L'homme fort du nationalisme se trouve actuellement dans le collimateur de la justice. Retour sur un destin corse par Aziz Zemouri du Figaro.
C'est l'histoire d'un Petit Chose, issu d'une famille modeste, qui grandit cit� Aurore, dans le quartier HLM de Lupino, � Bastia, apr�s avoir v�cu gamin dans la vieille ville. N� en avril 1950, Charles Joseph Pieri attrape le virus de la contestation que son p�re, pompier et communiste, lui transmet. � l'int�rieur du syst�me d'abord. Il obtient son bac et souhaite gagner sa vie rapidement. Exempt� du service militaire, comme beaucoup de jeunes nationalistes, il entre � 22 ans � l'office d'HLM de Bastia, ville o� sa m�re vit toujours. Il y restera salari� jusqu'en 1990.
Devenu un interlocuteur privil�gi� de Pierre Joxe, alors ministre de l'Int�rieur, on lui demande de quitter l'office. Il s'ex�cute, mais demande une faveur : qu'on engage son �pouse en remplacement. Pieri ne d�missionne pas, il se met en disponibilit�. C'est finalement en 1999, alors qu'il se trouve en prison, que l'on rompt son contrat.
Ainsi fonctionne Charles Pieri, un c�t� cour et un c�t� maquis. Syndicaliste, il est secr�taire d�partemental de la CFDT et candidat sur la liste de l'autonomiste Edmond Simeoni aux �lections municipales de 1983. C'est le moment qu'il choisit pour faire parler la poudre.
Charles Pieri est alors arr�t� avec F�lix Tomasi, tr�sorier de la Consulte (l'anc�tre de la Cuncolta en 1987), la vitrine l�gale du FLNC en 1983, accus� d'avoir assassin� un l�gionnaire qui regardait la t�l�vision en salle de repos dans son camp un an plus t�t. Il s'enfuit de la prison de Bastia deux ans plus tard, puis est repris en possession, entre autres, d'un pistolet-mitrailleur. Il est acquitt� par la cour d'assises de Gironde, en octobre 1988, avec tous les membres du commando.
Dans son ascension, il profite de relais dans la classe politique traditionnelle, de droite comme de gauche. Laurent Croce, pr�sident du groupe PS � l'Assembl�e de Corse, sera son t�moin de moralit� au proc�s. � En 1988, dit ce dernier, nous recherchions l'apaisement. C'est aussi dans notre tradition. Je le connaissais, on m'a demand� de t�moigner, je l'ai fait. Cela peut �tonner sur le continent, mais pas en Corse !�
Est-ce toujours dans ce souci d'�apaisement� que Pierre Joxe dissuadera le commissaire Robert Broussard et son adjoint Ange Mancini, les deux enqu�teurs, de t�moigner au proc�s Pieri ?
Ces dix derni�res ann�es, Charles Pieri, devenu l'homme fort du nationalisme corse, ne compte pratiquement plus de rival. En Haute-Corse, Pantaleon Alessandri, h�ros-vengeur des assassins de Guy Orsoni, sorti de prison au moment o� Pieri montait, a pris du champ. Non sans d�noncer la compromission affairiste du FLNC et les magouilles politiques avec les gouvernements successifs.
Charles Pieri vit plut�t bien de son combat.
�C'est peut-�tre le meilleur des m�diocres qui a tir� son �pingle du jeu ; les nationalistes ont cr�� l'ins�curit� pour en vivre�, constate un grand flic qui a eu affaire � Pieri.
Tel un adepte des caporali m�di�vaux, celui-ci s'appuie sur une vaste client�le, constitu�e gr�ce � des liens familiaux qu'il �tend au clan. Il n'h�site d'ailleurs pas � monter au cr�neau quand la justice s'abat sur l'un des siens. Y compris pour des petits d�lits. R�guli�rement, on le voit assister, bien visible au fond de la salle, � des proc�s o� de jeunes Bastiais sont poursuivis pour avoir... tagu� les murs de la ville.
1996 constitue un tournant pour le chef de guerre. Le combat fratricide entre le Canal habituel et le Canal historique fait rage. Charles Pieri est gri�vement bless�, son ami Pierre Lorenzi est tu�. On parle alors de libanisation du conflit. On d�cr�te la tr�ve. Pieri en profite pour mettre de l'ordre dans ses affaires. Fr�ler la mort change un homme.
�Il a commenc� � se poser des questions, souligne un nationaliste. O� tout cela menait-il ? Qu'est-ce qu'il allait laisser � ses enfants ? Lui qui n'avait rien, mais qui commen�ait � sortir la t�te de l'eau financi�rement. � quoi tous ses sacrifices avaient-ils servi si c'�tait pour mourir, en plus tu� par des "fr�res d'armes" !�
D'ailleurs, Pieri sait se montrer grand prince. Il sauve la mise � Jean Castela, cet enseignant condamn� depuis � trente ans de r�clusion dans l'affaire Erignac. � cette �poque, Castela �tait la cible de Fran�ois Santoni, le chef de file de Canal historique pour la r�gion Sud. Faut-il voir l� une alliance des gens du Nord contre ceux du Sud ou le r�sultat de solidarit�s inavou�es ?
Quoi qu'il en soit, �trangement, quelques mois plus tard, les services de police sont orient�s vers le domicile de Charles Pieri. Ils y trouvent un arsenal qui co�tera cinq ans de prison � son d�tenteur. Les barreaux n'emp�chent pas le chef nationaliste de continuer � diriger le mouvement. Avec Jean-Guy Talamoni, il choisit de s'engager dans le processus de Matignon lanc� par Lionel Jospin.
Sorti de prison en 2002, Charles Pieri reprend ses activit�s. Avec Indipendenza, il cherche une strat�gie de rechange apr�s la d�faite au r�f�rendum du 6 juillet dernier. Pieri se d�finit d�sormais comme un simple militant de base. C�t� cour. Pourtant, c'est lui qui menait les d�bats entre nationalistes en septembre � Corte sur l'abandon de la lutte arm�e au profit du combat politique pour l'ind�pendance. C�t� maquis.
C�t� cour, il s'essaie � l'Union des nationalistes pour les r�gionales de 2004. C�t� maquis, les amis de Charles Pieri n'ont pas encore rendu les armes. Lui non plus. Voil� pourquoi la justice vient de d�cider de donner un coup de pouce � ce destin corse.
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