sentent utilis�s de mani�re ingrate. �Cela me pose de vrais probl�mes de management �, confie un commissaire en poste en Corse, fatigu� de v�rifier des tuyaux crev�s.
Discours de la m�thode
Restent les m�thodes plus traditionnelles. Le ministre de l'Int�rieur joue sur tous les tableaux. Pour cela, il a pris d�s son arriv�e une d�cision hautement symbolique et appr�ci�e : la cr�ation d'une cellule sp�ciale pour retrouver l'� homme le plus recherch� de France �. Cette structure ne figure dans aucun organigramme officiel, mais rassemble une vingtaine de sp�cialistes du dossier, issus de la DNAT, des RG, du SRPJ d'Ajaccio et de la DST. Ces hommes ont pour mission de �travailler ensemble �. La � task force �, surnomm�e avec d�rision � le G1B � - pour Groupe de recherche du berger -, a relanc� des pistes d�j� explor�es. Le Raid, qui avait �t� retir� du terrain corse, a �t� mis � contribution d�s l'�t� 2002 pour passer au peigne fin bergeries et g�tes de haute montagne. Les amis nationalistes d'Yvan Colonna - d'Ajaccio � L'�le-Rousse - font r�guli�rement l'objet d'une surveillance discr�te.
� On a d�j� fait le tour une premi�re fois de toutes ces personnes, soupire, un rien d�pit�, un enqu�teur. Mais on recommence. On ne sait jamais.� Quelle est la bonne m�thode ? Selon la strat�gie du donnant donnant faut-il passer l'�ponge sur quelques casseroles judiciaires, pour r�mun�rer les informateurs en nature? Un march� aurait �t� pass� avec deux grandes figures autonomistes pour qu'elles � donnent � Yvan Colonna en �change d'une paix durable pour leurs activit�s. Partisan des solutions radicales, Michel Charasse, ancien ministre du Budget, responsable autrefois du dossier corse � l'�lys�e, pr�conise, lui, une solution � sonnante et tr�buchante � : � arroser � les indics. Le s�nateur sait de quoi il parle: � patron � des douanes, il s'est frott� au monde interlope du renseignement et n'a jamais l�sin� sur les liasses de billets pour faire tomber tel ou tel r�seau. Il se souvient avoir adopt� la m�me m�thode en Corse.
�Contrairement � une fausse id�e malheureusement trop r�pandue, malgr� les trahisons et les collaborations de la derni�re guerre, les Corses sont comme tout le monde : ils aiment l'argent et si on y met le prix, ils parlent! Fran�ais Mitterrand m'avait donn� carte blanche. J'ai donc convoqu� � l'�lys�e le colonel Drouard, commandant de la L�gion de gendarmerie de la Corse, et je lui ai fait remettre une tr�s grosse enveloppe de "fonds secrets" par son ministre Charles Hernu. � partir du moment o� nous avons pu acheter les bavards � des prix "convenables" - c'est-�-dire tenant compte comme toujours de la majoration au titre de l'insularit� ! -, nous avons obtenu d'excellents r�sultats! � Une r�mun�ration avait ainsi �t� promise pour la capture d'un autre fugitif c�l�bre, Khaled Kelkal, soup�onn� d'avoir particip� aux attentats islamistes � Paris en 1995. �Il n'a pas �t� jug� opportun d'offrir une prime pour toute personne qui apporterait des renseignements, avait expliqu� Roger Marion � propos de Colonna. Cela peut se faire demain.� Officiellement, l'id�e n'a jamais �t� retenue. Mais dans les milieux bien inform�s de la police parisienne et du maquis corse, il se dit qu'une � prime secr�te� est d�j� mise sur la table. Le grand public n'a pas � conna�tre cette proposition all�chante d'un montant de plusieurs centaines de milliers d'euros. Attach� � la �culture du r�sultat �, Nicolas Sarkozy sait que personne ne peut retrouver Yvan Colonna avec des m�thodes candides. Ancien ministre du Budget, il conna�t les arcanes de la R�publique. Mais le ministre de l'Int�rieur conteste utiliser ces moyens �limites �.
Un jour de janvier 2003, � l'heure du d�jeuner, dans ses appartements priv�s de l'h�tel de la place Beauvau, Nicolas Sarkozy se laisse aller � des confidences : �Lors de la passation de pouvoir, Daniel Vaillant m'a parl� d'Yvan Colonna pendant deux minutes en tout et pour tout; au fond, il n'avait pas grand-chose � me dire sur le sujet. � Assis � la m�me table, le directeur g�n�ral de la Police nationale, Miche! Gaudin, observe que la police a fonctionn� de mani�re �caricaturale� : �Il y a eu une forme de laxisme et de sous-estimation du probl�me. � Entre deux bouch�es, le ministre reprend la parole. Selon la m�thode rh�torique qui lui est ch�re, Sarkozy prend ses visiteurs � partie par des questions qui sont autant d'affirmations : �Depuis mon arriv�e en ces lieux, avez-vous un seul cas de guerre des polices � citer?
Quelques mois apr�s sa prise de fonction, le ministre a d�cid� de muter l'homme fort de l'enqu�te et des recherches de Colonna, Roger Marion, promu pr�fet de police � Marseille. Comment l'interpr�ter? �J'ai ainsi mis fin aux bagarres, aux discordes et aux bisbilles. Marion est un homme de qualit�, dont j'appr�cie le caract�re, mais incapable de travailler en �quipe. Je lui ai demand� de prendre ses distances avec un univers parisien qui lui nuisait.� D'une certaine mani�re, Sarkozy s'est identifi� � Marion. L'ancien num�ro deux de la police judiciaire d�clenche les passions et suscite souvent la haine. L'ancien maire de Neuilly a v�cu une travers�e du d�sert et il en conna�t le caract�re solitaire. Mis au ban de la droite apr�s l'�lection pr�sidentielle de 1995, lors de laquelle il avait pris partie pour �douard Balladur, l'homme politique a eu droit aux salves de sifflets. Il n'appr�cie gu�re qu'une horde s'acharne sur un homme: �Lorsqu'on accuse Marion d'�tre trop travailleur et trop ambitieux, cela ne me le rend pas forc�ment antipathique.�
Avant qu'il ne parte pour Marseille, Sarkozy a re�u le policier promu pr�fet. Le ministre a-t-il eu la curiosit� d'interroger le chef d'enqu�te sur l'oubli de l'arrestation d'Yvan Colonna? La r�ponse est non. �Si je lui avais pos� la question, je l'aurais oblig� � me mentir ou � trahir sa hi�rarchie de l'�poque. �
Dossier arrestation Colonna
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